Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Jean-Claude Volot

Réunion du 26 octobre 2011 à 10h15
Commission des affaires économiques

Jean-Claude Volot, médiateur des relations inter-entreprises industrielles et de la sous-traitance :

C'est un grand plaisir pour moi de venir vous présenter le travail accompli depuis 18 mois avec l'aide de mes collaborateurs dans ce domaine relativement nouveau qu'est le regard de l'État sur les relations inter-entreprises.

Je dois dire que nous allons de surprise en surprise dans l'exercice de notre mission et que celles-ci sont généralement assez désagréables… Il est d'autant plus nécessaire de poursuivre notre action si l'on veut réellement pacifier ces relations dans l'optique d'une meilleure compétitivité globale de notre économie.

Après 18 mois d'exercice, la médiation a examiné au total 320 dossiers, ce qui représente au final près de 844 000 emplois. Les saisines sont de trois sortes.

Il peut tout d'abord s'agir de saisines individuelles, c'est-à-dire émanant d'une entreprise à l'encontre d'une autre entreprise. Il faut souligner que ce type de saisine pâtit de la crainte ressentie par les entreprises à saisir la médiation pour mettre un terme à une difficulté avec un client ; il est donc nécessaire de vaincre ces réticences pour faire implanter durablement la culture de la médiation dans notre pays qui demeure culturellement un pays de conflits.

Le deuxième type de saisine est la saisine collective qui émane cette fois d'un ensemble d'entreprises, souvent plusieurs dizaines, à l'encontre des pratiques d'un grand groupe. A titre d'illustration, il a pu s'agir de la pratique scandaleuse du « quick saving », ou d'autres pratiques de vente illégales que nous nous employons à bloquer directement au niveau des états-majors des grands groupes.

Le troisième type de saisine est la saisine de branche que nous voyons se développer et qui témoigne des mauvaises relations qui existent entre les différentes branches d'un secteur économique. Un premier exemple concerne la saisine des vitriers à l'encontre des fournisseurs de verre qui décident en pratique, entre grands groupes multinationaux dont Saint-Gobain, du prix du verre. On peut également citer le cas des plasturgistes à l'encontre des grandes entreprises du secteur de la chimie. Ce type d'action qui oppose véritablement des métiers à d'autres métiers connaît une croissance importante. Il est clair que le fait d'avoir nommé un Médiateur qui va observer toutes ces pratiques permet de découvrir un ensemble de pratiques posant problème dans la mesure où elles conduisent à une répartition très inégale de la valeur ajoutée entre les entreprises, bien entendu au détriment des plus faibles, ce qui est destructeur pour l'emploi et le maillage des entreprises sur le territoire.

Le problème est grave. On constate que 35 grands groupes industriels ont, sans doute par nécessité, transformé notre pays en un pays de sous-traitance. Il s'agit d'une différence fondamentale par rapport à l'Allemagne où les entreprises disposent de davantage d'indépendance et produisent plus souvent des produits finis. La mutation du statut de sous-traitant à celui d'entreprise indépendante est un des principaux enjeux de l'industrie française, surtout dans une période où, particulièrement en France, les grands groupes fonctionnent de plus en plus de manière apatride. Le comportement de ces groupes ne prend aucunement en compte l'intérêt national contrairement à ce que l'on peut observer dans un pays à dominante libérale comme la Grande-Bretagne. Par ailleurs, il est particulièrement intéressant d'observer que ces mêmes groupes ne cessent d'adresser des demandes à l'État, particulièrement en ce qui concerne les aides qui peuvent leur être allouées alors que leurs activités ne concernent notre pays qu'à hauteur de 25 %. Je crois que le fait que ces groupes industriels, leaders sur le marché, réalisent la plus grande partie de leur chiffre d'affaire à l'étranger doit nous conduire à réfléchir aux aides que nous leur apportons au niveau national. Le journal « Les Échos » avait fait sa une il y a quelques mois sur les 140 milliards d'euros de trésorerie inutilisés dont disposent les entreprises du CAC 40 alors que l'on connaît par ailleurs la situation de trésorerie des petites et moyennes entreprises, sans parler de celles de l'État et des collectivités territoriales. Cela donne à réfléchir !

Sachez que j'aborde ces questions avec mon regard d'entrepreneur social, défenseur des PME : je souhaite donc tenir un discours de vérité. En ce qui concerne les mauvaises pratiques, nous en dénombrons désormais 37 au lieu de 35 l'an passé. Pour illustrer le cynisme de ces pratiques je vous indique que la plus récente de celles-ci émane des fonds d'investissement qui enjoignent aux entreprises dans lesquelles ils ont investi de ne plus payer spontanément leurs fournisseurs, mais d'attendre la troisième relance pour s'exécuter ! Cette pratique repose sur le fait que 3 à 5 % des factures ne sont jamais réclamées et finissent donc par être inscrites au bénéfice de l'entreprise quelques années plus tard. J'ai bien entendu écrit à l'association française des investisseurs en capital (l'AFIC) pour qu'elle diffuse une circulaire demandant à ce que ce type de pratique d'un cynisme confondant cesse au plus vite.

On souhaite cartographier les 37 mauvaises pratiques auxquelles j'ai fait allusion par types de métiers afin d'agir au niveau des professions afin de modifier par la suite des comportements au niveau des métiers dans une logique macroéconomique.

Vous l'avez rappelé, Monsieur le Président, le taux de réussite de la Médiation est actuellement de 85 % mais, en vérité, nous faisons surtout de la régulation, plus que de la médiation, qui ne concerne que deux à trois saisines sur dix. Nous insistons beaucoup sur le rappel à la loi et sur la nécessité de respecter la loi.

169 entreprises, qui représentent plus de 400 milliards d'euros d'achat sur le territoire national, sont actuellement signataires de la Charte des bonnes pratiques. Même si elles l'ont signée, on sait que les changements de comportements seront longs à obtenir : il nous faudra au moins 5 à 7 ans pour qu'ils changent. Lorsque l'on constate des mauvaises pratiques, je contacte immédiatement les dirigeants des entreprises en question ou des groupes qui, généralement, diligentent un audit interne pour constater la situation. En général d'ailleurs, leur constat confirme ce que nous avions déjà pu déceler ! Ensuite, ils prennent souvent des décisions très dures, allant même jusqu'au licenciement des personnes qui se sont rendues coupables de tels agissements. Je les crois sincères mais ils sont parfois victimes du cynisme du système : diriger un établissement s'accorde parfois mal avec l'éthique d'une entreprise !

Sur le sujet des délais de paiement, nous avons une doctrine claire à la Médiation : pour nous, tout doit conduire à diminuer les délais de paiement car l'objectif à atteindre est d'aller vers des délais habituels de 30 jours. Si l'on prend l'exemple d'un grand groupe de l'aéronautique que tout le monde connaît ici, on constate que c'est une superbe entreprise, que ses dirigeants souhaitent ouvertement soutenir les PME mais on constate qu'ils ont instauré un système de besoins de fonds de roulement qui pèse sur les fournisseurs, ce qui tarit mécaniquement leurs capacités d'autofinancement. Ces PME doivent se retourner vers les banques qui, on le sait, peuvent être frileuses pour accorder des financements. Or, là, ce ne sont pas les banques les premières responsables : le cynisme de l'ensemble masque souvent la bonne fois de chacun ! À Toulouse, cette grande société s'est ainsi déchargée sur les PME pour ses achats de matières premières : le coût global est de 53 millions d'euros pour des petites entreprises, c'est un exemple typique de transfert de BFR (besoins de fonds de roulement) sur le dos des fournisseurs. De manière globale, tout ce qui concourt à diminuer les délais de paiement est bon, tout ce qui contribue à les augmenter doit être banni. On apprend chaque jour de nouvelles méthodes mises en oeuvre afin de rallonger les délais de paiement au mépris des dispositions de la loi, et notamment de la LME. Ainsi, on a récemment appris comment la dématérialisation des factures était utilisée à cette fin en développant par ailleurs l'auutofacturation, où c'est le client qui facture à la place du fournisseur. Ainsi, le fournisseur livre l'entreprise le 20 du mois, le client émet la facture seulement le 5 du mois suivant et on obtient ainsi un décalage de trésorerie de 20 à 30 jours qui, pour un groupe faisant 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires, coûte 300 à 350 millions d'euros en trésorerie ! Il existe également un vrai souci en ce qui concerne le déclenchement du paiement de la TVA : l'État souffre ainsi également de problèmes de trésorerie et, au surplus, l'administration fiscale fera finalement reposer la faute sur le fournisseur, et non sur le client. C'est une bonne astuce pour ne pas respecter la LME !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion