La mission a conduit environ 90 auditions et a rencontré les plus hauts responsables des grandes places de marché, les principaux régulateurs, les dirigeants de grandes entreprises mondiales productrices et consommatrices (comme Rio Tinto, Rhodia, Eramet, Nexans…). Elle a également rencontré les spécialistes des marchés physiques et financiers, des représentants de la Commission européenne de la Banque mondiale, du FMI, de la FAO et de l'Agence internationale de l'énergie. L'angle adopté est international. C'est pourquoi la mission n'a pas traité les moyens d'atténuer les effets des fluctuations de prix sur l'économie nationale. Elle n'a pas non plus développé les questions liées à l'approvisionnement en matières premières, dans la mesure où la commission du développement durable présentera la semaine prochaine un rapport consacré à ce sujet.
Quelle est la situation actuelle sur les marchés de matières premières ? Au cours de la décennie 2000, les principales matières premières ont toutes connu une hausse importante des cours, qui s'est conjuguée à une très forte volatilité, à la hausse comme à la baisse.
Ainsi, le prix du baril de Brent de la mer du Nord a été multiplié par 7 entre 2000 et 2008 pour atteindre actuellement 110 dollars ; de même, le prix du gaz naturel a augmenté de près de 80 % sur le seul marché américain entre septembre 2007 et juin 2008, avant de connaître une forte baisse par la suite. Il en est allé de même pour les matières premières agricoles : ainsi, le cours du blé a fortement augmenté, de même que celui du maïs (la tonne étant passée de 155 euros en octobre 2006 à plus de 238 euros la tonne en juillet 2011) ou celui du coton. Citons également le cours de l'aluminium, qui est passé de 1 500 dollars au début de l'année 1998 à un peu plus de 2 500 dollars à la mi-2011.
Au cours de la période 2008-2011, les cours des matières premières ont baissé trois fois plus vite que lors d'un cycle moyen, en quatre fois moins de temps que d'habitude. Trois facteurs d'explication peuvent être avancés à cette évolution : le redressement plus vif que prévu de la demande mondiale ; la demande croissante des pays émergents, notamment de l'Asie, en produits de base ; la plus grande synchronisation des cours des matières premières avec les mouvements des marchés boursiers. Selon le FMI, ce phénomène s'explique principalement par le fait que l'ensemble des marchés présente une plus grande sensibilité à l'évolution économique générale.
Les explications à ces phénomènes sont en premier lieu d'ordre conjoncturel. Il s'agit notamment des phénomènes météorologiques, qui ont joué un rôle particulièrement important s'agissant des matières premières agricoles, qu'il s'agisse de la sécheresse en Russie, des inondations en Australie et aux Etats-Unis, les pluies au Pakistan et bien entendu l'accident nucléaire de Fukushima, qui a poussé certaines matières premières fossiles à la hausse.
Les raisons géopolitiques concernent plus particulièrement le pétrole, qui est produit à 90 % dans des pays présentant un risque politique – les troubles récents au Maghreb ont d'ailleurs fortement perturbé le marché – et qui est de surcroît soumis aux arbitrages de l'OPEP. Les matières premières agricoles sont également concernées, qu'il s'agisse du blé – la décision russe d'arrêter les exportations de céréales à l'été 2010 ayant entraîné une hausse des cours – ou du cacao. Enfin, le marché des terres rares a été concerné au premier chef par le différend territorial ayant opposé la Chine au Japon en octobre 2010.
Des tendances de fond exercent également une influence déterminante sur les cours des matières premières, à commencer par la demande croissante de la Chine et des autres pays émergents. On peut citer également l'insuffisance de l'offre, due aux sous-investissements, qui crée des tensions en particulier sur les marchés énergétiques. Enfin, l'opacité des marchés physiques entraîne des fluctuations de prix disproportionnées sur les marchés financiers.
La financiarisation croissante des marchés de matières premières rend nécessaire l'adoption de mesures de régulation. C'est l'objet du présent rapport, qui doit contribuer à nourrir la réflexion du G 20.
Les marchés dérivés de matières premières présentent plusieurs caractéristiques majeures. En premier lieu, ce sont des marchés de plus en plus concentrés ; on constate notamment l'importance des bourses chinoises comme Dalian, Shanghai et Zhengzhou, qui sont de plus en plus influentes. En deuxième lieu, depuis le milieu de la décennie 2000, les acteurs financiers investissent de manière croissante dans les matières premières. Elles sont devenues de ce fait une classe d'actifs à part entière, au même titre que les actions ou les obligations. En troisième lieu, les montants engagés sur les marchés dérivés de matières premières représentent néanmoins une faible part des transactions globales de produits dérivés : moins de 2 % de l'ensemble des contrats, même lors du pic de 2008. Enfin, depuis 2005, on constate un accroissement significatif des investissements sur les marchés de gré à gré, qui sont beaucoup plus opaques que les marchés organisés.
S'agissant du débat sur le rôle de la spéculation, nous n'avons pas trouvé d'études qui aient voulu – j'emploie ce mot à dessein –, démontrer un lien de causalité entre l'activité sur les marchés à terme et l'évolution des prix au comptant. Nos interlocuteurs ont souvent insisté sur le fait que les spéculateurs présentent une utilité, car ils assurent une contrepartie à l'activité de couverture des acteurs commerciaux, et qu'ils ont un temps de retard sur les prix. En revanche, un quasi-consensus existe pour reconnaître que la spéculation amplifie les déséquilibres résultant de l'économie réelle.
Plusieurs arguments plaident en faveur d'un rôle important de la spéculation dans les évolutions de prix : on estime par exemple que le premier propriétaire mondial de stocks pétroliers n'est pas Aramco mais une société financière privée, en l'occurrence Morgan Stanley. La spéculation a incontestablement joué un rôle important dans la hausse du cours du baril de pétrole entre 2000 et 2008. Il en va de même sur le marché du cuivre.
Ce qui est certain, c'est que les marchés financiers exercent un rôle essentiel sur la formation des prix des matières premières. En effet, le prix d'un certain nombre d'opérations commerciales est dérivé du prix des contrats à terme, notamment sur le marché pétrolier. On voit également apparaître de nouveaux produits d'investissement qui commencent à déstabiliser les marchés : ce sont les ETF (Exchange Traded Funds), qui sont des certificats d'investissement qui ont pour contrepartie un stock physique de métaux. Les principaux gestionnaires de ces fonds, Goldman Sachs et JP Morgan, créent intentionnellement de la pénurie en retirant le métal du marché.
Je vais laisser nos rapporteurs présenter leurs propositions, qui répondent à deux objectifs principaux : apaiser les tensions sur les marchés physiques et prévenir les risques d'instabilité en provenance des marchés financiers. Le G20 devra définir des règles applicables à l'ensemble des marchés de matières premières afin d'éviter la fuite des capitaux vers d'autres places de marché, notamment asiatiques.
Trois mesures en particulier nous paraissent essentielles :
- l'amélioration de l'information sur l'identité des acteurs intervenant sur les marchés de matières premières et la nature des opérations auxquelles ils se livrent ;
- conférer le pouvoir aux régulateurs financiers de fixer des limites de position sur l'ensemble des marchés dérivés de matières premières ;
- sécuriser les transactions réalisées sur les marchés de gré à gré, par le renforcement de la protection et de la supervision des chambres de compensation.
Je rappelle enfin qu'une synthèse des 33 propositions figure à la fin du rapport.