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Intervention de Gilles Carrez

Réunion du 24 octobre 2011 à 9h30
Vacance de sièges de députés élus sénateurs — Débat sur le prélèvement européen

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat autour du prélèvement européen s'inscrit cette année dans un contexte très particulier : les chefs d'État et de Gouvernement de la zone euro se sont réunis hier et se réunissent à nouveau après-demain pour tenter de trouver une solution à la grave crise des dettes publiques que nous subissons. Plutôt que d'évoquer comme tous les ans le prélèvement sur recettes au travers de considérations budgétaires, je profiterai donc de ces quelques minutes pour faire rapidement le point sur la mise en place du dispositif de stabilisation financière de la zone euro.

Les fondements de la crise sont de deux ordres : d'une part, ils tiennent aux déficits des finances publiques, et sont donc d'ordre budgétaire ; d'autre part, et c'est plus préoccupant, ces déficits budgétaires reflètent, en réalité, les déficits de compétitivité de certaines économies de la zone euro, qui se sont hélas accrus depuis la mise en place de l'euro.

On voit bien que si nous ne parvenons pas à résorber ces déficits à la fois de finances publiques et de compétitivité, nous ne trouverons pas de solution durable.

Lorsque, il y a trois ans, la crise financière a frappé les économies privées, constatant que les États étaient partout appelés à la rescousse, y compris dans les paradis de l'intervention libérale, beaucoup d'entre nous se doutaient qu'après cette crise de la dette privée surviendrait la crise de la dette publique. Et cette dernière frappe, comme toujours, les plus vulnérables. C'est ainsi qu'un mouvement de défiance à l'égard des dettes souveraines s'est développé depuis deux ans, mouvement que nous n'avions pas connu de façon aussi systématique dans l'histoire économique des dernières décennies.

Ce mouvement de défiance est alimenté par la très rapide hausse des endettements publics, certes dans les économies les plus fragiles, mais également dans les économies aux finances publiques très solides, comme l'Allemagne où le taux d'endettement public a progressé très fortement. Hélas ! face à cet endettement public, les perspectives de croissance sont, du fait de la crise, faibles. Et nous nous demandons comment opérer les remboursements.

Par ailleurs, la crise montre à quel point les États de la zone euro sont interdépendants entre eux et comment chacun des États dépend du système financier. C'est ainsi que surgissent les interrogations sur le risque de contagion et d'effet domino.

Dès le printemps 2010, le Fonds européen de stabilité financière a été mis en place, pour permettre aux économies les plus vulnérables de faire face à des problèmes de souveraineté, à travers le remboursement de leur dette publique et la possibilité de se refinancer.

Au mois de mai 2010, en loi de finances rectificative, la France apporte à ce fonds une garantie de 111 milliards d'euros, mais, un an plus tard, en juin 2011, elle est obligée de porter sa garantie, comme l'Allemagne d'ailleurs, à 159 milliards. Nous nous sommes rendu compte en effet que ce fonds, chargé d'intervenir pour financer des pays en difficulté, avait besoin de garanties de refinancement et qu'il ne les obtiendrait à de bonnes conditions, des conditions triple A, que s'il était garanti lui-même par des pays triple A. Cela explique que notre pays, ainsi que l'Allemagne et les autres pays triple A, aient dû s'engager pour des montants beaucoup plus importants que prévu. Aujourd'hui, la capacité totale d'engagement du fonds atteint à 440 milliards d'euros.

Après l'accord du 21 juillet 2011, une énième loi de finances rectificative – décidément, le rapporteur général ne chôme pas, jamais on n'en a eu autant, une tous les deux mois –– celle du mois de septembre, qui a permis de traiter également d'autres sujets, plus franco-français, en matière de recettes, a été l'occasion d'autoriser l'État français, car il faut dorénavant une autorisation parlementaire, à élargir le champ des garanties qu'il est susceptible de donner au Fonds européen de stabilité financière. Ce fonds a maintenant trois possibilités d'action qui n'étaient pas prévues au départ : il peut intervenir sur les marchés secondaires pour y acheter de la dette ; il peut intervenir pour la recapitalisation de banques, si nécessaire, par des moyens qui ne sont pas encore définis – nous y verrons peut-être plus clair mercredi ; enfin, il peut intervenir de façon préventive, en faveur d'États qui ne sont pas directement en difficulté.

On voit à quel point le Fonds européen de stabilité financière va jouer, et joue déjà, un rôle crucial. Il n'est pas étonnant, dans ce contexte, qu'il faille beaucoup de temps pour se mettre d'accord sur ses modalités d'intervention : c'est ce que j'explique régulièrement à ceux qui se demandent pourquoi le processus de décision prend autant de temps.

Nous savons pertinemment que les 440 milliards d'euros – dont 300 restent effectivement mobilisables ne serait-ce que parce que l'aide à la Grèce en a directement mobilisé une partie substantielle – ne seraient pas à la hauteur si jamais un grand pays de la zone euro connaissait de grosses difficultés. Le relais a d'ailleurs dû être pris ces derniers mois par la Banque centrale européenne, laquelle a été conduite à acquérir pour plusieurs dizaines de milliards, entre 100 et 150, de dettes souveraines sur le second marché.

Dès lors, beaucoup de personnes se demandent s'il faut ou non faire tourner la planche à billets – les Américains emploient un terme beaucoup plus policé, quantitative easing. La Réserve fédérale alimente aujourd'hui la couverture des déficits américains, et la Banque d'Angleterre effectue exactement les mêmes opérations. La Banque centrale européenne refuse catégoriquement d'agir en ce sens, étant entendu qu'elle intervient déjà sur les marchés secondaires, ce qui n'est pas rien. Je pense que nous avons raison de rester sur cette ligne, mais j'attends avec impatience, moi aussi, les résultats de mercredi pour connaître la technique financière qui nous permettra de potentialiser, de dynamiser, les 300 milliards du Fonds européen de stabilité financière qui restent aujourd'hui disponibles.

L'objectif est évidemment de rééquilibrer les comptes. La logique de ce qui est mis en place, par exemple, à l'égard de la Grèce, c'est de donner du temps et de rendre les choses possibles. Lorsque, en janvier 2010, Christine Lagarde avait évoqué, devant la commission des finances, les premières perspectives de garantie, nous avions été plusieurs, de toutes sensibilités politiques, à lui demander si elle était sûre que ce plan serait suffisant. Ne fallait-il pas d'ores et déjà envisager une restructuration de la dette grecque ? L'histoire financière depuis un siècle montre que, lorsque des pays ont connu des périodes extrêmement difficiles – la Grèce elle-même a fait deux fois faillite –, leur sauvetage est toujours passé par une restructuration de leur dette. Certes, il est très difficile ensuite de faire à nouveau appel aux marchés financiers car ceux-ci ont perdu confiance. Mais, malheureusement, ce qui était une interrogation de beaucoup d'entre nous dès janvier 2010 s'avère aujourd'hui puisqu'un nouvel accord semble avoir été obtenu. Celui du 21 juillet avait prévu un abandon de la dette grecque de l'ordre de 21 % mais, si j'en crois les journaux – peut-être monsieur le ministre, allez-vous nous donner des informations plus précises –, ce seraient plutôt 50 %, voire 60 % de la dette qui seraient restructurés.

Cette mesure doit permettre d'envisager l'avenir avec plus de sérénité. Les échéances de remboursement de la dette souveraine grecque, qui s'élève à 160 % du PIB, sont, dans ce plan, à peu près assurées jusqu'en l'an 2020. Le temps ainsi accordé devra être mis à profit pour rééquilibrer les comptes.

Mais au-delà se pose, à mon sens, la seule vraie question : peut-on réellement rééquilibrer les comptes si on ne rééquilibre pas la compétitivité du pays ? L'histoire montre que les pays qui ont traversé de grandes difficultés ont souvent rééquilibré leur compétitivité en jouant sur l'arme monétaire. Dès lors, beaucoup s'interrogent. Pour ma part, je pense que le fait de lui donner une visibilité vraiment longue, d'abandonner une part substantielle de sa dette, doit créer pour la Grèce les conditions d'un retour à l'équilibre tout en restant dans l'euro. En tout cas, c'est vraiment l'objectif que nous devons rechercher. Il n'existe pas d'alternative.

Pour terminer, je voudrais, monsieur le ministre, vous poser deux questions.

Les années précédentes, parler du prélèvement sur recettes en faveur de l'Union européenne permettait d'évoquer la question du retour pour la France, en termes de politique agricole ou en faveur des politiques structurelles. Aujourd'hui, on sent bien qu'il va probablement falloir utiliser davantage que par le passé les dépenses communautaires pour aider un certain nombre de pays à s'en sortir. Quel retour reste possible pour notre pays ?

Cette préoccupation est accentuée par le fait que, dans le cadre des rééquilibrages budgétaires nécessaires d'un certain nombre de pays, les dépenses publiques nationales de ces pays devront être réduites. Ne faudra-t-il pas que le budget de l'Union européenne vienne compenser, vienne pallier cette défaillance, cette réduction de dépenses nationales ?

Bref, nous sommes vraiment dans un contexte très différent de celui que nous avons pu connaître ces dernières années et je voulais vous faire part, monsieur le ministre, de ces quelques préoccupations à l'occasion de l'examen de l'article 30.

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