Changeons maintenant de sujet : dans un courrier du 2 septembre dernier, j'exprimais le souhait, au nom des membres de mon groupe, que notre Commission puisse auditionner plusieurs personnalités impliquées dans les repérages de communications téléphoniques visant un journaliste du Monde. Nous vous remercions, monsieur le président, de nous donner l'occasion d'interroger le ministre de l'intérieur sur cette affaire, mais nous ne devons pas en rester là.
La gravité des faits commis exige, en effet, que l'Assemblée nationale puisse auditionner l'ensemble des protagonistes de cette affaire. Qu'ils en aient été des agents actifs, des témoins passifs ou des spectateurs impuissants, tous doivent pouvoir être entendus sur ces atteintes qui ont été portées à la liberté de la presse et à la loi de 1991 relative au secret des correspondances. Dans un contexte marqué par la défiance à l'égard du politique et par bien d'autres révélations, au cours des derniers jours, de telles pratiques ne font qu'éloigner davantage les Français de leurs représentants. Pour restaurer la confiance, il est donc impératif que les institutions républicaines se montrent à la hauteur de leur rôle : la garantie de l'indépendance de la justice et de la liberté de la presse est une priorité essentielle. Il appartient à tous les parlementaires de montrer qu'ils sont les gardiens vigilants des lois et des valeurs !
Cette interpellation n'a rien d'exceptionnel : conformément à sa mission de contrôle, il est naturel que la commission des Lois s'interroge sur cette affaire et qu'elle puisse obtenir des éclaircissements de la Chancellerie, de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) et du directeur de cabinet du Premier ministre. Mais il importe, avant tout, que nous puissions entendre dans les meilleurs délais M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur au moment des faits incriminés, M. Bernard Squarcini, chef de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), ainsi que M. Frédéric Péchenard, directeur général de la police nationale. À défaut, notre groupe envisage de demander la création d'une commission d'enquête conformément aux articles 140 et suivants du Règlement de l'Assemblée nationale.
Dans l'immédiat, les membres du groupe auquel j'appartiens vous poseront plusieurs questions, monsieur le ministre, visant à établir non seulement le degré d'information et de responsabilité du ministère de l'intérieur, mais aussi le vôtre dans les fonctions de secrétaire général de l'Élysée que vous exerciez à l'époque. Pour ma part, je voudrais rappeler quelques évidences et un principe.
La première évidence concerne l'infraction légale. Le 1er septembre 2011, vous avez confirmé que la direction centrale du renseignement intérieur avait effectué des repérages de communications téléphoniques au sujet d'un journaliste du Monde, Gérard Davet, pour tenter d'identifier ses sources dans le cadre de l'affaire « Woerth-Bettencourt », qui concerne le financement d'une formation politique. Ces pratiques sont d'autant plus inquiétantes qu'elles concernent des journalistes et mettent en cause la liberté de la presse : en se procurant des informations confidentielles auprès d'un opérateur téléphonique, Orange, sans impératif prépondérant d'intérêt public et hors de toute saisine de l'autorité judiciaire, la DCRI a délibérément violé la loi du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes. J'observe, par ailleurs, qu'aucun des motifs prévus par la loi de 1991 ne peut être retenu : il ne nous a pas semblé, au cours des derniers mois, que l'affaire « Woerth-Bettencourt » avait le moindre rapport avec la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, la prévention du terrorisme, la criminalité et la délinquance organisée, ou la reconstitution et le maintien de groupements dissous. Après avoir démenti qu'il avait été saisi, le délégué général de la CNCIS a d'ailleurs indiqué qu'il n'aurait jamais donné son accord à une telle procédure.
La seconde évidence concerne l'intention, qui est indigne. De l'aveu de Frédéric Péchenard, les fadettes du journaliste ont été demandées à l'opérateur avant qu'un membre de la Chancellerie, en l'espèce M. David Sénat, ne soit mis en cause. Il y a un an, le directeur général de la police nationale ne reconnaissait qu'une brève et ponctuelle vérification ; invité par France Info, le 9 septembre dernier, ce même haut fonctionnaire, qui semble progressivement faire office de fusible dans cette affaire, est allé un peu plus loin en reconnaissant qu'il avait demandé à la DCRI d'identifier la personne qui, soumise au secret professionnel et ayant un accès à des documents sensibles, divulguait des informations confidentielles dans une affaire judiciaire en cours, ce qui constituait une infraction pénale, indiquait-il ; il aura presque fallu un an pour que le Gouvernement reconnaisse, par votre voix, monsieur le ministre, que la DCRI avait effectivement procédé à la surveillance électronique des communications d'un journaliste du Monde.
La loi a donc été violée à plusieurs reprises et la liberté de la presse a été bafouée. Dans quel but ? À quelles fins ? Qui a donné l'ordre de procéder ainsi ? A quel niveau ? Étiez-vous au courant, à votre poste de secrétaire général de l'Élysée ? Votre prédécesseur au ministère de l'intérieur, Brice Hortefeux, a-t-il été informé ? La gravité des faits justifie pleinement nos questions, et appelle des réponses précises. Je demande que nous prenions le temps nécessaire pour en parler avec vous, mais aussi que nous puissions auditionner les personnes dont j'ai rappelé les responsabilités directes et indirectes dans cette affaire, en vue de faire toute la lumière.
Quand la loi est violée, il convient, à tout le moins, que notre Commission puisse poser les questions précises qui s'imposent, et surtout qu'elle obtienne, pour l'opinion publique, des réponses aussi précises que possible.