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Intervention de Jean-Pierre Bayle

Réunion du 27 septembre 2011 à 17h00
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Jean-Pierre Bayle, Président de la quatrième chambre de la Cour des comptes :

Monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés, nous vous remercions de votre invitation à présenter le rapport public thématique de la Cour sur « l'organisation et la gestion des forces de sécurité publique » devant votre commission.

Pour vous présenter ce rapport et répondre à vos questions, je suis accompagné du rapporteur de synthèse, M. Christian Martin, du contre-rapporteur, M. Gérard Ganser, conseiller-maître, et de Mme Marie-Agnès Courcol, premier conseiller à la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA).

Il faut préciser d'abord que ce rapport, s'il examine des questions clés concernant l'organisation et la gestion des forces chargées de la sécurité publique, n'a pas retenu dans son périmètre par exemple ce qui relève de la police judiciaire ni des missions de maintien de l'ordre ou de sécurité routière. Il ne s'agit donc pas d'une évaluation d'ensemble de la politique de sécurité menée pendant la période concernée par nos enquêtes.

Quelques précisions sont également utiles concernant l'organisation de cette enquête dont le thème et le périmètre ont été arrêtés à la fin de l'année 2007. C'est en février 2009 que le Premier Président, alors Philippe Séguin, a créé par arrêté une formation commune interjuridiction, qui associait la quatrième chambre de la Cour et quatre chambres régionales des comptes, ce même arrêté désignant le président de la formation, l'équipe des rapporteurs et le rapporteur général, ainsi que la période de référence de l'enquête – l'année de départ, 2002, se justifiant par l'adoption de la loi d'orientation et de programmation de la sécurité intérieure – LOPSI – du 29 août 2002.

Les rapporteurs se sont livrés à des diligences approfondies en 2009 et 2010, les conduisant à une première synthèse, avant de suivre les procédures collégiales qui nous sont habituelles.

Des contrôles ont été menés par les chambres régionales, dans 52 communes et intercommunalités d'une quinzaine de départements des régions Île-de-France, Rhône-Alpes, PACA et Languedoc-Roussillon, la Cour enquêtant pour sa part dans les services déconcentrés de l'État de 15 départements : préfectures, services territoriaux de la police nationale chargés spécifiquement de la sécurité publique, formations compétentes de la gendarmerie, procureurs de la République, et au niveau de l'administration centrale, à la direction générale de la Police nationale – DGPN – et à la direction générale de la Gendarmerie nationale – DGGN – qui pilotent cet ensemble.

Selon les procédures habituelles de la Cour et des chambres régionales des comptes, une large contradiction a été conduite avec les administrations concernées, notamment le ministère de l'Intérieur, ainsi qu'avec les collectivités contrôlées, d'une part lors des contrôles, puis au stade des observations provisoires et enfin avant le délibéré final.

Le rapport de synthèse, d'abord débattu en février 2011 par la formation commune interjuridiction, a ensuite été examiné par le comité du rapport public en avril et enfin validé en juin par la Chambre du conseil, qui regroupe l'ensemble des conseillers-maîtres de la Cour, soit plus d'une centaine de magistrats.

Le fruit de ce long et important travail couvre l'ensemble des moyens, matériels et humains, dédiés à la sécurité publique.

Enfin, et ce sera ma dernière remarque liminaire, il s'agit, même si cela peut paraître surprenant, de la première publication de la Cour des comptes et, plus largement, des juridictions financières, consacrée entièrement à la sécurité publique, dans le périmètre que je vous ai indiqué précédemment.

J'en viens maintenant aux thèmes que la Cour aborde dans cette enquête.

L'enjeu est lourd en termes budgétaires. En ce qui concerne l'État, ce rapport public porte sur une large partie, mais pas la totalité, des activités des 240 000 policiers et gendarmes et des dépenses budgétaires (16,4 milliards d'euros en 2010) de la mission Sécurité.

Ce rapport examine la manière dont l'État dote, pilote et organise ses forces de sécurité pour lutter contre la délinquance, dans un contexte où l'on attend de son action qu'elle soit à la fois efficace et économe. Pendant une première période allant de 2003 à 2007, période couverte par la LOPSI, les forces de police et de gendarmerie ont bénéficié d'un renforcement sensible de leurs crédits et de leurs effectifs pour accomplir leurs missions. En 2009 et 2010, à l'inverse, en conformité avec l'objectif de stabilisation des dépenses de l'État, les moyens de fonctionnement hors rémunérations ont été réduits.

La sécurité publique est aussi un domaine dans lequel interviennent les collectivités territoriales, de manière complémentaire à l'action de l'État. Depuis la loi du 7 mars 2007, les maires sont chargés de l'animation locale de la prévention de la délinquance, et interviennent de façon croissante dans ce domaine, en particulier à travers la gestion des polices municipales. Depuis quelques années, l'État les encourage aussi fortement à installer des systèmes de vidéosurveillance de la voie publique dans le but d'appuyer l'action de ses forces de sécurité.

Ce rapport est structuré en six grandes parties. Les quatre premières portent sur les moyens et les forces de l'État, les deux dernières traitent des deux sujets locaux évoqués, respectivement des polices municipales et de la vidéosurveillance.

En ce qui concerne d'abord le pilotage de ses forces de sécurité, l'État dispose de deux services pour mener à bien ses missions de sécurité publique : la police nationale et la gendarmerie nationale, qui se partagent le territoire en deux zones de compétence distinctes, et des modes d'organisation différents.

D'un côté, la police nationale a le monopole des milieux urbains : aux 63 000 agents des services territoriaux de la direction centrale de la Sécurité publique (DCSP), s'ajoutent les 20 000 agents de la nouvelle direction de la Sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP) de la préfecture de police de Paris, qui couvre désormais les départements de la petite couronne. L'ensemble représente plus de la moitié des effectifs de la police nationale (140 000 personnes).

De son côté, la gendarmerie intervient dans les territoires ruraux et périurbains. Ses effectifs régionaux et départementaux représentent 80 000 personnes, qui exercent aussi des activités de police judiciaire, de maintien de l'ordre, de renseignement ou de soutien des unités. En raison du principe de polyvalence qui régit l'organisation de la gendarmerie, il est impossible de pondérer le partage entre ces différentes missions, ce qui est une source de complexité supplémentaire dans la gestion.

Il faut aussi ajouter les unités des forces mobiles, les compagnies républicaines de sécurité (CRS) dans la police et les escadrons de gendarmerie mobile (EGM) dans la gendarmerie, qui ont des tâches de maintien de l'ordre, mais aussi de sécurisation de centre ville et de quartiers sensibles.

Toutes ces forces sont pilotées en fonction d'objectifs chiffrés fondés sur les statistiques de la délinquance. C'est ce que l'on a souvent appelé la culture du résultat, qui a été mise en place dès 2002 par la police nationale. La fixation d'objectifs chiffrés est nécessaire et utile. La Cour encourage et recommande d'introduire la performance dans l'action publique. Cependant, il faut être attentif à ne pas multiplier les priorités et à ne pas brider l'initiative des responsables de terrain.

Ainsi, le directeur central de la Sécurité publique (DCSP) adresse des instructions annuelles fixant des objectifs toujours plus nombreux et précis et assortis d'une batterie de leviers d'action pour les atteindre. En 2010, par exemple, les DDSP ont reçu instruction de mener pas moins de 48 actions « prioritaires ».

Ce n'est pas autant le cas pour les commandants de région de gendarmerie qui bénéficient d'une déconcentration des pouvoirs de gestion sensiblement plus importante. En particulier, lors de la définition des objectifs annuels de la gendarmerie départementale, la relation entre les résultats attendus et l'évolution des moyens est mise en avant, ce qui n'est pas le cas dans la police.

Surtout, la Cour insiste pour que les statistiques qui servent de référence dans le pilotage des forces de sécurité publique soient plus fiables. Les outils qui servent à mesurer la sécurité publique sont insuffisamment pertinents. Nous ne sommes pas les premiers ni les seuls à critiquer les statistiques de la délinquance issues de l'état 4001. L'agrégat de délinquance générale, qui correspond à l'ensemble des délits enregistrés, est utilisé comme principal indicateur de pilotage de l'activité des services avec l'agrégat de délinquance de proximité, alors même qu'il est in fine dénué de réelle signification en raison de l'hétérogénéité des rubriques qui le composent. La Cour rejoint sur ce point les remarques de l'Observatoire de la délinquance et des réponses pénales.

La mise en place d'agrégats plus fins et plus homogènes depuis un an est un pas très important dans la bonne direction, à condition qu'ils soient utilisés pour le pilotage territorial des forces de police.

Bref, les outils actuels offrent certes un reflet globalement représentatif de la réalité de la délinquance, mais n'ont pas la finesse nécessaire pour donner au pilotage par objectifs tout son sens. Plusieurs de nos recommandations ont justement pour but que l'on puisse mieux mesurer les effets des actions des services, en analysant les relations entre les évolutions statistiques et les actions menées.

La Cour a ensuite examiné les moyens que l'État consacre à la politique de sécurité publique.

Les effectifs de policiers et gendarmes, après avoir fortement augmenté à la suite du vote de la loi d'orientation de la sécurité intérieure du 29 août 2002, dite LOPSI, ont commencé à décroître depuis 2009. En 2011, le nombre des policiers affectés dans les services de sécurité publique sera revenu à son niveau de 2002. Dans la première période, entre 2003 et 2009, les effectifs de policiers (hors ADS) ont augmenté de 2,1 % en métropole, les trois quarts de cette augmentation concernant le département de Seine Saint-Denis. Le nombre de fonctionnaires a commencé à baisser en 2010. Ce mouvement de baisse, dû au non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, devait se poursuivre en 2011 dans la police ainsi que dans la gendarmerie dont les effectifs ont eux aussi baissé de 3,4 % entre 2006 et 2010.

Sur les trois derniers exercices, les dépenses de fonctionnement et d'équipement des directions départementales de sécurité publique – DDSP – ont été réduites de 2,1 % en 2008, puis stabilisées en 2009 et abaissées de 25 % en 2010, tandis que dans le même temps, du fait d'une hausse peu contrôlée des rémunérations, le montant total des crédits a continué à augmenter.

Face à des moyens de fonctionnement en baisse, l'ajustement s'est fait sur les moyens nécessaires à l'activité opérationnelle, aux enquêtes judiciaires ou au renouvellement des équipements informatiques et à la maintenance des locaux, plutôt que sur d'autres dépenses comme les loyers ou l'énergie, plus difficile à comprimer à court terme.

En conclusion de cette partie, la Cour souligne que la nouvelle donne renforce encore la nécessité d'optimiser la gestion des forces de sécurité. Ceci passe par de nécessaires réformes d'organisation, de répartition géographique et de temps de travail, autant de sujets abordés par le rapport.

Après l'étude de moyens, nous avons examiné la gestion des ressources humaines, qui présente quelques difficultés et des sensibles différences entre police et gendarmerie.

Dans la police nationale, l'organisation du temps de travail obéit à des règles complexes. Il faut assurer une activité continue des services, 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Ceci entraîne une grande rigidité de gestion des équipes qui laisse peu de latitude aux responsables locaux pour répondre aux fluctuations de l'activité.

Dans leurs tâches de sécurité publique, près de la moitié des policiers travaillent selon un régime cyclique et bénéficient à ce titre de droits à repos spécifiques. En outre, leur durée du travail est réduite par la compensation des heures supplémentaires (permanences, rappels en service, dépassements horaires de la vacation, astreintes). La compensation s'opère en fonction d'un corpus de règles qui aboutissent à compenser la disponibilité des policiers par des temps de repos très sensiblement supérieurs aux temps de travail supplémentaires : on aboutit à un important stock d'heures de repos reportées, ce qui contraint encore plus la gestion. Plus généralement, le choix qui a été fait en 2008 de diminuer les heures travaillées, plutôt que de rémunérer davantage les heures supplémentaires par exemple, nous paraît être un facteur de rigidité dans la gestion des personnels.

Au-delà de cette organisation spécifique, la Cour remarque que 30 % du potentiel théorique des DDSP, soit le nombre d'heures susceptibles d'être travaillées par l'ensemble des effectifs, sont indisponibles pour cause de congés, repos, maladies et autres absences. En outre, les heures passées dans les locaux de police représentent 61 % du potentiel restant, employés dans des activités administratives ou judiciaires, de soutien opérationnel ou logistique. Il existe certes un plan de substitution d'agents administratifs aux policiers employés à des tâches strictement administratives, mais sa mise en oeuvre est inachevée, notamment pour des raisons budgétaires. Les activités dites d'assistance – garde de bâtiments administratifs, extractions, escortes et présentations de détenus, police des audiences et reconstitutions judiciaires, garde de détenus hospitalisés– ont elles aussi été diminuées, mais localement continuent de constituer une contrainte pour la gestion des services, notamment des unités de voie publique.

Ces chiffres sont disponibles grâce à l'utilisation désormais satisfaisante de l'outil MCI (main courante informatisée), ce qui constitue un progrès indéniable. La Cour souligne aussi dans ce rapport que le taux d'occupation de la voie publique, c'est-à-dire le pourcentage de policiers occupés par des activités de voie publique (sécurité publique et circulation), a augmenté de 10 %, mais il s'élevait en 2009 à seulement 5,5 % dans l'ensemble des DDSP et à 6,3 % dans celles couvrant plus de 700 000 habitants. Cette proportion est faible, trop faible sûrement. Les efforts menés vont dans le sens d'une amélioration du service rendu aux citoyens. Nous recommandons de poursuivre ces efforts en fixant un objectif pluriannuel d'amélioration du taux de présence sur la voie publique, qui doit nécessairement augmenter.

La gendarmerie nationale n'est pas dans la même situation, en raison de son statut militaire et de sa tradition historique. L'application du principe de la disponibilité permanente des gendarmes, liée à leur statut militaire et à leur logement, aménagée par des règles relatives aux temps de repos et de récupération, offre une capacité de mobilisation rapide d'un surcroît de personnels en fonction des circonstances dans des conditions de coût budgétaire qui paraissent mieux maîtrisées. En outre, même si les mesures ne sont pas identiques, le temps de travail effectif annuel des gendarmes (1 796 heures en 2007) est supérieur à celui des policiers chargés de missions de sécurité générale qui varie selon leur régime de travail (de 1 435 heures en régime cyclique de nuit à 1 603 heures en régime hebdomadaire en 2007).

Il ressort de cette partie que la réflexion sur l'optimisation des capacités opérationnelles des forces est encore insuffisante, alors même que les années 2003 à 2009 étaient particulièrement favorables en termes de moyens disponibles.

Au-delà de la gestion des ressources humaines, c'est toute une organisation nationale et territoriale qui doit évoluer.

Un certain nombre d'initiatives ont été prises ces dernières années pour adapter et renforcer les capacités opérationnelles des services territoriaux de la police. Nous en soulignons quelques-unes. Mais elles n'ont pas encore abouti à des résultats à la hauteur des attentes initiales.

Ainsi, malgré les corrections apportées depuis 2007, la répartition territoriale des effectifs de policiers laisse subsister d'importantes inégalités entre les circonscriptions de sécurité publique au regard des niveaux de délinquance. En particulier, l'implantation des services de police, plutôt que des unités de la gendarmerie départementale, dans des circonscriptions de moins de vingt mille habitants où la loi ne l'impose pas, est un facteur de déséquilibre au détriment des villes les plus exposées à la délinquance. La Cour recommande sur ce point de relancer un mouvement de redéploiement entre zones de police et de gendarmerie visant en particulier à transférer à cette dernière les communes « isolées » situées dans des circonscriptions de sécurité publique – CSP– de moins de vingt mille habitants.

Quant à la gendarmerie départementale, le dimensionnement de ses unités est arrêté principalement en fonction de la population couverte. Par conséquent, le nombre de faits de délinquance par gendarme varie beaucoup entre les départements. La répartition des effectifs nous paraît être largement perfectible.

La répartition spatiale de ces forces devrait être mieux corrélée avec la taille de la population et l'importance de la délinquance constatée. La présence policière étatique apparaît relativement insuffisante dans certains lieux et, à l'inverse, excessive dans d'autres. Le ministère de l'Intérieur s'est engagé dans un certain nombre de réformes qui ont eu des sorts contrastés, mais qui témoignent néanmoins d'une volonté d'évoluer que nous soulignons. Ainsi le plan de déploiement de nouvelles unités de lutte contre les violences urbaines, conçu pour renforcer les effectifs dans les quartiers réputés sensibles, a dû être arrêté (compagnies de sécurisation) ou revu à la baisse (unités territoriales de quartier). De même, la création des services départementaux de l'information générale (SDIG), dans le cadre de la réforme du renseignement, a aussi été difficile du fait notamment d'effectifs mal calibrés au regard de leurs missions.

Pour la gendarmerie, sa politique immobilière spécifique est l'un des facteurs rendant difficile la réorganisation territoriale. En effet, son parc immobilier comprend non seulement les locaux de services mais aussi les logements des gendarmes, qui leur sont attribués justement pour permettre la disponibilité que l'on attend d'eux. Or aujourd'hui, l'ajustement de l'implantation territoriale de la gendarmerie, qui nécessiterait de nombreux investissements, est ralenti par le manque de moyens suffisants. En un mot, la priorité est la rénovation des casernes existantes, pas la construction de nouveaux bâtiments.

Sur ces sujets, la Cour conclut que des marges de manoeuvres significatives peuvent être trouvées dans le redéploiement des implantations territoriales de l'ensemble des forces de police et de gendarmerie. Afin de mieux remplir, à meilleur coût, les missions de sécurité publique, les moyens nécessaires à ces redéploiements peuvent être aussi recherchés dans une meilleure maîtrise de la progression des dépenses de rémunération.

Les deux derniers chapitres du rapport sont consacrés aux politiques locales de sécurité : le fonctionnement et la gestion des polices municipales.

Le premier constat, c'est que les municipalités contrôlées ont des attitudes bien différentes, s'agissant de lutte contre la délinquance et de participation aux missions de sécurité publique. Cela en soi n'est pas surprenant, puisque les collectivités s'administrent librement. Souvent, les choix effectués sont de nature politique, ce que, bien évidemment, la Cour ne saurait discuter ou remettre en cause. Nous nous contentons d'aborder les aspects qui nous ont paru dignes d'observations et de recommandations, en raison de leur importance comme complément des forces de sécurité de l'État dans la lutte contre la délinquance.

Le terrain sur lequel la Cour formule ses observations et ses recommandations est ici celui de la gestion. Depuis une douzaine d'années, particulièrement le vote de la loi du 15 avril 1999, les polices municipales sont plus nombreuses. Les maires se sont efforcés de répondre à la demande de leurs populations, et y consacrent des moyens croissants. En 2010, les effectifs des polices municipales atteignaient 19 400 agents contre 14 300 en janvier 2002, soit une augmentation de 35 %. Dans les zones de compétence de la police nationale, les services communaux de sécurité – dont les policiers municipaux – représentent environ un quart des agents de sécurité présents.

Les doctrines d'emploi varient aussi, même si beaucoup restent cantonnées dans des missions de police administrative et de prévention. De plus en plus, dans les villes grandes ou moyennes, les polices municipales deviennent de véritables forces complémentaires : elles assurent une partie des missions de surveillance générale de la voie publique et permettent ainsi aux forces de l'État de se consacrer davantage aux interventions ciblées de lutte contre la délinquance.

Surtout, la Cour relève un manque de formation des policiers municipaux, d'autant plus préoccupant que leur action est peu évaluée et contrôlée. Un effort accru de formation initiale et continue apparaît nécessaire. Par comparaison avec celle des gardiens de la paix de la police nationale, la formation initiale des gardiens de police municipale est souvent considérée comme peu qualifiante par les communes les plus actives en matière de sécurité publique.

Ainsi, si les budgets consacrés par les communes et les intercommunalités à leurs missions de sécurité publique et de prévention de la délinquance ont évolué ces dernières années selon leurs capacités financières, la Cour recommande à présent un renforcement de la professionnalisation des personnels, ce qui passe notamment par un effort accru de formation.

Enfin, le dernier chapitre du rapport est consacré à la vidéosurveillance de la voie publique.

Je précise que la vidéosurveillance de voie publique ne comprend pas les systèmes installés dans les transports en commun ou dans les espaces privés et clos comme des locaux commerciaux ou des parkings souterrains. Il s'agit là des caméras installées sur la voie publique. Selon nos estimations, il y en avait environ 10 000 fin 2010. Le déploiement des systèmes de vidéosurveillance, que certaines collectivités possèdent depuis longtemps, est encouragé par l'État depuis plusieurs années, dans l'idée de faire baisser le nombre de délits et d'améliorer leur taux d'élucidation. Leur nombre devrait atteindre 60 000 en 2012.

La Cour constate le coût élevé de ce programme, qui met à la charge des collectivités territoriales, principalement des communes, des dépenses d'investissement d'un montant global d'au moins 300 millions d'euros, subventionnées par le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), les dépenses d'exploitation des systèmes, estimées elles aussi à 300 millions d'euros par an, étant à la charge des collectivités.

Surtout, au-delà de son coût même, c'est le manque d'évaluation de l'efficacité de la vidéosurveillance de voie publique qui a été relevé par la Cour. Les différentes études conduites à l'étranger, notamment au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Australie, ne démontrent pas globalement l'efficacité de la vidéosurveillance de la voie publique. La mise en oeuvre de ce plan de développement accéléré de la vidéosurveillance de la voie publique aurait dû être précédée d'une évaluation de son efficacité selon une méthode rigoureuse. Cela n'a pas été le cas, et nous manquons d'enseignement sur l'efficacité de la vidéoprotection. C'est une lacune dommageable, notamment au regard du montant des dépenses publiques engagées.

Enfin, la Cour a relevé les modalités contestables d'autorisation, d'installation, d'exploitation et de contrôle de ces systèmes, ainsi que la fréquente insuffisance de professionnalisation des agents chargés de visionner les images.

Pour conclure, je rappellerai que le contexte actuel impose de réformer. C'est une nécessité : l'action publique doit être plus efficiente. Or, et en particulier dans la police nationale, les réformes de gestion, d'organisation et de structures qui s'imposaient n'ont pas été totalement prises ou ont été insuffisamment mises en oeuvre. Ce que montre avant tout ce rapport, c'est que la sécurité publique n'est pas qu'une question d'effectifs ou de moyens, mais de bon emploi des moyens, et cela touche à l'organisation et à la gestion. C'est dans cette perspective que la Cour formule 24 recommandations à l'issue de ses travaux, espérant ainsi contribuer utilement au débat public.

D'autres travaux de la Cour viendront compléter ce rapport, à la demande de votre commission, dans le cadre de l'article 58-2° de la LOLF. Ces travaux portent sur le partage du territoire entre police et gendarmerie et sur la mutualisation de leurs moyens. Ils vous seront remis très prochainement.

Je vous remercie de votre attention. Nous sommes prêts à répondre à vos questions.

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