Je m'exprimerai avec réserve puisque je suis membre, au nom de l'Assemblée nationale, de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS). Je parle également sous le contrôle de M. Bernard Derosier, qui a été membre de cette institution bien avant moi.
Je me réjouis tout d'abord de l'adoption de la loi de 1991, après qu'un certain nombre de turpitudes eurent été commises. Elle a donné satisfaction puisque, depuis son application sous différents gouvernements, nous n'avons pas été saisis de problèmes aussi graves que celui que nous examinons aujourd'hui.
Cette loi a, de plus, été complétée par celle de 2006 sur le terrorisme, dont l'article 6 prévoit qu'une personnalité qualifiée encadre de manière autonome, sous le contrôle de la CNCIS et de Matignon, les nombreuses demandes relatives à la lutte contre le terrorisme.
Certains éléments du dossier sont troublants.
Chacun a connaissance du rappel à l'ordre, ou du moins du conseil bienveillant du président Jean-Louis Dewost – c'était avant que M. Hervé Pelletier ne le remplace à la tête de la CNCIS – : on subodorait déjà que des opérateurs tels que SFR, Orange ou Bouygues avaient pu être directement sollicités. Le cabinet du Premier ministre avait du reste rappelé aux trois ministères qui ont l'occasion de saisir Matignon et, à travers Matignon, la CNCIS, que les opérateurs ne peuvent pas donner en direct des informations ou des fadettes. Je me place ici, non pas sur le plan judiciaire, mais sur les plans de la loi et des procédures administratives.
Le directeur de cabinet du Premier ministre, après que la réponse du délégué général de la CNCIS, M. Récio, eut paru dans Le Monde, a fait lui-même un rappel à l'ordre au nom du Premier ministre.
Il est facile de mettre en cause le seul directeur de la police nationale du fait qu'il ait déclaré à la radio : « C'est moi. » Ce que je reproche aux fonctionnaires impliqués, si on leur a demandé de contrevenir à la loi, c'est leur non-désobéissance. Il est facile, je le répète, de prétendre que MM. Péchenard et Squarcini ont pris cette décision sous leur bonnet sans en référer à l'autorité politique. Je rappelle que le ministère de l'intérieur est placé sous l'autorité du Premier ministre. Si tel n'est plus le cas depuis quelques années, c'est une erreur. Le Premier ministre ou son directeur de cabinet ont-ils été saisis préalablement de la demande de renseignements de repérage technique auprès de l'opérateur Orange ? Pour le savoir, il nous serait utile d'auditionner le directeur de cabinet du Premier ministre, MM. Péchenard et Squarcini et, de nouveau, vous-même, monsieur le ministre. J'ai le sentiment que c'est à juste titre que Matignon ne se sent pas concerné par cette affaire. Je peux en tout cas témoigner que jamais la CNCIS n'a été saisie d'une demande du Premier ministre en vue de donner une autorisation préalable.
L'année dernière, dans la précipitation, M. Péchenard avait invoqué, dans un premier temps, l'article 6, relatif à la personnalité qualifiée chargée d'encadrer les demandes liées au terrorisme. Il ne s'agissait pas, en l'occurrence, de fadettes, mais de fadaises ! Puis, on a invoqué l'article 22 avant de se rabattre sur l'article 20 ! Une hiérarchie administrative placée sous une autorité politique ne peut pas se permettre un tel flottement !
Cette affaire a créé un vrai malaise au sein de la CNCIS. Son nouveau délégué général, M. Olivier Guérin, a dû, il y a peu, rappeler dans Libération que, si la Commission avait été saisie, elle aurait donné un avis défavorable. Je peux vous le confirmer : ni le président Hervé Pelletier, ni le sénateur Jean-Jacques Hyest ni moi-même n'aurions donné suite à une telle demande venue de Matignon. Cela signifie, à mes yeux, qu'aucune demande n'est venue de Matignon et je subodore même que l'Hôtel de Matignon n'a lui-même reçu aucune demande. Indépendamment des conclusions de la procédure judiciaire, une faille dans le dispositif administratif est évidente. Lorsque j'étais ministre de l'intérieur, les demandes d'écoute administrative transitaient par les voies régulières, c'est-à-dire le directeur de cabinet de Matignon : aucune autorisation n'est passée par une autre voie.
Oui ou non, monsieur le ministre, y a-t-il eu une entorse à cette règle ?