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Intervention de Luc Ferry

Réunion du 11 octobre 2011 à 16h00
Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Luc Ferry, président délégué du Conseil d'analyse de la sociét :

Si je rejoins Mme Badinter sur la critique de l'écologisme, cela ne veut pas dire que je l'approuve en tout.

Quant à expliquer la distorsion qui peut se produire entre l'identité et l'orientation sexuelles, c'est une question scientifique et philosophique complexe. En général, on invoque un mélange de nature et de culture, ce qui est manifestement une motion de synthèse. Les travaux menés aux États-Unis par Simon LeVay sur le gène de l'homosexualité tendent à lui assigner une origine génétique et à montrer qu'elle ne résulte pas d'un choix. Ils confirment le témoignage d'homosexuels qui disent avoir découvert leur sexualité, souvent très tôt, sans l'avoir choisie. Quoi qu'il en soit, et quelque explication qu'on lui donne, la différence entre identité et orientation sexuelles existe. La question scientifique et philosophique reste ouverte. Elle engage l'idée qu'on se fait de la liberté humaine, dans laquelle Sartre distingue détermination et situation, c'est-à-dire ce qui nous détermine et ce par rapport à quoi nous nous déterminons. Il ne me paraît pas illégitime que le problème puisse être abordé par un agrégé de biologie qui expliquerait aux élèves, avec intelligence et sensibilité, que, si la nature ne fait pas tout, elle a sa part dans cette affaire.

J'ajoute un dernier point. Non seulement le pape n'est pas Jésus, mais il y a un abîme entre eux. Sans être croyant, j'ai une admiration sans limite pour l'Évangile de Jean. Or, j'ai beau le lire et le relire sans cesse, je n'y trouve pas un mot ni sur le préservatif ni sur d'autres sujets qui semblent tétaniser l'Église sans que Jésus s'y soit jamais intéressé. Un des plus beaux passages, avec la résurrection de Lazare, est l'histoire de la femme adultère. Aux Juifs qui s'apprêtent à la lapider, Jésus, qui s'est mis hors de leur cercle et trace des figures dans le sable, lance : « Que celui qui n'a jamais péché lui jette la première pierre ». C'est l'apparition du forum intérieur, de la conscience.

Le débat entre Jésus, qui est un rabbi, un sage juif, et les orthodoxes, les traditionalistes, est plus présent encore dans l'Évangile de Mathieu. Jésus leur explique que rien de ce qui vient de l'extérieur ne peut les souiller. Peu importe ce qu'ils mangent ou le fait qu'ils serrent la main à une prostituée ! Lui-même est entouré de courtisanes, d'ouvriers, de charpentiers que les rabbins distingués d'alors ne fréquentaient pas. À ses yeux, on ne peut être souillé que par ce qui vient de soi. Instaurant la conscience comme instance de décision éthique, il renvoie chacun à sa propre délibération intérieure plus qu'à la règle extérieure, qui prescrit, entre autres absurdités, de ne pas manger de poissons sans écailles. Le débat est interne au judaïsme, puisque, par définition, le christianisme n'existe pas encore. Quelle différence entre Jésus, lançant l'idée que c'est la conscience morale et spirituelle qui compte, et les âneries que l'Église inventera au fil des siècles, comme l'obligation de manger du poisson le vendredi !

Quand une petite fille de neuf ans qui attendait des jumeaux, à la suite d'un viol, s'est trouvée en danger de mort, parce qu'elle était trop petite pour accoucher, il s'est trouvé un évêque brésilien pour annoncer que, dans son cas, mieux valait mourir, l'avortement étant un péché mortel. Il a été heureusement désavoué par Benoît XVI, car face à une telle bêtise, qui faisait la une de la presse mondiale, il fallait bien revenir à la raison. Dans l'Evangile de Jean, on trouverait plus de raisons de laisser la fillette en vie.

Sur le sujet qui nous occupe aujourd'hui, j'ai défendu Luc Chatel, considérant que les associations catholiques s'étaient engagées sur une mauvaise voie. J'aurais signé des deux mains une pétition dénonçant les écarts de l'idéologie américaine des gender studies. Mais pourquoi soutenir que, si l'orientation sexuelle s'écarte de l'identité sexuelle, c'est un désordre et potentiellement une faute ? Arrêtons l'homophobie, qui est le fond du problème. Les écologistes durs et l'extrême droite traditionaliste se sont retrouvés sur un mauvais terrain.

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