L'essentiel de mon avis budgétaire est consacré au plan licence.
Je ferai, quand même, quelques remarques sur le budget 2012, qui devrait augmenter, au total, de 540 millions d'euros.
Certes, l'enseignement supérieur constitue une priorité budgétaire du gouvernement, mais, ainsi que je le montre dans mon avis, l'engagement du Président de la République d'augmenter de un milliard d'euros par an les moyens de ce secteur n'a pas été tenu, quoi qu'en dise avec beaucoup d'assurance le ministre, M. Laurent Wauquiez.
Je rappelle en outre que ce budget ne « délivre » pas que des crédits de paiement, immédiatement consommables. Il repose aussi sur des autorisations d'engagement, étalées sur plusieurs années, et des montages financiers complexes, comme les partenariats public-privé et les intérêts de la cession par l'État d'une partie de sa participation dans EDF, tous deux destinés à financer les programmes immobiliers universitaires.
Je ne m'engagerai pas dans la bataille des chiffres, mais le tableau comparatif figurant dans mon rapport indique que les moyens ont augmenté de 922 millions d'euros en 2008, puis de 1 154 millions en 2009, puis de 995 millions en 2010, puis de 706 millions en 2011.
Ce budget est donc moins généreux qu'il n'y paraît et peu lisible.
Il ne permettra pas à notre pays de rattraper son retard en matière de financement de l'enseignement supérieur. Je rappelle que nos dépenses cumulées par étudiant – soit 56 597 dollars – se situent bien en dessous de la moyenne des pays européens membres de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) – soit 62 985 dollars. En outre, comme l'a établi un récent rapport du Centre d'analyse stratégique, la France se situe au bas de l'échelle en ce qui concerne le taux d'encadrement dans l'enseignement supérieur, avec seulement 5 enseignants pour 100 étudiants.
Deux derniers chiffres enfin : la dépense par étudiant s'élevait, en 2009, à 14 850 euros en classe préparatoire et à 10 220 euros seulement à l'université.
Venons-en au plan pluriannuel pour la réussite en licence, un chantier ouvert par le ministère de l'enseignement supérieur à la demande des organisations étudiantes.
Je rappellerai au préalable que le cursus de licence a accueilli en 2010 750 000 étudiants, hors instituts universitaires de technologie.
Couvrant les années 2008 à 2012, ce plan appuie les initiatives des universités, déclinées autour de quatre grands axes : l'orientation et l'accueil des nouveaux étudiants ; le renforcement de l'encadrement pédagogique, avec la mise en place d'enseignants référents, l'augmentation des horaires d'enseignement, la réduction de la taille des groupes de travaux dirigés et la diversification des méthodes pédagogiques ; le suivi des étudiants en difficulté ; enfin, la professionnalisation, notamment par la mise en place de stages.
Quel bilan peut-on tirer de tous ces efforts ?
Le plan a eu, incontestablement, un effet « déclencheur ». Mais cette « mobilisation » en faveur de la réussite en licence, loin d'être totale, est, en réalité, très brouillonne, très disparate et très décevante.
Dans certains établissements, elle s'est traduite par la réactivation de mesures déjà mises en oeuvre et dans les autres, on constate soit qu'il ne se passe rien soit que les dispositifs mis en place souffrent d'une extrême « dispersion », faute de vision globale de la stratégie à mener au niveau de l'établissement. Par ailleurs, les mesures adoptées ne sont ni suivies ni – c'est plus grave – évaluées.
Par ailleurs, le plan licence n'a pas permis d'enclencher la révolution pédagogique attendue par les étudiants. Par exemple, la pédagogie de projet, la plus susceptible de motiver les étudiants, occupe, contrairement à ce qui se pratique au lycée, une place qui reste marginale. Les cours en amphithéâtre continuent en outre d'être très présents. Outre les contraintes budgétaires, qui seront évoquées plus loin, le principal obstacle à de nouvelles modalités pédagogiques est, selon plusieurs de mes interlocuteurs, le statut des enseignants-chercheurs, qui ne valorise pas assez leur investissement dans l'enseignement. Seule grande réussite à noter à ce niveau d'études, les licences professionnelles, qui sont un vrai sujet de satisfaction.
Sur le plan financier, le plan licence représente un effort pour l'État, cumulé sur cinq ans, de 730 millions d'euros. Cet effort doit être cependant relativisé, la progression des moyens dans l'enseignement supérieur restant concentrée sur les autres filières, en particulier celle du master. Or le développement des volumes horaires d'enseignement, la réduction de la taille des groupes et le recours aux enseignants référents ont un coût qui rend problématique le « modèle économique » du plan licence. À ce contexte budgétaire défavorable s'ajoutent des contraintes techniques. En effet, les crédits du plan sont « fléchés », tandis que le budget des établissements ayant accédé aux compétences élargies de la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, dite « LRU », lui, est « global ». Les universités étant ainsi libres de répartir, entre leurs composantes et leurs filières, les moyens attribués par l'État, ce processus d'allocation est inadapté au financement d'une politique aussi transversale que celle de la réussite en licence. L'absence de comptabilité analytique rendant de surcroît difficile la « traçabilité » des crédits, ceux-ci ont pu être utilisés pour financer des heures complémentaires ou… la rénovation du parking d'une université.
Pour que le plan licence soit une réussite, il faudrait donc changer d'échelle, en agissant sur plusieurs leviers, tout en écartant les fausses bonnes idées.
Ainsi, il ne faut surtout pas « secondariser » l'université – ce serait nier la spécificité du premier cycle –, mais faire en sorte que tous les élèves de seconde puissent être considérés comme des étudiants potentiels et que la transition du lycée à l'université soit organisée dans les meilleures conditions. On pense inévitablement au dispositif d'orientation qui nous fait cruellement défaut.
De même, l'établissement de pré-requis, la mise en place d'une année de propédeutique, supprimée en 1968, les contrats d'études imposées aux étudiants décrocheurs et la licence en quatre années devraient être écartés, car ces solutions sont soit stigmatisantes, soit irréalistes.
En revanche, l'orientation devrait commencer dès la classe de première et concerner l'ensemble des filières post-bac. Mais il conviendrait d'aller plus loin en matière d'orientation, en mettant en place, avec l'appui des régions, un service public facilitant l'accès à une information et un conseil de qualité sur les formations et les métiers.
Par ailleurs, l'augmentation des places en section de technicien supérieur (STS) et en institut universitaire de technologie (IUT) est préférable à la fixation, au niveau national, de quotas pour les bacheliers technologiques. Des semestres « tremplins » et des « secondes rentrées » devraient par ailleurs être proposés à ces deniers afin de faciliter leur réorientation entre l'université et les filières courtes.
Quant aux étudiants décrocheurs, des mesures d'accompagnement diversifiées, à condition de les inscrire dans une stratégie cohérente, devraient être mises en oeuvre. Des semestres « rebonds » pourraient être notamment institués, afin de consolider les acquis des étudiants fragiles, par exemple au cours de l'été, entre le deuxième et le troisième semestre, mais de telles mesures devraient être concertées et travaillées.
Enfin, la pluridisciplinarité devrait être encouragée en licence, car elle faciliterait les réorientations et préparerait les étudiants aux études en master.
Un dernier mot sur les moyens et la pédagogie. L'abandon du modèle « tout amphi » postulé par le plan licence devrait conduire à des créations de postes supplémentaires, tandis que le système d'allocation des moyens aux universités devrait être réformé afin qu'un rééquilibrage des pondérations entre universités littéraires et scientifiques rende possible la mise en place, dans toutes les formations, d'une licence à 1 500 heures d'enseignement, car nous sommes très loin du compte aujourd'hui.
Surtout, la nouvelle licence devrait s'attacher – ce point étant essentiel – à créer de nouvelles modalités pédagogiques, qui fassent appel au travail de l'étudiant, tout en proposant des enseignements plus ou moins conceptualisés. Ceci suppose de valoriser l'investissement pédagogique des enseignants-chercheurs en évaluant cet aspect de leur travail au moment de leur titularisation et de leur passage du corps de maître de conférences à celui de professeur des universités. Ceci implique également d'identifier, notamment auprès des PRES, des structures de formation des doctorants à la pédagogie qui pourraient être les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), ce travail devant donner lieu à une large concertation.
Enfin, il faudrait lutter contre les racines sociales de l'échec, notamment le travail étudiant, souvent plus subi que choisi, en instaurant une allocation d'études, versée sous conditions de ressources, afin d'aider les jeunes issus de milieux défavorisés à construire leur autonomie.
Ce chantier est urgent, car l'ascenseur social n'est plus en panne mais commence à redescendre. En 2005, M. Laurent Wauquiez, alors député, écrivait dans un rapport que « la vie étudiante n'est pas une parenthèse enchantée ». Aujourd'hui, six ans après, pour certains d'entre eux du moins, la situation s'est dégradée.
Pour toutes ces raisons et d'autres que je n'ai pas voulu développer, je donnerai un avis défavorable à l'adoption des crédits 2012.