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Intervention de Michel Raison

Réunion du 13 juillet 2011 à 10h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Raison, rapporteur :

Comme l'a indiqué le Président, le groupe de travail conjoint de la commission des affaires économiques et de la commission des affaires européennes a été constitué pour faire des propositions sur l'avenir de la PAC. Ses travaux ont abouti à la proposition de résolution européenne que nous examinons aujourd'hui et dont je vais vous présenter les principaux éléments. Je vous propose de l'adopter conforme, car elle est le fruit d'un travail établi en étroite collaboration entre les différents membres du groupe.

Tout d'abord, je tiens à signaler que la réforme de la politique agricole commune après 2013 ne sera pas une réforme comme une autre. 2013 marquera en effet la fin de la paix budgétaire : l'accord de Luxembourg de 2003 avait posé le principe d'un budget agricole stabilisé pendant dix ans. L'avenir de la PAC sera étroitement lié au résultat des négociations sur le futur cadre financier de l'Union européenne pour 2014-2020. Dans le contexte de crise économique et financière qui pèse sur les économies européennes, la PAC est en concurrence avec les autres politiques.

Cette réforme sera aussi la première conduite à vingt-sept. Si les mécanismes de la PAC prévus pour six avaient, lors des réformes successives, pu être adaptés à quinze, un simple ajustement ne suffit plus. En particulier, la question de la répartition des paiements directs entre États membres sera l'un des points importants de la négociation européenne, ainsi que l'a souligné Jean Gaubert.

La Présidence française de l'Union européenne avait lancé, dès 2008, à l'occasion de l'examen du bilan de santé de la PAC qui clôturait un cycle de réformes, un débat sur la refonte de cette politique après 2013. Après l'appel de Paris pour une politique agricole et alimentaire commune du 11 décembre 2009, la France et l'Allemagne ont pris l'initiative, le 14 septembre 2010, d'une position commune pour une politique agricole forte au-delà de 2013. Dans la continuité, des délégations des Parlements français et allemand ont adopté, le 3 février 2011, au Sénat, une position commune. Mais le clivage traditionnel entre États membres partisans d'une PAC forte et ceux qui jugent cette politique plutôt obsolète existe toujours.

La réforme qui s'engage peut donc être la réforme de tous les dangers car elle affecte à la fois le budget, les objectifs de la PAC et son contenu. Mais elle peut aussi être l'occasion pour la PAC de faire la preuve de sa valeur ajoutée et de sa légitimité. Nous avons encore de nombreux mois devant nous pour convaincre. Je vous renvoie à cet égard au rapport, qui contient un développement sur l'efficacité de la PAC et qui réfute les critiques récurrentes qui lui sont adressées. Cette légitimité va se trouver confortée par le nouveau contexte institutionnel : le processus décisionnel fait du Parlement européen un colégislateur au même titre que le Conseil.

Dans l'attente des propositions législatives de la Commission européenne, attendues pour le mois d'octobre, la communication du 18 novembre 2010 intitulée « La PAC à l'horizon 2020 : alimentation, ressources naturelles et territoire - relever les défis de l'avenir » constitue la base des discussions au niveau européen. Les objectifs stratégiques de la PAC identifiés par la Commission sont largement consensuels. Il s'agit de maintenir durablement la capacité de production agricole afin de garantir la sécurité alimentaire des citoyens et contribuer à la demande alimentaire mondiale ; contribuer à une gestion durable des ressources et à la lutte contre le changement climatique ; assurer la vitalité des zones rurales et l'équilibre territorial en termes de compétitivité et de créations d'emplois. Le fait que la sécurité alimentaire soit placée au premier rang des objectifs témoigne d'une évolution positive de la part de la Commission, en rupture avec le discours des dernières années, marqué par la forte crainte de la surproduction. Le G20 qui vient d'avoir lieu a bien réaffirmé cette capacité productive que doivent avoir les pays agricoles.

Cependant, au-delà des objectifs, les grandes lignes de la réforme ne sont pas encore arrêtées, et notre groupe de travail a souhaité adopter en amont des orientations prioritaires pour la défense d'une PAC forte.

Deux préalables s'imposent. Il nous faut un budget fort, c'est-à-dire maintenu à son niveau actuel, à l'euro près. A cet égard, on peut se féliciter que le cadre financier proposé par la Commission le 29 juin dernier gèle les dépenses pour le secteur agricole à leur niveau de 2013. Il faut également une politique commerciale équilibrée. Premier importateur mondial de produits agroalimentaires, l'Europe n'est pas repliée sur elle-même. Dans le cadre des négociations multilatérales du cycle de Doha, elle a déjà fait beaucoup d'efforts face à des pays qui ne sont pas en reste sur les soutiens qu'ils apportent à leurs agriculteurs. Même si la conclusion du cycle de Doha paraît aujourd'hui très incertaine, il ne faut pas en exclure la possibilité. L'Union européenne a déjà consenti à des concessions très importantes dans le cadre du « paquet agricole » de juillet 2008, tant en termes d'accès au marché que de régulation. Il faut donc absolument éviter d'aller au delà de cette offre, ce qui ferait de l'agriculture la variable d'ajustement de la négociation globale. L'Europe doit également défendre ses intérêts en matière d'indications géographiques car celles-ci sont la garantie de la qualité, notre principal atout face à la concurrence mondiale. Il est d'autre part essentiel de veiller à nos intérêts en matière d'agriculture dans le cadre des négociations commerciales bilatérales. Je pense en particulier à la perspective d'un accord avec le Mercosur, qui pourrait mettre gravement en danger l'élevage européen, en particulier bovin. Il convient enfin de promouvoir le principe de réciprocité, en vertu duquel les produits importés doivent être conformes aux normes imposées aux producteurs européens, afin de garantir des conditions de concurrence équitables au plan mondial.

Je voudrais dire un mot sur la parité des revenus, qui fait partie des objectifs initiaux de la PAC. La PAC visait en effet à l'origine à nourrir la population européenne mais également à assurer la parité de revenus entre les agriculteurs et les autres catégories économiques. On s'aperçoit aujourd'hui que les paysans, en moyenne européenne, perçoivent 40 à 50 % du revenu moyen. La part de la valeur ajoutée qui leur revient au sein de la chaîne d'approvisionnement alimentaire ne cesse de décroître en moyenne européenne. Il s'agit d'un vrai problème et il faut que la politique agricole en tienne compte. On peut considérer que les aides perçues par les agriculteurs tombent dans une sorte de puit sans fond que pourraient être les poches de certains acteurs que je ne nommerai pas et ce n'est pas la PAC que nous voulons.

Le groupe de travail recommande une régulation musclée avec des instruments plus réactifs et plus efficaces, même si ce point est l'un des plus controversés des négociations. Face à la volatilité des prix et à la multiplication des risques sanitaires et climatiques, il est aujourd'hui indispensable de renforcer la régulation, dans le double objectif de garantir la sécurité alimentaire et de soutenir le revenu des agriculteurs. Les orientations de la communication de la Commission sont à cet égard insuffisantes. Nous souhaitons qu'une véritable réflexion, permettant de déterminer quels sont les instruments les plus efficaces, soit menée. Les récentes crises qui ont frappé les agriculteurs européens, notamment la crise du lait de 2009, ont permis une certaine prise de conscience au niveau européen. Ainsi, la communication de la Commission n'envisage pas de poursuivre le démantèlement des instruments de régulation engagé depuis le début des années 1990, mais elle reste assez vague sur les évolutions possibles, et il n'existe pas de majorité au sein du Conseil en faveur d'un renforcement de la régulation qui irait au-delà d'un « filet de sécurité ». A notre sens, la régulation devrait pourtant avoir une dimension préventive pour être véritablement efficace. L'ensemble du groupe de travail, toutes tendances politiques confondues, s'est accordé sur ce sujet. Dans ce groupe ne se trouvait en effet aucun intégriste du marché, n'en déplaise à ceux qui le sont.

Le groupe de travail souligne plus spécifiquement, dans la continuité de la résolution adoptée récemment sur les droits de plantation, la nécessité de maintenir des instruments de gestion de l'offre pour certaines productions. La suppression des droits de plantation programmée en 2015 menacerait l'avenir du muscadet, entre autres, et de la viticulture européenne dans son ensemble. Il convient donc d'inclure ce secteur dans le champ des négociations sur la PAC et d'inscrire le régime des droits de plantation comme règle permanente dans la future PAC.

Je fais aussi une parenthèse sur le fameux dossier du programme européen d'aide aux plus démunis (PEAD). La Cour de Justice des Communautés européennes a rendu en avril dernier un arrêt qui contraint la Commission à attribuer pour 2012 à ce programme un cinquième du budget habituel. Le point 33 de la résolution évoque ce problème en insistant pour le niveau des crédits accordés au PEAD soit maintenu. Cela implique une réforme des règlements européens. C'est important car cela fait partie de l'âme du monde agricole. Dans les milieux ruraux, les gens, souvent, n'ont pas faim car leurs voisins les aident, on rencontre ces problèmes dans les milieux urbains. Le fait que la politique agricole européenne s'intéresse aussi aux plus démunis cela fait partie de l'âme d'origine des paysans. Pendant les guerres, les paysans recevaient et nourrissaient des Parisiens afin que ces derniers puissent vivre normalement. Je trouve très noble que la politique agricole européenne continue, avec en plus des stocks qui sont nécessaires à la régulation, à aider les plus démunis. Mais tous les pays ne sont pas nécessairement d'accord avec nous sur ce sujet.

Une régulation internationale doit parallèlement être mise en oeuvre, et le plan d'action adopté par les ministres de l'agriculture du G20 le 23 juin dernier est une étape importante dans cette voie. Celui-ci prévoit en effet l'amélioration de l'information et de la transparence sur les marchés, ainsi que de la coordination internationale afin de prévenir et gérer les crises alimentaires de manière plus efficace. Une meilleure régulation des marchés de matières premières agricoles est également nécessaire. Dans la même perspective, s'il est positif que la Commission propose d'inclure dans le second pilier un ensemble d'outils de gestion des risques, le débat sur ces nouveaux instruments (systèmes assurantiels, fonds de mutualisation…) doit être approfondi, de façon à obtenir une couverture efficace des risques de prix, de production et de revenus auxquels sont confrontés les agriculteurs européens. Le développement de ce type d'instruments ne doit cependant pas se substituer à la nécessaire régulation des marchés.

Le groupe de travail est également favorable aux initiatives européennes visant à rééquilibrer les relations entre producteurs et acheteurs au sein de la chaîne d'approvisionnement alimentaire – sujet qui en France a été mis en lumière par la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche. Il faut saluer à cet égard l'évolution de la Commission européenne, qui admet à présent certaines dérogations au droit de la concurrence pour prendre en compte les spécificités de la filière laitière, et souhaiter que des dérogations, voire de nouvelles règles, puissent également s'appliquer à d'autres secteurs agricoles.

Nous souhaitons le maintien de l'équilibre entre les deux piliers sur lesquels repose la PAC, avec un premier pilier solide et financé communautairement, de manière annuelle, comprenant les aides directes à la production et les mesures de marché ; et un second pilier « développement rural » cofinançant des actions volontaires des États membres relevant d'une programmation pluriannuelle.

Le «verdissement » du premier pilier proposé par la Commission – avec l'introduction d'une composante environnementale des paiements directs que tous les États membres devraient mettre en place, rémunérant des mesures annuelles, obligatoires, allant au-delà de la conditionnalité existante - est un gage de légitimité de la PAC car il ne peut y avoir d'agriculture que durable. D'ailleurs, s'il y a toujours une agriculture, c'est parce qu'elle est durable depuis très longtemps. Au cours des siècles, les hommes ont été suffisamment responsables pour corriger les erreurs qu'ils avaient faites. Cependant, il est important que ce verdissement soit intelligent, c'est-à-dire corresponde à des enjeux réels et ne fasse pas peser sur les intéressés des contraintes trop lourdes ou abusives ; l'impératif économique des aides doit être clairement établi, il doit être plus scientifique qu'idéologique.

La répartition des aides entre États membres ainsi qu'à l'intérieur des États doit être plus équitable. Le rapport recommande une convergence suffisante et acceptable par l'ensemble des États membres et l'abandon du système des références historiques. Comme le disait Jean Gaubert, il faudra se mettre d'accord sur des calendriers. Concernant la question du plafonnement soulevée par la Commission européenne, il serait souhaitable d'introduire un mécanisme de dégressivité, modulé en fonction des emplois (masse salariale par exemple).

Enfin, la PAC doit inclure un axe essentiel en faveur des régions défavorisées. Le groupe de travail est à cet égard favorable à l'introduction dans le cadre du premier pilier, d'un soutien zoné en complément du soutien du deuxième pilier, proposé par la Commission européenne. Il souhaite également le maintien de la possibilité d'aides couplées, justifiées par les caractéristiques particulières de certains types d'agriculture ou de certaines zones.

Le deuxième pilier doit être orienté vers des priorités mieux ciblées, et permettre notamment le développement d'agricultures diversifiées, qu'il s'agisse des circuits courts ou des productions de qualité supérieure. Le soutien à l'innovation doit également être un axe important car il s'agit d'un enjeu essentiel pour la compétitivité de l'agriculture européenne, comme d'ailleurs pour toutes les autres activités économiques. Nos pays développés ne pourront survivre que s'ils gardent une avance technologique. J'insiste fortement sur ce point concernant l'agriculture, car la Chine est présente dans le domaine agricole et pourrait nous dépasser sur le plan technologique si l'idéologie l'emporte sur la science.

Telles sont les grandes orientations que nous souhaitons pour la future réforme, qui sont reprises dans la proposition de résolution, adoptée à l'unanimité le 29 juin par la Commission des affaires européennes, et que je vous propose d'adopter conforme.

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