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Intervention de Catherine Lemorton

Réunion du 27 septembre 2011 à 15h00
Renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCatherine Lemorton :

..osez intégrer une mesure qui donnera tout son sens à ce texte – à notre texte, ai-je envie de dire, car je suis positive.

Sur un sujet connexe, la commission a rejeté, au titre de l'article 89 du règlement, un amendement du groupe SRC portant création d'un fonds national permettant de financer des études de pharmaco-épidémiologie et de pharmacovigilance après autorisation de mise sur le marché ou des réévaluations indépendantes et publiques des balances bénéfice-risque mais, dans le même temps, elle a accepté la création d'un GIP qui aura également des conséquences sur les finances de l'État – j'y reviendrai. N'est-ce pas injuste et ubuesque ? J'aimerais comprendre quelle mécanique intellectuelle peut amener à vouloir créer une agence digne de ce nom en la privant de ce qui pourra lui donner une crédibilité dans la réévaluation des balances bénéfice-risque.

M. Robinet a fait référence à l'article 8 où figure une chose terrible qui nous empêchera de voter ce projet de loi si l'on ne revient pas là-dessus. En substance, il est indiqué que, lorsqu'un produit commencera à présenter une balance bénéfice-risque, il sera demandé à l'industriel de montrer que celui-ci est toujours pertinent pour le marché, ce qui revient à recréer ce qu'ont fait les laboratoires Servier.

J'en viens à un autre exemple d'outil essentiel manquant à cette agence. Que s'est-il passé avec le Mediator ? Il a bien été prescrit hors AMM ? Je n'insisterai pas plus sur ce point, Jean Mallot y reviendra dans la discussion générale.

Lors des auditions, il a été beaucoup question des médicaments hors AMM. Pour la pédiatrie, ils vont jusqu'à atteindre 98 % des prescriptions. Pourquoi ? Vous le savez bien, madame la secrétaire d'État, vous qui êtes médecin. L'industrie ne met pas à disposition des pédiatres, tout particulièrement en néonatologie, des produits dont la posologie est adaptée aux très jeunes enfants. Les soignants ne peuvent pas faire autrement, même si cela peut donner lieu à des erreurs.

L'Agence nationale de sécurité du médicament ne serait-elle donc qu'une coquille vide ? Peut-être pas. Toujours est-il qu'elle ne nous semble pas suffisamment armée.

Sans revenir sur les tests contre comparateurs – même si je demande à nouveau au rapporteur de préciser pourquoi ce qui devait figurer dans le texte n'y figure pas –, il faut souligner que la question de la pérennité des AMM est au coeur de nos préoccupations.

Leur réexamen périodique, tous les cinq ans, constituerait un moyen efficace de garder le contrôle, et permettrait d'éviter la répétition du drame que nous avons connu. Or, le texte ne nous le propose pas, ou de façon très limitée.

Renforcer les conditions d'octroi des AMM, ce serait le meilleur moyen de s'assurer que c'est bien le meilleur produit possible qui est proposé au patient. Trop souvent, nous avons pu le constater, l'AMM fait l'objet d'une bataille purement économique : elle permet à un laboratoire de réaliser de consistants bénéfices sans que le service médical rendu soit le principal atout du médicament autorisé. En ne réussissant pas à faire évoluer cette situation, vous empêchez les patients de se sentir pleinement rassurés lorsqu'ils prennent un médicament.

La question de la perception du médicament par le patient me paraît en effet essentielle, dans un pays qui consomme beaucoup trop de médicaments. Elle n'est pourtant que faiblement évoquée par ce texte. Le titre du rapport de 2008 était sans équivoque : Prescrire moins, consommer mieux. Les relations qu'entretiennent les Français avec le médicament, la complexité de l'accès à l'information, la place qu'un médicament même inefficace, même non remboursé, peut prendre dans la vie d'un patient : voilà autant de sujets à traiter pour changer notre culture du médicament – vous l'avez d'ailleurs très bien dit tout à l'heure, monsieur le ministre.

On nous a promis un portail d'information sur le médicament, à destination des patients et des professionnels de santé, avec une base exhaustive, objective, indépendante, facile d'accès. Mais ce portail ne figure nulle part dans le projet de loi.

L'exemple de la dénomination commune internationale est symptomatique de notre inertie : alors qu'elle est mise en avant depuis 1953 par l'Organisation mondiale de la santé, il aura fallu attendre ce projet de loi pour qu'elle apparaisse enfin dans un texte français.

Monsieur le ministre, je souhaite vous interpeller directement. Je ne mets pas en doute votre volonté de changer les choses ; les critiques que j'émets au nom de mon groupe n'ont d'autre but que de faire évoluer ce texte afin qu'il atteigne des objectifs que vous avez vous-même fixés. AMM, tests contre comparateurs, Haut Conseil de l'expertise, toutes ces propositions ne sont pas là pour ajouter une touche « socialiste » à ce texte – je ne veux pas une discussion partisane –, mais bien pour rassurer les Français et faire en sorte qu'il n'y ait jamais de nouveau Mediator. Or, tel qu'il est, votre texte n'y parviendra pas.

Vous avez déclaré ce matin dans un quotidien : « Ce n'est pas le projet de loi Bertrand, c'est le projet de loi post-Mediator. » Pour qu'il le devienne vraiment, je vous demande, monsieur le ministre, de nous écouter et d'accepter certains de nos amendements ; mais j'ai senti chez vous tout à l'heure une volonté d'ouverture, j'ai donc de l'espoir.

Le texte issu de la commission n'est pas rassurant. Je ne prendrai qu'un exemple : celui du Comité économique des produits de santé. Les parlementaires votent les lois de financement de la sécurité sociale, ils fixent l'ONDAM : il serait logique qu'ils puissent également se pencher sur la procédure de fixation des prix, participer à la transparence des débats, bref, qu'ils aient connaissance des conventions conclues par le CEPS. Vous ne pouvez pas demander aux parlementaires de voter des lois de financement, dont le volet « médicament » coûte 30 milliards d'euros, sans savoir comment est fixé le prix de ces médicaments !

Plus grave, vous restez frileux et refusez des mesures qui, pourtant, apportent d'excellents résultats à l'étranger : vous qui citez souvent les pays voisins pour montrer le conservatisme de notre pays, pourquoi ne voulez-vous pas introduire le recours aux actions de groupe ? Au lieu de cela, vous vous en tenez à un simple fonds d'indemnisation, comme pour les victimes du Mediator – mon collègue Gérard Bapt y reviendra.

L'habileté des avocats du laboratoire Servier va certainement leur permettre de gagner du temps, beaucoup de temps. Je veux vous rappeler, monsieur le ministre, que deux laboratoires sont mis en examen depuis le 1er février 2008 pour tromperie aggravée sur le rapport bénéfice-risque du vaccin contre l'hépatite B. Il ne s'agit évidemment pas ici de remettre en cause la pertinence du vaccin. Mais deux laboratoires sont mis en examen : depuis trois ans et demi, qu'a fait le pôle santé du parquet de Paris ? Aujourd'hui, ce dossier n'avance pas.

Monsieur le ministre, la tâche qui nous attend est immense. Il faut s'attaquer à la formation initiale des médecins ; vous promettiez une taxe, ou le fléchage d'une taxe vers la formation initiale. Mais l'article sur la formation des étudiants pose problème : comment allez-vous mettre en place ce qu'il prévoit dans le cadre de la loi sur l'autonomie des universités voulue par Mme Pécresse en 2007 ? Je citerai à cet égard l'exemple de l'université de Clermont-Ferrand.

Vous voulez aussi vous attaquer à la formation continue des médecins, mais à enveloppe constante. On estime que cela se monte à 250 ou 300 millions d'euros – tout cela est bien flou – et, aujourd'hui, on nous dit que le projet de loi de finances comporterait 160 millions d'euros destinés à la formation continue : on est loin du compte.

La réponse ne doit pas porter seulement sur le médicament. La Haute Autorité de santé a commencé un bon travail. Vous voulez de la transparence, dites-vous ; alors il faut aller plus loin : il faudrait que nous sachions ce qui se signe au sein du Comité stratégique des industries de santé ; on vient d'apprendre que le CSIS d'octobre 2009 avait permis un accord entre Pfizer et Sanofi, ce dernier bénéficiant d'un générique – c'est-à-dire d'un produit qui tombe dans le domaine public – de Pfizer, moyennant des avantages fiscaux. Encore une niche fiscale ! Pourquoi n'avons-nous pas été mis au courant ?

Pourquoi le Comité stratégique de la politique des produits de santé et de la sécurité sanitaire ne figure-t-il pas dans ce projet de loi ?

Quant au Comité de déontovigilance des entreprises du médicament, comment peut-on encore croire à ce que disent ces gens-là ?

La Charte de la visite médicale, qui a été signée alors que vous étiez ministre, monsieur Bertrand, n'a rien changé. Les représentants syndicaux des visiteurs médicaux que nous avons auditionnés nous ont bien expliqué que, dès la charte signée, leurs entreprises leur ont appris comment la contourner !

Le préambule de la Constitution de 1946 dispose qu'elle « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. »

L'ambition de votre projet de loi était claire : empêcher un nouveau Mediator, c'est-à-dire assurer ceux qui prennent un médicament qu'ils encourent le risque le plus faible possible – un produit actif n'étant jamais sans risque. Aujourd'hui, votre texte n'est pas à la hauteur de cette ambition ; il ne permet pas de respecter ce qu'exige notre socle constitutionnel : que chacun soit soigné dans les meilleures conditions possibles.

Les Français voulaient des réponses à leurs questions, ils voulaient être rassurés. Vous tentez de le faire avec un texte qui est trop flou pour rassurer quiconque et qui suscite suffisamment d'interrogations pour, au contraire, amplifier des inquiétudes.

Aussi, je demande à l'Assemblée nationale de bien vouloir voter majoritairement le rejet préalable de ce texte, qui ne répond pas aux principes constitutionnels du droit à être soigné dans la sécurité la plus complète.

Je terminerai mon propos par ces mots de Maxime Gorki qui résument bien notre état d'esprit, et qui devraient être inscrits en préambule d'un texte sur la pharmacovigilance : « Écris ce que tu n'as pas le droit de taire. » Pour nous, les choses sont claires : si ce n'est pas écrit, nous ne nous tairons pas ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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