Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Roland Blum

Réunion du 24 octobre 2011 à 9h30
Vacance de sièges de députés élus sénateurs — Débat sur le prélèvement européen

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoland Blum, rapporteur de la commission des affaires étrangères :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères a émis, le 19 octobre dernier, un avis favorable à l'adoption de l'article 30 du projet de loi de finances pour 2012, support du prélèvement sur les recettes de l'État au profit du budget de l'Union européenne. Les débats au sein de la commission n'ont pas été moins intenses cette année que les précédentes.

Le montant du prélèvement pour 2012 est évalué à 18,9 milliards d'euros, en progression de 3,5 % par rapport à la prévision d'exécution du prélèvement pour le budget 2011. Cette évaluation repose notamment sur l'hypothèse d'un budget européen conforme à la position du Conseil, prévoyant une progression des crédits de paiement de 2,02 %, très inférieure à la proposition initiale de la Commission. Cette dernière prévoit en effet une progression de 4,9 %. Or la nouvelle procédure budgétaire qui s'applique depuis cette année ne garantit en rien le dénouement. L'an passé, le Parlement européen s'était rallié à la position du Conseil sous réserve de contreparties, mais il s'agissait d'accepter une progression à 2,91 % ; depuis lors les positions se sont exacerbées.

La Commission européenne et le Parlement estiment que l'Union européenne doit remplir ses engagements de paiement, se donner les moyens de mettre en oeuvre la stratégie Europe 2020 et, plus généralement, qu'elle a un rôle à jouer pour soutenir la demande et stimuler la croissance en période de crise. Le Conseil considère pour sa part qu'il n'est pas raisonnable, en période d'austérité budgétaire, d'envisager une forte progression des dépenses européennes.

L'équilibre est délicat, alors que débutent les négociations pour le prochain cadre financier pluriannuel pour l'après-2013. Or, on ne peut demander tout et son contraire au budget européen : exiger une réduction des contributions nationales et « maximiser les retours », pour reprendre cette formule peu élégante.

La France commence à se trouver prise dans cet étau. Le total des ressources propres qu'elle devrait mettre à la disposition du budget européen en 2012 est estimé à 20,6 milliards d'euros, soit 16,4 % du total du budget communautaire. Le montant de la contribution française a ainsi été multiplié en valeur par cinq entre 1982 et 2012. Son solde net est en dégradation tendancielle sous l'effet de l'élargissement de 2004 et de la modération des dépenses agricoles. Notre pays est le deuxième contributeur net, avec un solde négatif de l'ordre de 5 milliards d'euros.

Je souhaite cependant que la France, tout en défendant lucidement ses intérêts, ne se rallie pas à une logique comptable qu'elle a toujours critiquée, mais assume au contraire le rôle moteur qu'elle a avec l'Allemagne, y compris en termes de contribution, pour peser sur les orientations et l'efficacité de la dépense.

Ces débats entre croissance et rigueur, solidarité et préservation des intérêts se retrouvent aujourd'hui à l'échelle du traitement de la crise que traverse l'Union économique et monétaire, thème que j'ai choisi cette année pour la seconde partie de mon rapport et qui fait sens en loi de finances.

Il y a près de deux ans, les États de l'Union européenne ont dû faire face à l'augmentation brutale de leur dette publique, sous l'effet combiné de la récession, des plans de relance et, le cas échéant, du sauvetage des banques. Les taux de marché sur les emprunts publics ont alors commencé à diverger, rendant problématique la situation du Portugal, de l'Irlande, de l'Italie, de la Grèce et de l'Espagne. Ce qui est devenu « la crise grecque » est un cas particulier dans cet ensemble, puisqu'elle a été déclenchée par la révélation de la réalité des finances publiques de la Grèce, résultat d'une gestion défaillante depuis l'entrée dans l'euro.

Les pays de la zone euro ont affirmé leur solidarité et sont intervenus, au travers d'un premier, puis d'un second plan d'aide à la Grèce, et par la création d'un mécanisme temporaire de stabilisation, incluant un fonds européen que les chefs d'État et de gouvernement ont décidé de pérenniser. Ces interventions sont conditionnées par des programmes d'assainissement budgétaire et d'adaptation de la structure productive, déterminés par la troïka Commission, BCE et FMI.

La réussite du second plan d'aide à la Grèce a été fortement mise en doute depuis son adoption. Ces craintes contaminent toute la zone euro avec des mouvements spéculatifs sur d'autres dettes souveraines, notamment italienne et espagnole, et une fragilisation des créanciers exposés à la dette grecque et surtout à la dette des autres États sous pression. Pour les États forts de la zone euro, le risque est de voir leur propre note dégradée par les agences de notation et le coût de leur endettement augmenter, ce qui serait catastrophique pour l'assistance financière qu'ils garantissent.

Comment assurer l'efficacité de la réponse européenne et ramener la raison sur les marchés ? Il convient d'abord que le programme de réformes grec soit mis en oeuvre. Le gouvernement grec a fait voter des réformes législatives substantielles et sa détermination est forte, malgré l'absence de consensus dans la classe politique, un coût social élevé et une mise en oeuvre parfois délicate en termes de capacités politiques, réglementaires et administratives.

Une assistance technique européenne est mobilisée, et il faut aussi examiner les propositions formulées pour faciliter les privatisations. L'objectif de déficit ne sera pas tenu, nous le savons. Un ajustement du plan semble inévitable, mais cela ne doit pas être de nature à décrédibiliser l'action conduite.

Or la crédibilité du plan de sortie de crise ne dépend pas que du gouvernement grec. Il apparaît d'abord nécessaire que de fausses bonnes idées soient ostensiblement écartées.

La première est évidemment celle de la sortie de la Grèce de l'euro. Elle serait dramatique pour la Grèce : elle ne résoudrait pas sa situation budgétaire, les agents y sont endettés en euros et la période transitoire avant réintroduction de la drachme serait chaotique. Mais ce serait aussi une catastrophe pour les autres États de la zone euro et au-delà. Outre son coût politique, cette sortie créerait un précédent et livrerait les autres États fragiles à une spéculation funeste, dont les effets seraient incontrôlables.

La deuxième fausse bonne idée est que l'efficacité du Fonds européen de stabilité financière nécessite des engagements quintuplés. Les montants sont déjà colossaux, les garanties du fonds ont été renforcées et ses compétences élargies. Une augmentation doit jouer sur les effets de levier.

La troisième fausse bonne idée est d'appeler à une intervention plus active de la BCE. Au-delà des questions juridiques, des moyens ont été mis en place pour aboutir à des effets équivalents : la BCE est intervenue sur les marchés secondaires, et les États membres ont doté le Fonds européen de la capacité de racheter de la dette. De plus, la crédibilité de l'euro doit être défendue, puisque la monnaie sera demain l'actif sûr, ce que ne seront plus les dettes souveraines.

La dernière fausse bonne idée concerne les euro-obligations, outil à terme très intéressant, mais sans vertu curative. Elles seraient d'ailleurs émises à des taux qui fragiliseraient l'assistance européenne.

Ces options écartées, concentrons-nous sur les possibles réponses. L'impératif d'efficacité qui s'impose à tous les États de la zone euro conduit à retenir cinq orientations : renforcer la discipline dans la communication, qui a fait cruellement défaut ; imposer à tous une gestion rigoureuse des finances publiques ; redimensionner suffisamment les plans pour éviter des réajustements anxiogènes ; soutenir ouvertement le secteur bancaire afin de limiter les effets de contagion de la crise, même si la recapitalisation systématique n'a pas de sens ; enfin, stimuler la croissance pour accélérer la sortie de crise, à l'opposé d'une logique punitive. La baisse des taux de prêt y participe, comme l'assistance à l'absorption des fonds structurels, avec un cofinancement par le budget européen relevé jusqu'à 95 %. Un financement des investissements via un emprunt européen, les project bonds, est aussi à étudier.

Si la priorité est de résoudre la crise, les États doivent s'atteler à traiter les dysfonctionnements de l'Union économique et monétaire, qui en sont la véritable cause. La gouvernance économique européenne était caractérisée par une régulation budgétaire assez faible exercée par les pairs, une coordination molle des politiques nationales au travers d'objectifs non contraignants et des politiques redistributives assurées par un maigre budget européen. Cette gouvernance a perdu sa crédibilité. Le renforcement de l'intégration économique européenne est en marche avec la pérennisation du Fonds européen en Mécanisme européen de stabilité, créé par un traité signé le 11 juillet 2011 ; la réforme en cours de la surveillance budgétaire pour l'élargir aux fondamentaux économiques et renforcer la discipline ; la création d'un « Pacte pour l'euro plus » qui consiste à décliner des mesures concrètes pour renforcer la convergence économique et sociale en faveur d'une plus grande compétitivité. On peut discuter du contenu de ces mesures mais il s'agit d'un changement de méthode majeur.

La France et l'Allemagne semblent décidées à aller plus loin. La question posée est celle du gouvernement économique. C'est une question institutionnelle, notamment pour assurer un nouvel équilibre entre l'intergouvernementalisme, qui a montré ses limites, et la méthode communautaire. Mais il s'agit surtout d'une question de contenu : souhaite-t-on organiser une union économique de transferts budgétaires ?

La spécialisation productive des économies composant la zone euro explique en partie les déséquilibres. Les pays périphériques sont en situation de déficit commercial structurel et s'endettent pour financer leur activité. Ces déficits qui profitent aux États forts pourraient être financés par ces derniers, leur permettant de préserver leurs débouchés commerciaux, la stabilité de leurs établissements financiers ainsi que la pérennité de la construction européenne. Ces transferts seraient naturellement conditionnés par des exigences fortes en matière de finances publiques et de compétitivité. Ira-t-on aussi loin ?

Il existe un lien direct entre la crise que traverse l'Union économique et monétaire et la question du budget européen. Cette union économique sera-t-elle une union budgétaire, ou assurera-t-on une gestion des déséquilibres internes sans passer par la fédéralisation ? C'est en laissant ouverte cette question que je vous propose d'approuver le prélèvement européen pour 2012, lequel alimentera un budget européen que l'on peut qualifier d'attente, tant son rôle est aujourd'hui en débat.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion