Mes recherches sur la sécurité routière – dont les premières remontent à 1973 ! – portent surtout sur la clinique de l'accidentologie, au travers d'études détaillées d'accidents, complémentaires des approches épidémiologiques qui vous ont déjà été présentées lors de précédentes auditions. Je travaille principalement sur la sécurité des infrastructures, en particulier des infrastructures urbaines. Le problème requiert une approche ergonomique : autrement dit, il s'agit notamment de concevoir des infrastructures qui évitent qu'une situation d'infraction, par exemple l'alcoolémie d'un usager, ne dégénère en accident corporel.
L'analyse clinique montre le rôle important des erreurs de conduite dans les accidents. Ces erreurs sont bien souvent involontaires, et de nature cognitive, c'est-à-dire résultant d'une mauvaise compréhension de la situation. De ce fait, dans la conception des infrastructures, la notion de lisibilité de la route, développée depuis plusieurs années, est essentielle.
Les premières actions menées dans cette perspective ont consisté à éliminer les conflits, et, pour cela, à séparer les usagers selon leur mode de déplacement. L'autoroute a révélé l'efficacité de cette approche.
Ensuite, on a de plus en plus travaillé sur l'intégration des modes et des usages. Elle vise à montrer à l'usager quel est l'autre et comment se comporter quand on le rencontre.
Aujourd'hui, nous disposons de quelques outils dont l'efficacité est indiscutable : la limitation de la vitesse à un endroit donné, l'installation d'un sens giratoire à une intersection entraînent à coup sûr la réduction du nombre d'accidents. En revanche, d'autres outils ont une efficacité plus incertaine, leurs résultats différant d'ailleurs selon les études. D'autre part, l'emploi d'un même outil peut produire des effets variables en fonction des situations concrètes.
Nous sommes ainsi renvoyés à l'adaptation des usagers à l'aménagement. L'acte d'aménagement est une sorte de jeu à deux. Quelle que soit l'excellence des intentions de l'aménageur ou du modèle qu'il appliquera, l'adaptation des usagers pourra entraîner des effets non attendus, perturbant ceux qui sont attendus, et provoquant même parfois, non pas une amélioration, mais une détérioration de la sécurité.
Enfin, l'évaluation des projets, essentielle, n'est pas suffisamment pratiquée en France. Pour la mener correctement, il faut des données, sur les accidents, sur les trafics de piétons, de cyclistes, de cyclomotoristes, ainsi que des outils d'analyse performants et des personnels aptes.
Cette évaluation peut être quantitative ; elle mesurera alors l'évolution du risque avant et après la réalisation de l'aménagement. Elle peut aussi être qualitative ; elle fera alors apparaître les scénarios d'accident avant et après l'aménagement. La connaissance ainsi acquise permettra l'amélioration des outils. À l'échelle locale, l'évaluation permet d'obtenir un retour sur les politiques menées et de former les personnels des réseaux techniques à l'analyse de l'accidentologie. Enfin, elle améliore l'état des connaissances et fait évoluer la doctrine technique.
L'examen des projets fait aussi apparaître qu'en matière de sécurité routière, c'est d'abord au bon sens qu'on fait appel. Or telle n'est pas forcément la meilleure démarche. Ainsi, alors que le bon sens pousse à aménager des bandes cyclables pour protéger les cyclistes, le résultat n'est pas toujours celui qu'on attendait, en raison de la complexité des situations de fait.
En Grande-Bretagne ou en Allemagne, l'intégration très en amont des spécialistes de sécurité routière dans l'élaboration des projets permet de donner de meilleures chances à une bonne adaptation des infrastructures à la sécurité routière.
Enfin, comme l'industrie, la route est un domaine sociotechnique. L'industrie s'est beaucoup intéressée à la sécurité de conception – la recherche de la sécurité dès la conception même des projets. Dans cet esprit, la sécurité routière ne pourrait-elle pas être mieux prise en compte dans les schémas de cohérence territoriale, dans les plans locaux d'urbanisme, dans les politiques de développement économique local ou dans les actions de renouvellement urbain ? Les travaux que nous avons conduits très récemment sur la sécurité et sur les niveaux de risque dans les zones urbaines sensibles (ZUS) ont conduit à des résultats très intéressants.