J'ai consacré vingt années de ma carrière à la construction routière, puis dix à la sécurité routière. À l'IFSTTAR, organisme issu de la fusion du Laboratoire national des Ponts et Chaussées et de l'INRETS, l'Institut national de recherches sur les transports et leur sécurité, j'anime un programme de recherche, consacré à la sécurité des infrastructures et au risque routier, qui a fait apparaître la nécessité d'accorder une attention toute particulière à des éléments comme les virages et les carrefours. Nous nous sommes aussi aperçus que certaines caractéristiques routières étaient essentielles pour permettre aux conducteurs de comprendre la route qu'ils empruntent et d'y percevoir à leur juste place les autres usagers. La tenue de route en virage et en freinage est fondamentale ; les obstacles constituent des facteurs aggravants d'insécurité.
Quelles solutions apporter ? D'abord, nombre d'actions destinées à prévenir les risques potentiels sont fondées sur des diagnostics établis à partir d'analyses d'accidents. Or, ce n'est pas là le seul moyen d'évaluer les causes d'accident liées à l'infrastructure. Pour mesurer les risques potentiels, il nous faut aussi développer des indicateurs de risques fondés sur les caractéristiques de celle-ci. C'est ce que nous avons fait dans notre programme de recherche. Nous avons analysé, s'agissant des virages, le rôle des rayons de courbure, des dévers, de l'adhérence et, s'agissant des carrefours, celui – notamment – de leur configuration.
Par ailleurs, les diagnostics sont fondés sur les seuls accidents corporels. La prise en compte des accidents matériels fournirait un supplément de données considérable, permettant de déterminer beaucoup mieux les points à risque de l'infrastructure.
Il nous faut aussi développer la « route auto-explicative », autrement dit la route lisible et répétable. Même si la diversité est réelle en France entre, par exemple, routes de montagne et routes de plaine, un conducteur qui traverse notre pays doit être capable de comprendre un virage ou un carrefour de la même manière, où qu'il se trouve. Des initiatives locales peuvent aboutir à le désorienter ; or, un conducteur désorienté, c'est un facteur de risque supplémentaire.
Nous devons aussi travailler à la « route qui pardonne ». Celle-ci est une route débarrassée d'obstacles là où le risque de perte de contrôle est le plus fort – il ne s'agit pas de supprimer tous les arbres qui bordent nos routes. Ce serait aussi une route où la signalisation serait répétée : les travaux publiés le montrent, il n'est pas rare que les conducteurs ne la perçoivent pas. Le développement de la signalisation embarquée dans les véhicules offrirait un élément d'information supplémentaire au conducteur.
Nous devons également travailler à une signalisation moderne et adaptée, dynamique et personnalisée, comprise par les usagers : ceux-ci ne l'interprètent pas toujours comme les ingénieurs l'ont conçue. Il nous faut continuer à mener des expérimentations. En liaison avec les départements, nous avons travaillé sur les routes départementales, dans le cadre d'un projet SARI (suivi automatisé de l'état des routes pour l'information des gestionnaires et des conducteurs) : là est en effet l'enjeu le plus fort compte tenu de la diversité et de la variété de ces voies, mais aussi des coûts. Nous devons être capables de proposer des alternatives aux travaux, comme par exemple de la signalisation dynamique, concentrée sur les points les plus dangereux – que nous devons donc être capables d'évaluer – et adaptée à des conducteurs dont le comportement, en matière de vitesse par exemple, n'est pas toujours celui qui est attendu.
Par ailleurs, si la vitesse est un élément essentiel de la sécurité routière, sa prescription n'est pas toujours homogène ni même proportionnelle au risque. Dans certaines zones, la limitation de vitesse est supérieure à la vitesse maximale praticable ; dans d'autres, elle est inférieure à la vitesse praticable en sécurité. La définition de la vitesse réglementaire maximale doit donc intégrer la notion de risque. Nos travaux nous mettent à même de proposer des algorithmes de calcul de vitesses réglementaires plus en rapport avec le risque encouru, notamment du fait des circonstances matérielles telles que la météorologie.
Enfin, la France doit se donner les moyens d'une véritable évaluation. Pour cela, il nous faut multiplier les sources de données. La base de données des accidents corporels mériterait d'être plus sûre. Il faut aussi, je le répète, répertorier les accidents matériels. L'accès aux procès-verbaux d'accidents devrait être plus facile. Les données relatives au trafic font également défaut aujourd'hui.