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Intervention de François Loos

Réunion du 19 octobre 2011 à 10h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Loos, co-rapporteur :

Comme l'a souligné Mme Pascale Got, les marchés de matières premières minérales et énergétiques sont suspendus aux aléas de l'économie chinoise. Entre 2002 et 2007, la demande de la Chine, de l'Inde et du Moyen-Orient a été à l'origine de 50 % de l'augmentation de la consommation mondiale de pétrole. On estime que près de 80 % de la croissance de la demande de pétrole sera fournie par l'Asie à l'horizon 2030. Dans le secteur des métaux, la Chine a représenté à elle seule 90 % de l'augmentation de la consommation mondiale de cuivre. La demande chinoise devrait continuer à augmenter jusqu'à ce que ce pays atteigne un taux d'urbanisation de 60 % - sachant qu'il se situe actuellement à un niveau de 50 %.

Cette augmentation de la demande en énergie et en métaux se heurte à une rigidité de l'offre, ce qui entretient une tension permanente sur les prix. Dans le domaine pétrolier, l'offre n'excède que très faiblement la demande. Nous ne sommes pas en situation de pénurie, mais il y a une rareté de la ressource, due aux sous investissements, qui devrait conduire, d'ici quatre à cinq ans, à une réelle insuffisance de la production, c'est-à-dire à un écart d'environ un million de barils par jour entre la demande mondiale et les capacités de production.

Quelles conséquences peut-on attendre de cette situation sur le prix du baril ? La stratégie de l'OPEP, – Arabie Saoudite en tête –, consiste à fixer, à travers les quotas, des prix suffisamment élevés pour que les pays non-membres de l'OPEP poursuivent l'exploitation de leurs gisements jusqu'à épuisement, mais assez « faibles » pour freiner la recherche de substituts à grande échelle de la part des pays consommateurs, c'est-à-dire ne dépassant pas un seuil de 110 à 120 $ le baril. Par ailleurs, à la fin des années 1990, l'Arabie Saoudite parvenait à équilibrer son budget avec un baril situé entre 15 et 20 $. Ce n'est plus le cas. Même si l'Arabie Saoudite supporte un coût marginal d'extraction très faible, de l'ordre de 15 $ le baril, elle a besoin aujourd'hui d'un cours élevé, de l'ordre de 70 à 80 $ le baril.

Ce phénomène d'insuffisance de l'offre produit également des tensions très fortes sur les marchés des métaux. Les pays occidentaux connaissent une situation générale de sous-investissement dans la production minière depuis vingt ans. A cela s'ajoutent la diminution de la productivité de certaines mines et les contraintes environnementales. L'ensemble de ces facteurs devrait conduire, à l'horizon 2015, à une pénurie de l'offre pour la totalité des métaux industriels.

Face à cela, l'Europe a défini en 2008 une stratégie pour améliorer l'accès aux matières premières, et la France comme l'Allemagne ont créé des structures spécialisées dans l'approvisionnement en matières premières. Nous formulons pour notre part plusieurs propositions destinées à améliorer l'approvisionnement de l'Europe, entre autres : mieux faire respecter les règles de l'OMC, conclure des accords avec les pays riches en ressources et élaborer une stratégie concertée entre l'État et les industriels.

Les tensions entre l'offre et la demande sont accentuées par l'opacité des marchés physiques et le manque de régulation de ces marchés. Des efforts importants ont été menés sous l'égide du G20 pour promouvoir la transparence sur le marché pétrolier, mais des progrès substantiels restent à accomplir : nous formulons d'ailleurs plusieurs propositions à ce sujet, en particulier une consolidation et un élargissement de l'initiative sur la transparence des données (dite « JODI »). Pour remédier à l'opacité sur les marchés des métaux, qui apparaît encore plus forte, nous proposons notamment un élargissement des accords internationaux sur les métaux de base ainsi que la supervision des agences d'évaluation des prix.

De plus, les tentatives d'abus de position dominante sont fréquentes sur ces marchés. La plus emblématique est la réalisation d'un « corner », c'est-à-dire l'accaparement d'une partie des stocks mondiaux d'un métal donné ; la manipulation des frères Hunt sur le marché de l'argent entre 1973 et 1980, est restée dans les mémoires. Pour remédier à cette opacité, nous proposons d'instituer des règles de prévention des conflits d'intérêt, de créer – à des conditions précises – une base de données européenne répertoriant certains contrats physiques et d'étendre les prérogatives du régulateur financier.

La troisième partie du rapport analyse l'impact de la financiarisation des marchés sur les fluctuations de prix et propose un certain nombre de mesures pour réduire le risque d'instabilité. Comme l'a rappelé Mme Got, une question fondamentale à laquelle nous avons été confrontés a été d'évaluer le rôle de la spéculation, et plus généralement des marchés dérivés, sur les fluctuations des prix.

Je rappellerai deux caractéristiques fondamentales des marchés dérivés de matières premières. En premier lieu, les acteurs financiers ont massivement investi dans les matières premières depuis le milieu des années 2000, à telle enseigne que les matières premières sont devenues une classe d'actifs à part entière, au même titre que les actions ou les obligations. En deuxième lieu, la finance occupe une place disproportionnée par rapport aux fondamentaux économiques : le ratio des contrats à terme sur les contrats physiques atteint 35 sur le marché du pétrole, et 32 sur le marché de l'aluminium. Cela a pour conséquenceun parallélisme plus marqué entre, d'une part, les cours des matières premières et les cours des actions, d'autre part les cours des matières premières elles-mêmes – en particulier le pétrole et les matières agricoles.

Sur le rôle de la spéculation, deux faits saillants ressortent de nos auditions. Premièrement, aucune étude n'a pu démontrer un lien de causalité entre l'activité sur les marchés à terme et l'évolution des prix physiques. Les financiers que nous avons auditionnés nous ont répété à l'envi qu'ils n'étaient pas à l'origine de la spéculation. Deux arguments ont notamment été avancés par nos interlocuteurs les spéculateurs présentent une utilité car ils assurent la contrepartie à l'activité de couverture des acteurs commerciaux ; les spéculateurs ont souvent un temps de retard sur les prix.

En revanche, un quasi-consensus s'est formé pour reconnaître aux marchés à terme un rôle d'amplificateur des déséquilibres résultant de l'économie réelle.

Toutefois, si la spéculation n'entraînait pas de hausse des prix, quel serait l'intérêt des sociétés financières à stocker du pétrole et des métaux ? Même s'il faut rester prudent, car les informations disponibles demeurent imprécises, on estime que le premier propriétaire mondial de stocks pétroliers n'est pas Saudi Aramco, Exxon Mobil ou Total, mais une société financière, en l'occurrence Morgan Stanley. Par ailleurs, deux sociétés financières bien connues - Goldman Sachs et JP Morgan - ont racheté une grande partie des 600 entrepôts mondiaux de stockage agréés par le London Metal Exchange (LME). Cela ne répond évidemment pas à des exigences de logistique. Il s'agit plutôt pour ces sociétés de se procurer des informations de première main sur l'identité des acheteurs et des vendeurs.

La spéculation a incontestablement joué un rôle important dans la hausse du cours du baril de pétrole entre 2000 et 2008. Il en va de même sur le marché du cuivre. En tout état de cause, le rôle des marchés financiers est fondamental car le prix d'un certain nombre d'opérations commerciales, notamment le prix du pétrole physique, est dérivé du prix des contrats à terme.

Par ailleurs, de nouveaux produits d'investissement commencent à déstabiliser les marchés : ce sont les ETF (Exchange Traded Funds), qui sont des certificats d'investissement qui ont pour contrepartie un stock physique de métaux. Le métal correspondant au certificat de propriété est retiré du marché. A mesure que les investissements s'accroissent, la matière disponible pour l'industrie diminue et les prix augmentent. Les principaux gestionnaires de ces fonds, Goldman Sachs et JP Morgan, créent intentionnellement de la pénurie en retirant le métal du marché.

Ces observations nous ont conduits à proposer un éventail de mesures destinées à améliorer le fonctionnement des marchés, tant sur le plan de l'information que de la régulation. Nos propositions s'organisent autour de deux objectifs. Le premier d'entre eux est d'apaiser les tensions sur les marchés physiques, grâce à trois outils essentiels : l'amélioration de l'approvisionnement de l'Europe en matières premières ; la réduction de l'opacité des marchés physiques ; l'institution d'un minimum de régulation sur ces marchés, notamment en Europe. Le deuxième objectif consiste à prévenir les risques d'instabilité en provenance des marchés financiers, par l'amélioration de l'information relative aux acteurs et aux opérations et à l'extension du champ de la régulation.

Deux mesures en particulier nous paraissent essentielles : l'amélioration de l'information sur l'identité des acteurs intervenant sur les marchés de matières premières et la nature des opérations auxquelles ils se livrent. C'est pourquoi nous proposons d'instituer une obligation de déclaration des opérations réalisées sur les marchés à terme auprès d'un registre central. Cela permettra de distinguer les opérateurs présents pour des motifs de couverture et ceux d'entre eux qui ont des intentions purement spéculatives. La deuxième mesure essentielle consiste à conférer le pouvoir aux régulateurs financiers de fixer des limites de position sur l'ensemble des marchés dérivés de matières premières – organisés et de gré à gré. Comme mes collègues l'ont évoqué, un pas en avant a été accompli dans cette direction hier aux États-Unis. La fixation de règles de la part de l'Union européenne et du G20 est aujourd'hui à l'étude. Mais encore faut-il pouvoir identifier les différents acteurs et fixer précisément les modalités de ces limites de position.

Pour conclure, mes chers collègues, j'insisterai sur le fait que, si l'on veut éviter une fuite de capitaux vers d'autres marchés, notamment asiatiques, il est impératif de définir une stratégie coordonnée à l'échelle internationale. C'est pourquoi, lors du sommet de Cannes, les 3 et 4 novembre prochains, nous préconisons que le G20 missionne le Conseil de stabilité financière pour coordonner l'action de régulation sur l'ensemble des marchés de matières premières.

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