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Intervention de Jean-Michel Fourgous

Réunion du 24 octobre 2011 à 17h00
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Fourgous, Rapporteur spécial :

La force d'un pays est d'abord économique, ensuite diplomatique, et bien entendu militaire. Le nombre et l'ampleur des opérations extérieures menées par la France en 2011 ont démontré que notre pays est toujours une puissance militaire de premier plan avec laquelle il faut compter.

Militairement présente sur de nombreux théâtres d'opérations, la France joue un rôle majeur par sa contribution au maintien de la paix dans de nombreuses régions du monde. Son industrie de défense, performante et moderne, est un moteur de l'économie nationale et lui permet d'être présente sur le marché des exportations.

Sur le plan budgétaire, si l'on excepte les « pays-continents » que sont les États-Unis, la Chine, l'Inde et la Russie, la France, avec un budget de 38,3 milliards d'euros de crédits de paiement en 2012, se situe juste après l'Arabie Saoudite et le Royaume-Uni, en tête d'un groupe de puissances régionales comprenant le Japon, l'Allemagne, la Corée du Sud et le Brésil.

Avec les États-Unis et le Royaume-Uni, notre pays est la seule puissance présente militairement – et substantiellement – de manière permanente sur les cinq continents, du fait de ses départements et territoires d'outre-mer, de ses forces prépositionnées dans des pays alliés ou d'opérations extérieures en cours.

Elle est également le seul pays au monde, avec les États-Unis, à disposer d'un porte-avions à catapultes, capable de mettre en oeuvre des avions polyvalents de dernière génération. La Russie, l'Inde et la Chine disposent de porte-aéronefs sans catapulte, qui ne permettent de mettre en oeuvre que des appareils dont les performances et l'autonomie sont largement inférieures à celle d'avions classiques. Certains pays comme l'Espagne, l'Italie ou le Brésil disposent d'un porte-aéronefs mettant seulement en oeuvre des hélicoptères.

Au-delà des critères purement quantitatifs, l'aspect opérationnel des forces de défense doit être pris en considération. La plupart des observateurs considèrent que peu de pays seraient capables d'assumer, de manière autonome, une opération extérieure offensive inopinée du type de celle menée principalement par la France et le Royaume-Uni en Libye en 2011.

Je salue à cette occasion l'efficacité, le professionnalisme et le courage de nos militaires, qui ont su, pour la première fois dans l'histoire de notre pays, mener une véritable guerre sans avoir à déplorer dans leurs rangs la moindre perte humaine ou matérielle.

Ces bons résultats, notre pays les doit aux compétences de ses militaires mais aussi à la qualité des équipements utilisés, qu'il s'agisse des aéronefs (Rafale, Mirage 2000, hélicoptères Tigre...), des navires (porte-avions, BPC – bâtiments de projection et de commandement –, sous-marins nucléaires d'attaque), des missiles, de l'optronique embarquée, des techniques d'imagerie, ou encore des chaînes de transmission de données à haut débit. Les militaires engagés dans le conflit libyen ont souligné la qualité du travail des industriels français, l'un d'eux s'exclamant même, à propos du pod RECO-NG : « C'est magique ! ». Ces équipements ont également montré toute leur efficacité en Afghanistan et ils ont été déterminants dans la résolution du conflit ivoirien.

Pour ces raisons, l'effort d'équipement des forces doit absolument être poursuivi. D'abord, parce que la qualité de l'équipement conditionne la réussite de nos armées sur les théâtres extérieurs ; ensuite, parce que ces équipements représentent des centaines de milliers d'emplois hautement qualifiés et difficilement délocalisables.

L'actuel gouvernement l'a bien compris. J'en veux pour preuve les chiffres des dépenses d'équipement annuelles des armées au cours des trois dernières lois de programmation militaires (LPM) : 14 milliards d'euros (valeur 2010) pour la LPM 1997-2002, sous le gouvernement de Lionel Jospin, 15,4 milliards d'euros (toujours en valeur 2010) pour la LPM 2003-2008 (gouvernements de Jean-Pierre Raffarin et de Dominique de Villepin), et 16 à 17 milliards d'euros pour la LPM en cours.

À titre d'exemple, les forces recevront en 2012 les principaux armements suivants : pour l'engagement et le combat, onze avions Rafale, trois hélicoptères de manoeuvre Caracal, six hélicoptères de combat Tigre, une frégate multimission (FREMM), cent véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI), trente-huit véhicules haute mobilité (VHM), seize missiles Exocet ; pour la projection et la mobilité, un navire de projection et de commandement (BPC), cinq avions de transport Casa CN235, huit hélicoptères NH-90, deux avions Falcon, deux cents petits véhicules protégés (PVP) ; pour la protection et la sauvegarde, deux systèmes de missiles sol-air moyenne portée terrestres (SAMPT), soixante et un missiles Aster, dix missiles Mica, quinze missiles rénovés Mistral, etc.

Le budget de la Défense représente des masses financières substantielles qui sont investies dans le tissu industriel national.

Le montant des dépenses budgétaires revenant in fine aux différents fournisseurs du ministère de la Défense correspond approximativement à celui des dépenses de fonctionnement et d'investissement du ministère. Il représente environ 50 % du budget de la mission, soit 20 milliards d'euros, en direction d'un ensemble d'environ 5 000 entreprises, dont deux tiers de PME-PMI. Une proportion importante des sommes versées aux entreprises revient ensuite à l'État : celui-ci, je le rappelle, reprend 56 % du PIB produit par les entreprises sous forme de prélèvements sociaux et fiscaux.

Le nombre de salariés travaillant directement dans le secteur de l'armement au sens strict peut être évalué à environ 250 000. Si l'on inclut les personnels employés par des entreprises duales, c'est-à-dire ayant à la fois des activités civiles et militaires, le nombre d'agents économiques concernés est de près d'un million.

Nos industries de défense et leurs applications civiles, notamment dans l'aéronautique, constituent le troisième secteur d'exportation après l'agroalimentaire et le luxe. L'impact social et l'impact en termes d'aménagement du territoire et de ressources pour les communes qui accueillent ces industries sont considérables.

Ces crédits alimentent également certains grands champions français ou européens, parfois leaders mondiaux dans leur catégorie, comme EADS, Thales, Dassault, Safran... L'ensemble de ces entrepreneurs développent des activités duales. Tout euro investi dans la recherche militaire conduit immanquablement à des progrès techniques qui sont, la plupart du temps, transposables dans le civil.

Quelques exemples de secteurs où la recherche est duale : les hélicoptères, dont certains modèles, développés pour des applications militaires, ont ensuite connu des versions civiles ; les avions, dont les progrès technologiques en matière de matériaux composites ou d'avionique ont des retombées sur les projets civils ; mais aussi les satellites et leurs lanceurs, le réseau Internet à très haut débit, les observations climatologiques, les techniques du laser, les nanotechnologies, etc.

La France, rappelons-le, est numéro un mondial en matière d'hélicoptères civils, en avions de transport civils et en aviation d'affaires. Elle est deuxième ou troisième en matière spatiale. L'aéronautique représente plusieurs centaines de milliers d'emplois.

Élément essentiel de la défense et de la sécurité de la France, notamment dans la lutte contre le terrorisme, la recherche du renseignement est l'action qui bénéficiera en 2012 – comme cela avait été le cas en 2011 – de la plus forte hausse de ses moyens financiers et humains. Le renseignement militaire – c'est-à-dire la DGSE (direction générale de la Sécurité extérieure), la DRM (direction du Renseignement militaire) et la DPSD (direction de la Protection et de la sécurité de la défense) – se verra en effet attribuer 675 millions d'euros de crédits de paiement contre 652 millions d'euros en 2011, soit une hausse de 3,7 %. Dans une période de déflation forte des effectifs du ministère, la DGSE est la seule à gagner des emplois : 690 agents sur la durée de l'actuelle programmation, soit un peu plus d'une centaine chaque année.

Notre défense doit s'adapter aux risques nouveaux, aux nouvelles technologies opérationnelles comme la surveillance et la militarisation de l'espace, la défense informatique, le renseignement moderne, la lutte contre le terrorisme et la prolifération nucléaire, contre les armes chimiques et biologiques...

Notre pays doit se montrer volontariste et inciter les industriels concernés à coopérer et à investir dans les domaines porteurs. Les talents foisonnent dans notre pays : faisons-les travailler ensemble ! Le manque d'ingénieurs déploré par les industriels doit inciter nos grandes entreprises à nouer entre elles des partenariats sur un certain nombre de sujets, à commencer par ceux nécessitant d'importants investissements de recherche comme le secteur aéronautique, notamment pour ce qui concerne les drones.

Ce manque d'ingénieurs peut être préjudiciable pour notre économie, en particulier la recherche et développement, l'innovation et la créativité, et risque de nous conduire, par compensation, à des « achats sur étagère ». Lorsque nous ne sommes plus en mesure d'innover et de produire, c'est notre savoir-faire qui disparaît. Combien de petits laboratoires d'une cinquantaine ou d'une centaine d'ingénieurs à la pointe du progrès conditionnent des centaines, voire des milliers d'emplois ? S'ils disparaissent, ce sont des pans entiers de nos industries qui risquent de s'effondrer.

Soutenir ces laboratoires et susciter des vocations d'ingénieur est d'autant plus important que nous sommes à même de gagner des parts de marché. Aux États-Unis, 50 % des ingénieurs du secteur aéronautique partiront à la retraite dans les cinq prochaines années, et il n'y a personne pour prendre la relève. Pour la France, c'est dès maintenant qu'il faut agir.

Le développement de notre industrie de défense passe aussi par l'exportation. À ce titre, je souhaite saluer les succès de l'année 2011, particulièrement fructueuse, et notamment le contrat passé avec l'Inde pour la rénovation de sa flotte de Mirage 2000, dont le principal bénéficiaire sera Thales ; et la vente à la Russie de deux BPC, ces navires de projection et de commandement qui sont en fait des porte-hélicoptères d'assaut. Ces navires seront assemblés en France, en attendant, nous l'espérons, une deuxième commande de deux autres BPC qui seraient assemblés à Saint-Pétersbourg. L'utilisation en Libye de ces plates-formes par les hélicoptères de l'aviation légère de l'armée de terre (ALAT), avec le succès que l'on sait, a bien montré l'intérêt de ce type de navires conçus par DCNS.

Nous espérons tous que l'année 2012 permettra la concrétisation de deux gros contrats de vente du Rafale : celui en cours de négociation avec les Émirats arabes unis, qui porte sur 60 appareils ; celui également en cours de négociation avec l'Inde, où le Rafale est en concurrence avec l'Eurofighter pour la fourniture de 126 chasseurs. Sur le plan de la qualité intrinsèque, les opérations en Libye ont démontré l'excellence de l'appareil français face à un concurrent dont la polyvalence et l'aptitude au combat doivent encore être prouvées.

La France est en train de réussir la transformation et la modernisation de ses armées, malgré un niveau d'engagement extérieur jamais atteint.

Bénéficiant de recettes exceptionnelles mais aussi d'une politique volontariste de la part du Gouvernement, les ressources militaires de la France sont bien moins touchées par les restrictions budgétaires qu'en Allemagne, par exemple, où l'on s'apprête à mettre en oeuvre une revue de programmes qui va probablement s'avérer déchirante. Notre pays, avec son groupe aéronaval, est envié par la marine britannique qui ne dispose plus de porte-avions ni d'aviation navale.

Pour conclure, je rappelle que le PIB de l'Union européenne s'élève à plus de 16 000 milliards de dollars contre 14 000 milliards de dollars pour les États-Unis. Nous sommes la première puissance économique et commerciale au monde. Si les principales composantes politiques et industrielles de l'Union voulaient bien coopérer davantage, on imagine sans peine la puissance qu'aurait l'Europe sur le plan économique, diplomatique et militaire. Selon les prévisions, et sauf événement particulier, la Chine n'atteindra pas le niveau de l'Union européenne avant 2035.

La survie de l'Europe passe par l'amélioration de la coordination de nos entrepreneurs, mais aussi par la coopération avec la DGA et le politique. Compte tenu de son étroite imbrication avec l'État, le secteur de la défense doit être exemplaire sur ce plan, sous peine de ne pas résister à la concurrence extra-européenne.

Le budget qui nous est proposé pour 2012 permettra à notre armée de conserver son rang, ses savoir-faire largement reconnus et ses capacités d'intervention. Je formule donc un avis favorable à l'adoption des crédits.

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