Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Hervé Pelletier

Réunion du 18 octobre 2011 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Hervé Pelletier, président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurit :

La CNCIS est une autorité administrative indépendante – j'insiste d'emblée sur ce dernier terme : ce matin, une station de radio évoquait la commission en indiquant qu'elle dépendait de Matignon, ce qui n'est pas le cas.

Elle a été créée par la loi n° 91-646 du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques.

Cette loi prévoit trois principes directeurs régissant les écoutes téléphoniques administratives – la loi traite aussi les écoutes judiciaires, mais celles-ci ne sont pas du domaine de la commission.

Le premier principe fondamental est le suivant : la limitation du nombre des motifs pouvant justifier une interception de sécurité.

L'article 3 de la loi du 10 juillet 1991 les énumère :

– la recherche de renseignements intéressant la sécurité nationale : ce motif correspond à environ 26 % des demandes ;

– la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, pour moins de 1 % des demandes ;

– la prévention du terrorisme, qui représente 24 % des demandes ;

– la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées, soit quelque 48 % des demandes – il s'agit du motif le plus souvent utilisé ;

– la prévention de la reconstitution ou du maintien de groupements dissous, pour moins de 1 % des demandes.

Au fil des années, la commission a été conduite à donner certaines interprétations de ces motifs qui peuvent justifier des interceptions.

Le deuxième principe fondamental est la limitation du nombre des personnes habilitées à saisir d'une demande d'interception de sécurité le Premier ministre, seule autorité compétente pour y faire droit.

Trois ministres peuvent déclencher la procédure : les ministres chargés de la défense, de l'intérieur et des finances. Ceux-ci signent en principe eux-mêmes les demandes ; à défaut, ils peuvent les faire signer par des collaborateurs habilités par écrit – en général le directeur de cabinet.

Chaque ministère dispose d'une fraction du contingent maximum d'écoutes fixé par le Premier ministre à 1840.

Le troisième principe est la création, par la loi du 10 juillet 1991 précitée, d'une autorité administrative indépendante, la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, que je préside depuis deux années. La commission est chargée par la loi de s'assurer de sa stricte application ; elle est notamment, en application de son article 14, investie du pouvoir de recommander au Premier ministre d'interrompre une interception qu'elle estime avoir été autorisée en méconnaissance de la loi.

J'en viens maintenant aux règles de composition et de fonctionnement de la commission. Aux termes de l'article 13 de la loi du 10 juillet 1991, la commission est composée de trois membres : deux parlementaires, un député – présent parmi nous cet après-midi – et un sénateur, l'un et l'autre désignés par le président de leurs assemblées respectives ; en outre, un président désigné, pour une durée de six ans, par le Président de la République, sur une liste de quatre noms établie conjointement par le vice-président du Conseil d'État et le premier président de la Cour de cassation.

Outre la procédure de nomination, d'autres garanties d'indépendance des trois membres sont prévues : ils ne peuvent être, en quelque sorte, « démissionnés d'office » et leur mandat n'est pas renouvelable.

La commission comprend, par ailleurs, un délégué général, M. Olivier Guérin, ainsi qu'un chargé de mission, qui n'est, à ce jour, pas encore désigné, M. Guérin ayant assuré cette fonction jusqu'à sa nomination récente au poste de délégué général.

Il était d'usage que le président de la commission soit un membre du Conseil d'État. Pour ma part, je suis issu de la Cour de cassation, dont je présidais la chambre criminelle il y a encore deux années.

Dans les faits, la commission se réunit à intervalles réguliers. Compte tenu du rythme hebdomadaire de l'étude des demandes, une habilitation m'a été conférée en tant que président, au nom de la commission, dans le respect de la jurisprudence.

Il s'agit donc d'une très petite structure. Nous sommes de fait presque tous présents aujourd'hui dans cette salle, à l'exception de M. Jean-Jacques Hyest, ancien président de la commission des Lois du Sénat.

Je souhaiterais aborder la question de l'étendue du contrôle effectué par la commission. Ce contrôle est de plus en plus exigeant.

La première mission de la commission est le contrôle des autorisations d'interception.

Ce contrôle a lieu, tout d'abord, en amont. La loi de 1991 avait prévu un contrôle a posteriori, mais dès sa mise en place, la première commission a instauré, proprio motu, un système d'avis a priori qui semble beaucoup plus efficace au regard de l'objectif de protection des libertés publiques. Ce système n'a, à ma connaissance, jamais été remis en cause par aucun gouvernement. L'actuel Premier ministre, M. François Fillon, a reconnu son utilité en 2008.

Ce contrôle porte sur la forme des demandes d'autorisation ; il consiste notamment à vérifier que les signataires des demandes d'autorisation ont bien été habilités à cet effet. Ce contrôle porte aussi sur le respect des contingents d'interception.

Par ailleurs, ce contrôle porte également sur le fond, à savoir la justification de la demande d'interception de sécurité au regard des cinq motifs précités ainsi que du respect du principe de proportionnalité entre le but recherché et la mesure sollicitée. Ce contrôle a aussi pour objet la motivation de la demande ; depuis 2008, la commission retient la formule suivante : celle-ci doit être « suffisante, pertinente et sincère ».

Les différents motifs pouvant justifier ces interceptions ont donné lieu à des interprétations jurisprudentielles de la commission. À titre d'exemple, si la sécurité nationale est considérée comme englobant des mouvements de caractère insurrectionnel pouvant porter atteinte à la forme républicaine des institutions, en revanche, tout trouble à l'ordre public ne relèvera pas de ce motif. Par ailleurs, la notion de terrorisme doit être définie de manière restrictive, selon les exigences du code pénal – on ne saurait y assimiler n'importe quelle violence, même extrême.

Ce contrôle s'exerce également en aval : une fois l'interception mise en place, la commission contrôle l'évolution de sa justification dans le temps.

Depuis 2003, la commission a institué un « contrôle continu », fondé sur une lecture attentive des « productions », à savoir le résultat transcrit par écrit des écoutes. Bien évidemment, compte tenu du nombre, la commission procède en la matière par sondages, mais la méthode est fort utile. Elle permet à la commission de recommander la cessation anticipée d'une écoute autorisée lorsque les justifications d'origine ont disparu.

Il est moins lourd, au plan procédural, d'adresser directement aux services une préconisation d'interdiction, procédure qui s'est révélée également très efficace.

La deuxième mission de la commission est le contrôle de l'exécution des interceptions de sécurité.

Une fonction essentielle est, en la matière, prise en charge par le Groupement interministériel de contrôle (GIC), placé sous l'autorité directe du Premier ministre, auquel est confiée la centralisation de l'exécution des écoutes. Le GIC est actuellement dirigé par un officier général et dispose d'outils techniques performants. Il assure, dans des conditions répondant aux normes de sécurité et de secret-défense, l'interface avec les services des opérateurs téléphoniques. Le GIC, il faut le préciser, est un conseiller technique privilégié de la CNCIS et il lui fournit, à sa demande, toutes les informations requises.

Le GIC dispose d'antennes régionales en province, que la commission visite régulièrement. Cette année, la commission a procédé à une vingtaine de déplacements. J'ai récemment inauguré une de ces antennes dans l'Est de la France.

Je voudrais maintenant donner quelques chiffres reflétant l'activité de la commission.

Ces chiffres issus du présent rapport portent sur l'activité de la commission en 2010. Les données relatives à l'année 2011 ne devraient cependant pas être très différentes.

Pour 2010, on a dénombré un total de 6 010 demandes d'interceptions, dont 3 776 demandes initiales et 2 234 demandes de renouvellements.

31 avis négatifs ont été adressés au Premier ministre par notre commission, et tous ont été suivis par celui-ci. Au total, on dénombre donc 5 979 constructions effectives, si l'on peut dire. En prenant en compte 7 recommandations formelles et 57 préconisations de cessation de l'interception, on dénombre au total 95 dossiers pour lesquels une interception prévue ou provisoirement installée a pris fin grâce à la commission, ce qui représente environ 1,5 % de l'ensemble des demandes.

Il convient d'ajouter les contrôles des demandes relatives à l'exploitation des données techniques de communication, dans le cadre de la préparation d'éventuelles interceptions de sécurité, en application de l'article 22 de la loi de 1991. On a dénombré 4 089 requêtes émises par les services habilités à réaliser des interceptions de sécurité. Sur ce total, 3 407 ont été validées et 682 ont été rejetées. La commission a eu l'occasion de rappeler que toute demande individualisée, portant sur les données techniques de communication, fondée sur l'article 22 de la loi de 1991, et pour l'un des motifs mentionnés par la loi, devait être soumise à son examen. C'est très important.

La loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers a conféré à la commission une responsabilité supplémentaire. Elle a institué un système technique perfectionné permettant de disposer des données techniques de connexion d'individus fortement soupçonnés de mener des actes terroristes et confié à la commission la responsabilité de nommer la personnalité qualifiée chargée de répondre en urgence aux demandes des services. Forte de cette nouvelle prérogative, la commission a développé un dialogue avec cette personnalité et incité – je dirais avec succès – celle-ci à s'inspirer de ses propres méthodes de contrôle.

Ce dispositif est prévu, à titre expérimental, jusqu'en décembre 2012. On verra alors s'il y a lieu de le renouveler ou non.

En moyenne, en 2010, 879 demandes ont été traitées chaque semaine par cette personnalité qualifiée et contrôlées par la commission.

Un total de 45 716 demandes ont été examinées, parmi lesquelles 38 000 ont été validées, 7 000 environ renvoyées et 90 rejetées définitivement.

Je conclurai ce propos liminaire par deux observations. D'une part, compte tenu de l'évolution des moyens de communication, le nombre des interceptions de sécurité montre que celles-ci demeurent, conformément à la volonté du législateur en 1991, des mesures d'exception.

D'autre part, je voudrais, m'adressant au législateur, insister sur le développement constant des technologies de communication, l'apparition de nouvelles atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, plus complexes, notamment en matière d'intelligence économique ou de cybercriminalité, ainsi que l'accroissement et la diversification des besoins opérationnels des services : l'ensemble de ces éléments impliquent une réflexion sur l'évolution du dispositif législatif régissant les communications électroniques ainsi que la protection du secret des correspondances privées. Au regard des exigences de protection des libertés publiques et des droits individuels, ainsi que sous l'impulsion, notamment, du droit européen, les perspectives de réforme devraient s'orienter vers un accroissement du périmètre d'action et de contrôle de la commission.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion