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Intervention de Catherine Vautrin

Réunion du 19 octobre 2011 à 10h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCatherine Vautrin, co-rapporteure :

Je tiens tout d'abord à souligner la contribution de Michel Raison qui m'a accompagnée lors des auditions réalisées pour la rédaction de ce rapport, et nous a fait profiter de l'expertise que nous lui connaissons dans ce domaine.

Comme vient d'y faire allusion Pascale Got, la volatilité du cours des matières premières a touché l'ensemble de la sphère économique. Au coeur de ce phénomène, le marché des matières premières agricoles a revêtu une grande importance au cours des mois passés.

On a facilement attribué aux variations des cours les fameuses « émeutes de la faim » qui ont touché aussi bien certains États d'Asie (je pense au Viêtnam) que certains États d'Afrique, notamment au Maghreb ou en Égypte… Il ne faut pas se tromper : la volatilité des cours des matières premières n'est pas la cause de ces émeutes, je pense qu'elle n'en a été au mieux que le déclencheur, les raisons des soulèvements auxquels nous avons assistés sont, avant tout, des raisons d'ordre politique et d'aspiration à davantage de démocratie et de liberté.

Toujours est-il que les variations des prix des matières premières agricoles ont revêtu une importance qu'elles n'avaient pas eue il y a encore quelques années. Cela tient à deux phénomènes :

- le premier, qui est ancien, est la fameuse loi économique de King suivant laquelle une petite évolution de volume entraîne de fortes variations de prix ;

- le second, plus récent et qui est évidemment appelé à prendre de l'ampleur avec le temps, tient à la rapidité de la diffusion des informations qui, combinée avec la perméabilité des marchés, conduit à un impact général des hausses ou des baisses des cours d'une ampleur ignorée jusqu'alors.

En effet, comme nous l'a dit, lors d'une audition l'économiste Lucien Bourgeois, le monde doit faire face à un défi que l'on peut résumer de la façon suivante : « il faut un an pour faire pousser un grain de blé et il faut manger trois fois par jour »… Ce paradoxe, accru par une augmentation inexorable de la population mondiale (on estime à 9 milliards le nombre d'habitants sur terre en 2050 !), pèse évidemment sur la demande. Mécaniquement, si l'offre ne réagit pas, le déséquilibre ou les seules tensions qui peuvent exister sur ce point suffisent à provoquer des hausses de prix extrêmement importantes. Car, avant d'entrer dans le détail, je pense qu'il faut insister, comme l'a fait Mme Pascale Got en introduction, sur un point essentiel rappelé dans toutes nos auditions, par les différents experts : la volatilité des cours des matières premières, et notamment agricoles, a peu à voir avec la spéculation. Même si cette dernière est assez souvent montrée du doigt, elle ne fait qu'amplifier un phénomène qui lui est préexistant. La volatilité des prix des matières premières agricoles tient en premier lieu aux fondamentaux économiques.

Je souhaiterais dans un premier temps rappeler les principales causes de cette volatilité qui, comme vous allez le voir, sont plutôt indépendantes de tout phénomène spéculatif.

En premier lieu, les causes météorologiques ont un impact indéniable sur le cours des matières premières agricoles. Le pré-rapport qui vous a été distribué démontre que dans l'évolution du prix de quelques grandes productions (le blé, le maïs, le coton, le cacao…), les phénomènes climatiques ont toujours joué un rôle majeur. Qu'il s'agisse des grandes sécheresses qui ont affecté l'Europe de l'Est et notamment la Russie à l'été 2010 (poussant à la hausse les cours du blé), des inondations qui ont touché l'Inde et le Pakistan en 2010 et qui ont fortement obéré la production mondiale de coton, des cyclones et des inondations qui ont balayé l'Australie, empêchant là aussi les récoltes de blé et de maïs, la météorologie a une importance évidente dans les variations de prix que nous connaissons actuellement.

Deuxième grande source de la volatilité actuelle, les changements de comportements au plan mondial. On peut en distinguer deux principaux :

- la demande des matières premières agricoles est inélastique car ce sont bien souvent des biens de première nécessité dont la hausse va être continue en raison de l'augmentation de la population mondiale, et des progrès de développement qui entraînent des changements de comportements alimentaires. La hausse du niveau de vie pousse à une forte augmentation de consommation de produits carnés ce qui, fort logiquement, entraîne une demande accrue de besoins de maïs et de soja pour nourrir les animaux ; or, si les prix augmentent à l'avenir, la demande ne va pas baisser pour autant et, face à des stocks fluctuants, les prix seront amenés à varier ;

- autre changement de comportement, ce sont les préoccupations environnementales. Celles-ci poussent notamment à un développement des énergies alternatives au détriment des énergies fossiles, M. François Loos en parlera mieux que moi, et notamment en ce qui concerne le pétrole. Dans ce cadre, le développement du bioéthanol a conduit les Etats-Unis à affecter près de 40 % de leur production de maïs à la fabrication de bioéthanol, autant de production qui ne sert pas à l'alimentation humaine. Sachez que, si l'on excepte le riz, sur 1730 millions de tonnes de céréales produites au niveau mondial, 293 millions de tonnes sont utilisées à des fins industrielles soit le 16ème ! Même s'il faut relativiser l'impact de cette évolution sur la volatilité des prix agricoles (car, dans le même temps, les rendements ont augmenté, de même que l'étendue des surfaces cultivées), elle doit être présente à l'esprit.

Même si cette nouvelle finalité de certains produits agricoles, en particulier de céréales, peut pousser les prix à la hausse, vos rapporteurs souhaitent relativiser certaines critiques adressées à cette nouvelle fonction. D'une part, le développement des agrocarburants est essentiel non seulement pour pallier le manque d'énergies fossiles à l'avenir, mais aussi pour préserver au mieux l'environnement et pour permettre aux pays en voie de développement d'assurer en partie leur indépendance énergétique. D'autre part, ce qui importe, ce sont moins les niveaux de production des agrocarburants que la manière dont ils sont fabriqués. À cet égard, il convient de développer les recherches sur les biocarburants de deuxième génération c'est-à-dire issus non de ressources alimentaires mais de produits ligno-cellulosiques (bois, feuilles, déchets végétaux…) qui, au surplus, utilisent des techniques de production non polluantes (préservant la couche d'ozone…). Enfin, il importe de préciser que le détournement de production de céréales au profit des agrocarburants ne doit pas être appréhendé de manière purement arithmétique. En effet, même si près de 40 % de la production de maïs américain est utilisée pour les biocarburants, les rendements ont, dans le même temps, considérablement augmenté sous le double effet d'une meilleure productivité et d'une extension de la surface des terres cultivées. Ainsi, on estime que les États-Unis produisent actuellement environ trois milliards de boisseaux de plus qu'il y a cinq ans, compensant ainsi en grande partie le « détournement » constaté.

En troisième lieu, certaines variations de cours de matières premières agricoles sont dues à des décisions purement politiques, certaines étant d'ailleurs prises à la suite de difficultés climatiques. Ainsi, lorsque, le 5 août 2010, M. Vladimir Poutine, premier ministre russe, décida de fermer les frontières de son pays et de suspendre toute exportation de céréales (principalement de blé) entre le 15 août et le 31 décembre 2010, cela a immédiatement entraîné une augmentation de 60 cents le boisseau de blé sur le marché de Chicago. Le rôle du politique n'est pas nouveau dans l'évolution, volontaire ou non, des prix agricoles mais celle-ci a récemment eu des conséquences importantes : on peut également citer l'exemple de la Chine sur le marché du riz ou les conséquences qu'ont eues les luttes en Côte d'Ivoire sur le cours du cacao.

Quatrième grande cause de la volatilité des prix agricoles, et il ne faut pas s'en cacher, ce sont les décisions d'ordre économique qui ont pu être prises au fil des dernières années :

- l'attitude de l'OMC (organisation mondiale du commerce) qui consiste à vouloir libéraliser la plupart des marchés au plan mondial a indéniablement contribué à favoriser la volatilité des prix agricoles. L'impact de ses décisions est d'autant plus fort que, si l'on prend en considération le seul marché des céréales, les échanges internationaux sont peu importants au regard des volumes de production ;

- si l'on prend en considération cette fois-ci la situation française, reconnaissons également que la libéralisation des marchés prise dans le cadre de la politique agricole commune a eu un impact indéniable au niveau de l'Union européenne mais également au-delà. La disparition d'instruments de stabilisation, des prix d'intervention, des prix de seuil et de certains autres instruments de régulation ont eu pour effet, pour reprendre là aussi l'expression que nous avons entendue lors de certaines auditions, d'« importer de la volatilité », celle-ci étant désormais devenue structurelle.

La volatilité des prix des matières premières agricoles tient également à de pures stratégies financières, la volatilité étant même un objet de transactions à part entière, à la création de « fonds indiciels » où les prix de différentes matières premières sont liés de telle sorte que la variation de l'une d'entre elles conduit inévitablement à faire bouger les autres, aux variations de change, la parité dollar euro pouvant par exemple avoir de fortes conséquences sur les cours…

Une fois ce constat effectué, que faut-il faire ?

Les efforts pour assurer une stabilité des prix des matières premières, notamment agricoles, ne sont pas nouveaux. J'évoquerai ici les travaux précurseurs de l'économiste argentin Raùl Prebisch qui, en sa qualité de premier secrétaire général de la CNUCED était particulièrement attaché à l'aide aux pays en voie de développement, avait pointé dès le début des années 1960 les dégâts irrémédiables qu'une volatilité trop importante des cours des matières premières (volatilité à la hausse comme à la baisse d'ailleurs) faisait courir aux États. J'évoquerai également les travaux encore plus anciens de Mordecai Ezekiel qui, dans un article fondateur publié en 1938, avait pour sa part légitimé les mesures temporaires suspendant la concurrence comme les subventions, les quotas ou l'instauration de droits de douane si l'on souhaitait véritablement lutter contre les trop fortes fluctuations de prix.

Vos rapporteurs ne souhaitent naturellement pas en arriver à de nouvelles formes de protectionnisme mais des solutions doivent être trouvées afin de réduire cette volatilité qui, à court et à long terme, empêchent les investissements et mettent en danger les approvisionnements alimentaires.

La première voie vers laquelle il convient de s'engager est celle du stockage. Le fait de constituer des stocks stratégiques de blé, de maïs ou de sucre peut permettre, lorsque les tensions sont trop fortes au niveau de la demande, de relâcher ces tensions sur le marché en répondant plus efficacement à l'offre existante. Cette idée, qui a également été avancée par le G 20 agricole lorsqu'il s'est tenu à Paris au mois de juin dernier, présente un caractère quelque peu novateur en France où la logique du « zéro stock » a longtemps été la règle, la baisse des prix n'incitant pas à stocker mais au contraire à vendre dans l'immédiat afin de réduire au maximum d'éventuelles pertes futures. Aujourd'hui, chacun convient qu'il faudrait accroître les capacités de stockage en France d'environ 5 millions de tonnes notamment pour les céréales (les capacités actuelles étant de 50 millions de tonnes). A cet égard, nous pensons qu'il faut revoir la réglementation sur les silos de stockage qui, tout en veillant à la sécurité des populations environnantes, doit probablement être revue afin de construire des stocks plus facilement et plus rapidement mobilisables en cas de besoin. Il convient d'avoir une vraie réflexion sur ce sujet car la construction d'un silo de 10 000 tonnes coûte environ 15 millions d'euros et s'amortit sur une vingtaine d'années : le processus est donc relativement long. Au plan international, le stockage doit être partagé entre pays producteurs et pays importateurs ; si on ne doit pas nier les problèmes d'infrastructures, de corruption, de risques de détournement qui peuvent exister dans certains pays en voie de développement, il ne s'agit pas pour autant de faire preuve de néocolonialisme à ce sujet. Une aide technique peut leur être apportée et il paraît tout à fait envisageable de constituer des stocks sur leur territoire, tout en en disposant chez nous pour pallier d'éventuels besoins supplémentaires. Par ailleurs, la nouvelle PAC doit être l'occasion de stabiliser une vraie politique de stockage.

La deuxième voie vers laquelle il faut aller est bien évidemment celle d'une plus grande transparence des marchés. Le développement de chambres de compensation, ainsi qu'une information claire donnée sur les stocks existants au plan mondial (information qui pourrait par exemple être donnée à une agence ou une organisation internationale comme la FAO et qui préserverait ainsi les stratégies commerciales des acteurs étatiques) doivent être poursuivis. De même, si l'on se réfère aux travaux publiés le 15 septembre dernier en conclusion des travaux de l'Organisation Internationale des Commissions de Valeurs (IOSCO) sur la question des marchés de dérivés de matières premières, il serait opportun de réfléchir au renforcement des compétences des autorités de marchés afin d'imposer aux acteurs une plus grande lisibilité des contrats passés sur les marchés de matières premières. C'est vers cette voie que se sont engagés les Etats-Unis avec le vote de la loi Dodd – Frank de juillet 2010, qui renforce considérablement les pouvoirs de la Réserve Fédérale et des grandes autorités financières américaines. De plus, cette loi a choisi de s'engager résolument dans la régulation des marchés deproduits dérivés. Il est prévu que les transactions transiteront à l'avenir via des chambres de compensation spécifiques pour limiter les marchés de gré à gré, les banques étant par ailleurs obligées de filialiser les activités dans les dérivés les plus risquées.

Je dois néanmoins préciser, et Mme Pascale Got comme M. François Loos pourront également en témoigner, que, lors de nos entretiens aux États-Unis, beaucoup de nos interlocuteurs doutent de l'effectivité de cette loi, de nombreuses mesures réglementaires restant encore à prendre et s'avérant relativement coûteuses. Pour autant que ces principes ont été définis et c'est sans nul doute la direction dans laquelle il faut aller. Le G 20 a d'ailleurs insisté pour qu'il y ait une forte coordination entre les parties prenantes, notamment les Etats-Unis et l'Union européenne, sur ces sujets.

Il faut également réfléchir aux moyens de renforcer les instruments de couverture afin de mieux protéger les populations, notamment dans les pays en voie de développement, contre les effets de la volatilité des cours. Cela passe par l'exploration de nouveaux mécanismes assurantiels, par de nouveaux instruments financiers qui doivent permettre de bénéficier d'une plus grande sécurité en termes d'approvisionnements.

Enfin, mais c'est une piste qui, comme les autres, devra être discutée avec nos partenaires, il ne faut pas exclure d'encadrer l'évolution des cours de certaines matières premières en établissant une sorte de corridor dans lequel le cours pourrait librement varier, une intervention pouvant éventuellement être requise si le cours doit être au-delà ou en deçà. C'est une idée que nous avons entendue lors des auditions : elle mérite qu'on s'y arrête. Une meilleure organisation des filières agricoles, par type de production, doit également s'envisager de façon à leur permettre de limiter à leur niveau l'impact de la volatilité des cours.

Voilà, Monsieur le président, mes chers collègues, ce que je souhaitais dire sur la partie agricole de notre rapport. Comme vous le voyez, beaucoup reste à faire mais ce ne sont pas les pistes qui manquent. Les conclusions du sommet du G 20 qui doit se tenir à Cannes au début du mois de novembre sont attendues compte tenu notamment des impératifs en termes de sécurité alimentaire, qui font d'ailleurs partie des priorités du G 20 (je rappelle à ce titre l'initiative prise par le Président de la République en juin 2008 lorsqu'il a lancé son « Partenariat mondial pour l'agriculture, la sécurité alimentaire et la nutrition »), on ne peut plus attendre trop longtemps. Il faut agir.

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