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Intervention de Pierre Lellouche

Réunion du 13 septembre 2011 à 15h00
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Pierre Lellouche, secrétaire d'état chargé du commerce extérieur :

Le commerce mondial, aujourd'hui, ce sont quelque 15 300 milliards de dollars d'exportations. Au premier rang, on trouve la Chine, qui totalise 1 580 milliards, soit 10 % du total des exportations. Ce chiffre était encore de 3 % il y a dix ans, ce qui la plaçait au septième rang ; peu auparavant, il ne dépassait pas 1 %. Derrière elle, au coude à coude, les États-Unis, très déficitaires, et l'Allemagne, excédentaire ; ils représentent chacun 1 280 milliards environ. Vient ensuite le Japon, excédentaire, avec 770 milliards. La France est cinquième, avec 581 milliards, soit 3,4 % de parts de marché ; le président Cahuzac l'a dit, ce dernier chiffre a perdu deux points en dix ans. Du reste, cette baisse est mécanique, les anciens pays riches laissant à la Chine leur part d'un gâteau dont la taille a par ailleurs augmenté.

Du point de vue des flux commerciaux, le monde se partage donc en deux zones. La première est constituée des grandes nations excédentaires, c'est-à-dire les grands pays émergents d'Asie et d'Amérique latine et ceux qui sont portés par leur sous-sol : la Chine, dont l'excédent commercial atteint 183 milliards de dollars ; la Russie, riche en pétrole et en gaz, et dont l'excédent est de 152 milliards ; le Brésil – 11 milliards – et le Moyen-Orient – 444 milliards. S'y ajoutent deux exceptions occidentales : l'Allemagne et le Japon. Toutes les autres grandes nations sont déficitaires. Il s'agit de ce que j'appelle les anciens pays riches, notamment les pays européens, dont, naturellement, la France et l'Angleterre, mais aussi le Canada.

Les chiffres du commerce extérieur français se sont notablement aggravés en 2011. D'un déficit de 37,5 milliards d'euros au premier semestre, dont 11,6 au titre de nos relations avec la seule Chine, nous allons ainsi passer à 75 milliards en fin d'année, soit 20 milliards de plus que notre record de 2008. Notons que le déficit de nos relations commerciales avec la Chine représentait l'an dernier 26 des 51 milliards de notre déficit commercial. Je le regrette d'autant plus que je me sens responsable de cette situation, même si elle me dépasse en grande partie, puisque, comme le disait le président Lévy, l'État n'est que la force commerciale d'accompagnement et que le problème est en grande partie structurel.

À ces mauvais résultats, on peut trouver deux circonstances atténuantes. La première est l'explosion de notre facture énergétique, responsable de plus de 50 % du creusement de notre déficit commercial par rapport au deuxième semestre 2010. La seconde est l'euro fort, qui a freiné nos exportations à hauteur de 0,6 %. En d'autres termes, sur les 25 milliards de déficit supplémentaires par rapport à 2010, 12 environ peuvent être attribués à l'augmentation de notre facture énergétique et 3 à la surévaluation de l'euro par rapport aux monnaies concurrentes. Reste un socle structurel de défaut de compétitivité qui doit faire l'objet de toutes nos attentions.

Comparons ce qui est comparable. La différence entre le déficit français et l'excédent allemand est de 200 milliards d'euros, soit 8 % du PIB. Or l'Allemagne paie aussi une facture énergétique, au demeurant plus élevée que la nôtre : 47 milliards d'euros au premier semestre 2011, contre 30 milliards pour la France, soit respectivement 3 et 2,5 % du PIB. On le sait, notre énergie nucléaire nous donne l'avantage. En outre, l'Allemagne, elle aussi, travaille en euros. Et pourtant, elle continue d'accumuler les excédents.

La France est le seul pays européen dont les exportations n'ont pas retrouvé le niveau qui était le leur avant la crise. Nos exportations ne représentent plus que 40 % de celles de l'Allemagne, contre 55 % il y a dix ans, et 12 % des exportations de l'UE-27 vers le reste du monde.

Vous l'avez dit, monsieur Emmanuelli : c'est notre industrie qui « cale » à l'export. Le déficit hors énergie atteint 7,1 milliards d'euros au premier semestre 2011, contre 2,8 milliards au deuxième semestre 2010. Ce niveau est malheureusement lui aussi sans précédent. Le premier déficit hors énergie de notre balance commerciale est celui de l'industrie manufacturière : il représente 24,5 milliards, soit deux tiers du déficit total.

Venons-en aux fameux grands contrats. Longtemps, le commerce extérieur s'est résumé aux déplacements du Président de la République à l'étranger pour vendre des centrales nucléaires, des avions et des trains. Mesdames et messieurs les députés, je dois à la vérité de dire que nos clients d'hier sont devenus nos concurrents et que certains secteurs ont évolué : c'est le cas de l'armement, ou de l'énergie nucléaire, contestée dans de nombreux pays. On ne peut donc plus dire, comme on me le disait encore lorsque j'ai pris mes fonctions : « Nos PME n'exportent pas, mais ce n'est pas grave, car nous avons les grands groupes et les grands contrats. »

Pour les défendre, nous nous battons énergiquement, et nous obtenons des résultats : en 2010, nous en avons signé 40 % de plus et l'ensemble représente 21 milliards d'euros. Au premier semestre 2011, on atteint le chiffre de 11,4 milliards : c'est notre meilleure performance depuis la crise. Mais cela ne suffit pas au regard du déficit structurel de notre machine industrielle. Les deux Mistral que j'ai vendus en juin à M. Medvedev représentent un enjeu politique important, mais ils ne rapportent que 1,2 milliard d'euros. Réduire le problème du commerce extérieur de la France aux seuls grands contrats, c'est se tromper de cible.

Notre mission est d'oeuvrer à la réindustrialisation et d'accompagner les PME à l'exportation.

Notre tissu exportateur est composé de 94 800 entreprises, soit deux fois moins qu'en Italie et quatre fois moins qu'en Allemagne. Il est aussi plus morcelé que celui de nos voisins : 93 % de ces entreprises sont des PME, 74 % des très petites entreprises - TPE. Il est donc concentré sur les grands groupes, surtout sur quelques-uns d'entre eux. Nos 1 000 plus grandes entreprises réalisent ainsi 70 % de nos ventes à l'étranger. En outre, notre appareil productif est extrêmement focalisé sur l'Union européenne, concernée par 62 % de nos ventes, contre 8,1 % seulement pour les BRIC. L'Allemagne a adopté au contraire une stratégie de diversification vers les marchés émergents, dont la part dans ses ventes représente déjà 12 % et continue de croître.

Tel est le diagnostic sur lequel nous avons longuement travaillé, bien loin de nous contenter des éléments que l'on nous avait initialement fournis. Nous sommes donc confrontés à un véritable problème structurel, irréductible à la valeur de l'euro, à la facture énergétique ou à la place des grands groupes. Il s'agit d'une crise du « produit en France ». Le commerce extérieur n'est pas un à-côté de notre politique économique ; il devrait au contraire être au coeur de notre effort de construction industrielle.

Pour reprendre la fameuse formule du président Obama, « New markets, new jobs ». Pour créer des emplois, il faut aller les chercher à l'exportation et, comme l'a dit M. Lévy, identifier les produits qui correspondent à la demande mondiale.

Cela étant, je ne partage pas entièrement l'analyse du président Lévy : je suis persuadé que nous n'avons pas encore identifié tous nos gisements de PME et de créativité. Nombre de PME pourraient vendre leurs produits si elles disposaient des outils adaptés, y compris dans l'agro–alimentaire. Nous avons donc besoin d'une politique de filière.

Pour cela, il faut faire travailler ensemble Ubifrance, les chambres de commerce, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi – les DIRECCTE – et les régions. Nous avons déjà commencé, grâce à la collaboration des présidents de région et de M. Rousset. J'ai ainsi été auditionné, à ma demande, par l'Association des régions de France, et nous travaillons à des chartes régionales qui devraient aboutir à la création de maisons de l'export sur le modèle de celle de Lille, car les PME ont besoin d'un guichet unique où trouver l'information sur les marchés, les moyens financiers d'accompagnement, bref toutes les aides à l'export, qu'elles émanent de la région, de l'État ou d'entreprises privées.

Nous avons signé le 12 juillet une charte nationale qui fixe des objectifs à chacun des acteurs qui composent les maillons de la chaîne, conformément aux recommandations de la Cour. S'y ajoutent quatre chartes régionales en Alsace, en Auvergne, en Lorraine et en Rhône-Alpes. Nous espérons ainsi susciter une émulation qui incitera les chambres régionales, Oséo, la COFACE, Ubifrance et les régions à unir leurs forces pour identifier et aider les PME qui en ont besoin.

Du côté de l'État, conformément, là encore, aux préconisations de la Cour, nous avons cherché à améliorer la productivité d'Ubifrance, institution récente qui doit beaucoup à Christine Lagarde. Nous disposons maintenant d'une force de frappe commerciale dont l'efficacité n'a pas échappé à nos partenaires, notamment américains et britanniques. En matière d'accompagnement des PME, Ubifrance accomplit sa mission : nous sommes présents dans cinquante-six pays, où nous organisons le réseau de vente à l'étranger et accompagnons le travail de nos ambassades et de nos postes économiques, davantage tournés vers les contrats dits régaliens.

Il fallait, vous l'avez dit, éviter les effets d'aubaine. Pour faire un bon usage de l'argent public, il ne suffit pas d'accompagner les entreprises, il faut aussi s'assurer de la signature effective de contrats. Ainsi, les directeurs pays d'Ubifrance, que je rencontrerai demain, doivent s'engager sur des objectifs qualitatifs, et non sur le seul nombre d'entreprises accompagnées.

Avec la COFACE et Oséo, nous avons rationalisé les offres financières d'accompagnement, celles des banques étant souvent insuffisantes, et créé une « export box ».

S'y ajoute une mesure dont j'attends un effet psychologique : le Président de la République et le Premier ministre ont accepté que les chefs d'entreprise qui les accompagnent à l'étranger soient désormais pour moitié des patrons de PME.

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