Le Bureau de notre Commission m'a chargé lors de sa réunion du mois de juillet dernier de faire le point sur la situation financière d'Areva et d'EDF. J'y consacrerai donc l'essentiel de mon intervention.
En ce qui concerne Areva, les comptes entre 2007 et 2010 doivent être interprétés au regard de la stratégie adoptée par le groupe. L'objectif était alors d'anticiper un « renouveau du nucléaire », c'est-à-dire une forte augmentation du recours à l'énergie nucléaire dans une perspective de hausse de la demande mondiale d'énergie et de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Areva a alors suivi une politique volontariste de prises de parts de marché pour devenir un leader mondial du secteur en tentant de capter une grande part de la croissance attendue. Une telle approche s'est traduite par une hausse régulière et substantielle du carnet de commandes, de l'ordre de 3,5 % par an en moyenne pendant cette période. Elle a aussi conduit le groupe à prendre des risques industriels lui donnant accès, par exemple, à une nouvelle technique d'enrichissement d'uranium qui semble compétitive.
En revanche, deux échecs sont à déplorer.
D'une part, la construction du premier EPR en Finlande s'est accompagnée de surcoûts et a connu d'importants retards, le montant provisionné des pertes à terminaison s'établissant à 2,6 milliards d'euros au 31 décembre 2010. Il pourra d'ailleurs encore évoluer à la hausse ou à la baisse : outre que les phases d'essai doivent être encore réalisées, des procédures contentieuses opposent le consortium mené par Areva et Siemens à leur client.
D'autre part, le rachat de la filiale minière UraMin s'est probablement fait à un prix trop élevé. Les volumes de production initialement attendus pourraient ne pas être constatés, et les investissements nécessaires à l'exploitation des mines risquent quant à eux d'être plus importants que prévu. Plus que le risque industriel encouru, ce sont les conditions de l'acquisition qui sont critiquables : premièrement, une certaine précipitation semble avoir prévalu au moment où les cours de court terme de l'uranium atteignaient un pic historique ; deuxièmement, les conditions posées par l'Agence des participations de l'État (APE), notamment l'entrée au capital de la société d'un partenaire industriel – en l'occurrence, chinois, –, n'ont pas été respectées. Il est certes possible de comprendre qu'Areva, alors étroitement dépendant du Niger, ait cherché à diversifier ses approvisionnements mais il est à craindre que l'opacité du management n'ait pas permis à l'APE d'assurer un contrôle suffisamment étroit sur l'opération, le fait que les recommandations de l'APE n'aient pas été suivies constituant une prise de risque supplémentaire. À moyen et long terme, cet échec sera peut-être relativisé : outre que le cours de l'uranium pourrait remonter, il n'est pas exclu que certains gisements, notamment en Centrafrique, se révèlent plus intéressants. J'ajoute que les obstacles rencontrés ne concernent pas les seuls gisements. Des retards ont été pris dans la recherche de terrains, la construction d'une usine de « désalinisation » d'eau de mer, etc.
Les perspectives de court terme d'Areva se sont assombries à la suite de l'accident de Fukushima. L'entreprise devra revoir à la baisse ses investissements et diminuer ses coûts, la maîtrise de ces derniers étant d'autant plus importante qu'Areva a pâti, ces dernières années, d'une faible rentabilité opérationnelle due notamment à une insuffisante maîtrise des dépenses, en particulier dans les fonctions support.
En revanche, les perspectives de long terme du groupe pourraient être meilleures puisque les conditions qui avaient conduit à anticiper un renouveau du nucléaire demeurent, à savoir la hausse de la demande mondiale d'énergie et le besoin d'énergies décarbonées. D'ici à 2050, les besoins en électricité devraient en effet doubler en même temps qu'il conviendra de diviser par deux les rejets de CO2. De surcroît, de nombreux pays poursuivent l'exploitation de l'énergie nucléaire – Inde, Chine, Royaume-Uni ou Pologne – et Areva sera en mesure de saisir les opportunités si l'EPR se montre compétitif par rapport aux autres sources d'énergie. À cet égard, il est probable que son haut niveau de sûreté, considéré hier comme un surcoût inutile, se révélera demain en atout important. De plus, Areva est présente sur les bases installées et assure l'entretien permanent des centrales, ce qui lui assure un volume d'affaires important. Enfin, si Areva se positionne sur l'appel d'offres concernant l'éolien off-shore, elle trouvera là les moyens d'un développement futur.
En ce qui concerne EDF, l'analyse des comptes de 2007 à 2010 ne suscite pas d'inquiétude particulière : la rentabilité du groupe est élevée et stable, et son endettement, même s'il est en hausse, reste soutenable.
J'attire l'attention de la Commission sur les investissements nécessaires à la modernisation du parc nucléaire français. EDF souhaite porter la durée de vie des centrales de quarante à soixante ans et anticipe dans cette optique une hausse sensible de ses dépenses de maintenance, lesquelles pourraient atteindre 15 milliards entre 2011 et 2015. Les prolongations ne sauraient cependant être accordées qu'à la condition de garantir le plus haut niveau de sûreté possible et de tirer les leçons de l'accident de Fukushima. L'avis de l'Autorité de sûreté nucléaire sera rendu avant le 15 novembre prochain et ses recommandations devront être examinées avec beaucoup d'attention. Il doit être clair, dès maintenant, que les investissements en matière de sûreté seront prioritaires sur tous les autres : ils constituent en effet un enjeu d'ordre public car ils conditionnent la sécurité des employés travaillant sur les sites et celle des populations qui vivent à proximité. De surcroît, ils sont les garants de l'intérêt social d'EDF en préservant son avantage comparatif. Les perspectives commerciales de l'ensemble de la filière nucléaire française, dont la réputation de sûreté constitue un atout dans la compétition internationale, dépendent également de la qualité des installations nucléaires en France.
Les relations entre Areva et EDF se sont nettement améliorées : les deux entreprises, en effet, sont capables de renouer des contacts, de passer de nouveaux contrats et d'imaginer des partenariats, notamment dans le cadre de l'optimisation de l'EPR. Trois perspectives doivent être encore concrétisées : le codéveloppement d'un réacteur moyen éventuellement avec un partenaire chinois ; la formulation, par EDF, de propositions concernant ATMEA ; l'approvisionnement en uranium. Avec GDF-Suez, ces deux entreprises sont la clé de voûte de la filière nucléaire française.
La situation budgétaire du compte d'affectation spéciale Participations financières de l'État se caractérise par une forte tension. En raison des mauvaises conditions de marché, les cessions d'actifs sont difficiles à réaliser, ce qui limite les ressources. Une telle situation pourrait favoriser des débudgétisations via le recours à l'APE ou au Fonds stratégique d'investissement et, donc, porter atteinte à l'information du Parlement. Enfin, je note que, si la prévision conventionnelle de 5 milliards de recettes et de dépenses est reconduite comme chaque année, il est toutefois probable qu'en raison du manque prévisible de recettes, l'activité sur le compte sera limitée.