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Intervention de Corinne Erhel

Réunion du 4 octobre 2011 à 15h00
Protection des consommateurs — Article 10, amendements 21 348

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCorinne Erhel :

Cet amendement vise à supprimer l'alinéa 33 de l'article 10. Nous en avons certes déjà longuement discuté en commission, mais nous souhaitons y revenir.

Le dispositif prévu à l'alinéa 33 vise, en cas de violation du code de la consommation, à permettre à l'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation de saisir le juge en référé ou sur requête afin qu'il ordonne des mesures pouvant aller jusqu'au blocage d'un site internet par les fournisseurs d'accès.

En ce qui concerne ce blocage, l'étude d'impact annexée au projet de loi est muette. Or ces études visent justement à préciser les objectifs d'une mesure, les moyens requis pour la mettre en oeuvre ainsi que les conséquences économiques qu'elle induit.

De plus – et j'insisterai sur ce point puisqu'il s'agit, monsieur le secrétaire d'État, de l'argumentaire que vous avez développé en juillet dernier –, si cette procédure fait intervenir un juge, comme le préconise le récent rapport que j'ai rédigé avec Laure de la Raudière sur la neutralité du Net, la rédaction du présent alinéa ignore la proposition n° 3 du même rapport dans lequel nous préconisions de nous « interroger plus avant sur la justification des mesures de blocage légales, en dépit de leur légitimité apparente, du fait de leur inefficacité et des effets pervers qu'elles sont susceptibles d'engendrer ».

Je vous rappelle, mes chers collègues, que ce rapport a été adopté à l'unanimité par la commission, que nous avons pris le temps d'expliciter ces mesures et que nous avons particulièrement insisté sur cette troisième proposition.

Ensuite, la légitimité du recours au juge doit s'apprécier au regard des objectifs poursuivis, lesquels ne sont pas précisés dans le texte. Si vous avez réduit, en commission, le champ d'application de la procédure, la totalité du code de la consommation n'en est pas moins concernée. Or, à notre sens, il faut connaître exactement la portée de la mesure prévue à l'alinéa 33.

Les objectifs doivent aussi être connus pour évaluer la proportionnalité de la mesure puisque l'alinéa permet d'aboutir au blocage d'un site. Le champ d'application du dispositif prévu demeure beaucoup trop large.

Il paraît difficile, voire impensable, que le Gouvernement demande au Parlement de valider une procédure de plus pouvant aboutir au blocage, après la LCEN, après l'ARJEL, après la LOPPSI 2, sans apporter plus de justification, et cela même si cette procédure fait intervenir le juge. Celui-ci, notre rapport l'explique, doit intervenir pour toute mesure de blocage, ce qui ne nous empêche pas de nous interroger sur la légitimité de cette intervention et sur son champ d'application.

Les acteurs de l'économie numérique se montrent des plus réticents à la multiplication de telles mesures, les compensations économiques n'étant jamais clairement prévues. Nombre d'entre eux sont également rétifs à appliquer des mesures pouvant peser sur les libertés publiques puisque ces techniques sont susceptibles d'aboutir au blocage de sites parfaitement légaux. J'aimerais avoir votre éclairage sur ce point, monsieur le secrétaire d'État.

Il faut bien évidemment lutter contre les infractions graves, qu'elles soient commises dans le monde réel ou en ligne, le droit général s'appliquant de la même manière. Mais il est aussi important de rappeler que si, dans le monde réel, il est facile de cibler avec précision un magasin à fermer, dans le monde numérique, demander à un fournisseur d'accès à internet de bloquer l'accès à un « magasin » précis peut avoir pour conséquence de rendre inaccessibles les autres commerces de la rue. Pour filer la métaphore, appliquer des mesures de blocage peut conduire à couper les lignes de bus qui mènent à cette rue...

Dans notre réflexion sur la neutralité du Net, nous avons bien mis en avant, dans la troisième de nos neuf propositions, la nécessité de prévoir un moratoire sur les techniques de blocage et de filtrage, de façon à déterminer plus précisément leur apparente légitimité et leurs éventuels effets pervers.

Parce que le blocage a des conséquences que l'on ne peut ignorer sur la liberté d'expression et de communication et qu'il est nécessaire d'arrêter la multiplication de telles procédures dans notre droit, nous demandons la suppression de l'alinéa 33 et – ce qui me permet d'évoquer par avance l'amendement n° 349 – nous proposons également qu'un moratoire sur le blocage et le filtrage soit instauré ainsi que notre rapport le préconisait. Enfin, nous souhaitons la réalisation d'une étude approfondie sur ces questions.

Il s'agit d'un sujet des plus sensibles et vous avez probablement tous été saisis de cette question de société qui nous concerne tous. J'y insiste, il convient de mesurer l'efficacité et les effets de bord de ces technologies.

J'ignore si vous avez lu notre rapport, monsieur le secrétaire d'État, et, à moins que Laure de La Raudière ne l'ait dans sa sacoche, je vous le remettrai bien volontiers ; il est intéressant et vous pourrez lire notamment le passage relatif aux techniques de blocage et de filtrage. Certains l'ont lu – tel Daniel Fasquelle – et l'ont particulièrement apprécié.

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