Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, loin de dessiner un projet ambitieux pour l'enfance en difficulté, la proposition de loi que nous examinons est un texte d'affichage qui n'apporte pas de réponses satisfaisantes au problème réel de la délinquance des mineurs.
Nous ne sommes pas les seuls à le penser puisque, de manière tout à fait exceptionnelle – quoi que notre rapporteur ait pu en dire il y a quelques instants –, ce texte a été rejeté à une large majorité la semaine dernière par la commission de la défense saisie pour avis.
D'emblée, la proposition de loi invoque dans son exposé des motifs le postulat erroné d'une augmentation continue de la délinquance des mineurs, alors qu'en réalité la part de la délinquance des mineurs dans la délinquance générale reste stable à 18 %.
À vrai dire, la préoccupation des professionnels tient plus à la difficulté de trouver des réponses diversifiées et individualisées pour répondre aux cas de jeunes aux parcours particulièrement déstructurés qu'à une prétendue hausse exponentielle du nombre de mineurs délinquants.
Comme le souligne très clairement le sociologue Laurent Mucchielli, l'affirmation de l'existence d'une augmentation continue de la délinquance des mineurs constitue « une sorte de vraie-fausse information et, à tout le moins, une vérité totalement tronquée ». Il en détaille les raisons dans une tribune publiée par le journal Le Monde en avril dernier intitulée : « Les mineurs délinquants menacent-ils la société française ? » Il y indique notamment qu'élargir la définition de la délinquance et donner des consignes pour poursuivre toutes les infractions, même les plus bénignes, ne peut avoir pour conséquence logique qu'une augmentation des procédures enregistrées. Au-delà des chiffres, il analyse aussi de manière très pertinente la nature de cette délinquance grâce au volume annuel des condamnations publié par le ministère de la justice, qui donne à voir une image très éloignée de celle renvoyée par des faits divers dont il faut répéter qu'ils ne sont pas représentatifs de la vie quotidienne de l'ensemble de la société française.
Pour notre part, nous réfutons à la fois l'opportunité et le contenu de ce texte.
Pour ce qui est de l'opportunité d'une énième réforme de l'ordonnance de 1945 alors qu'un code de la justice pénale des mineurs est selon la chancellerie « quasiment achevé », il paraît pour le moins illogique d'opérer de nouvelles modifications qui ne peuvent que nuire à la cohérence et à la lisibilité de l'ordonnance.
Sur le fond, l'idée d'un encadrement militaire pour les mineurs délinquants constitue selon nous une réponse inopérante. L'esprit de la proposition de loi repose sur la conviction de l'efficacité éducative de la discipline militaire et propose donc de mettre en oeuvre un « contrat de service en établissement d'insertion » dans le cadre d'« une discipline stricte mais valorisante inspirée de la rigueur militaire ».
Il s'agit en réalité de proposer aux mineurs condamnés d'effectuer leur peine au sein d'un établissement cherchant à faciliter l'insertion professionnelle, plutôt qu'en prison. Comme le souligne notre rapporteur, le dispositif prévu sera plus ou moins basé sur le volontariat. Selon lui, il s'inscrira dans le cadre de l'exécution d'une sanction pénale qui, à ce titre, s'imposera au jeune condamné. S'il la refuse, il devra exécuter une peine d'emprisonnement. Pour le rapporteur, le choix est donc clair et exigeant : c'est soit le service citoyen, soit la prison. Ce volontariat contraint nécessitera toutefois l'accord du mineur et des titulaires de l'autorité parentale : on perçoit la faible marge de manoeuvre qui leur sera accordée.
La proposition de loi prévoit que ce service citoyen sera mis en place dans des structures déjà existantes, les établissements publics d'insertion de la défense, dans lesquels d'anciens militaires sont déjà employés – ils représentent environ la moitié des effectifs. Peut-on réellement considérer que d'anciens militaires sans connaissance particulière en matière d'encadrement des mineurs délinquants seraient plus à même que les éducateurs spécialisés d'encadrer ces jeunes ? Cela revient à négliger l'expérience des professionnels de terrain.
En permettant à la justice d'astreindre un mineur auteur d'une infraction à exécuter un contrat de service dans un de ces centres, le texte élargit considérablement les missions attribuées à l'EPIDE et le détourne ainsi de sa fonction originelle consistant à assurer l'insertion sociale et professionnelle de jeunes en difficulté scolaire, sans qualification professionnelle ni emploi, en risque de marginalisation et volontaires au terme d'un projet éducatif global.
Ce programme lancé en 2005 avait pour objectif affiché d'intégrer rapidement 10 000 jeunes, puis, à terme, 50 000. En 2010, loin de l'objectif initial, vingt centres accueillent en internat 2 250 jeunes encadrés par 969 personnes. Avec un taux de démission en cours de route de 38 %, et à l'arrivée un emploi stable pour un jeune sur deux, le dispositif a malgré tout trouvé une certaine logique, en particulier parce qu'il s'adresse exclusivement à des jeunes volontaires pour participer à la démarche.
La proposition de loi de notre collègue Éric Ciotti vient rompre cet équilibre en mêlant à ces jeunes volontaire, des mineurs délinquants qui devront choisir entre la prison et l'EPIDE. En réunissant des jeunes volontaires en grande difficulté sociale et des mineurs délinquants, ayant rejoint l'EPIDE dans le seul but d'échapper à la prison, vous transformez une structure d'insertion en structure alternative à l'enfermement, ni plus ni moins.
L'inquiétude est partagée par l'ensemble des spécialistes de la justice des mineurs. Le risque de détruire le dispositif « Défense deuxième chance », actuellement fondé sur une démarche volontaire, est bien réel car le fonctionnement de l'EPIDE ne permettra pas d'assurer les missions supplémentaires prévues par le texte. Le public étant différent, l'approche pédagogique ne peut pas être la même. À cet égard, il est regrettable qu'une étude sur le fonctionnement de l'EPIDE lui-même n'ait pas été préalablement réalisée car il y a lieu de s'interroger sur la capacité de ces établissements à accueillir des mineurs délinquants qui pourront représenter jusqu'à 10 % des effectifs.
L'inquiétude sur le devenir de l'EPIDE est également partagé par la commission de la défense et par son président, qui a lui-même déclaré en commission craindre que les EPIDE qui fonctionnent bien ne soient déstabilisés.
En fait, le dispositif proposé n'est pas vraiment nouveau. Des expériences similaires, consistant à encadrer militairement des jeunes délinquants, ont été menées par le passé : elles n'ont pas été concluantes. Cela a été le cas notamment de l'association Jeunes en équipe de travail, créée en 1986, qui avait pour mission d'organiser des stages de rupture de quatre mois pour de jeunes délinquants de nationalité française ou étrangère en situation régulière. Cette expérience a été interrompue en 2003.
La proposition de loi que nous examinons ne constitue finalement qu'un nouvel effet d'annonce, un texte de circonstance à quelques mois de l'élection présidentielle.
Ce n'est pas cette nouvelle modification de l'ordonnance de 1945 qui palliera l'absence d'éducateurs en milieu ouvert prêts à intervenir dès le début de la déscolarisation ou des difficultés d'exercice de l'autorité parentale.
La meilleure prévention de la délinquance des mineurs reste l'intervention des services et des magistrats en assistance éducative, ce qui suppose de disposer des moyens nécessaires en personnels, en temps et en places disponibles dans des structures adaptées.
Pour toutes ces raisons, les députés communistes, républicains, citoyens et du parti de gauche voteront contre cette proposition de loi. Ils rejettent ce texte dans sa globalité, raison pour laquelle ils ont décidé de ne pas déposer d'amendements. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)