Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cette proposition de loi, déposée sur le bureau du Sénat il y a trois ans, n'a pas suscité l'engouement de la représentation nationale, contrairement au débat sur la défiscalisation des oeuvres d'art qui nous a occupés il y a quelques semaines.
À écouter les promoteurs de cette proposition de loi, il ne s'agirait que d'un texte technique d'harmonisation, destiné à mettre notre droit en conformité avec le droit européen, plus précisément avec les exigences de la directive « Services » – vous l'avez rappelé tout à l'heure, monsieur le ministre –, dans le but de faire bénéficier le secteur des ventes volontaires aux enchères publiques des « bienfaits » de la concurrence libre et non faussée.
Une telle présentation rend délibérément peu intelligibles certains enjeux de cet ajustement législatif.
La première étape de la libéralisation de ce secteur remonte à la loi du 10 juillet 2000, qui mit fin au monopole des commissaires-priseurs pour satisfaire aux principes de liberté d'établissement et de prestation de services. Alors que les effets prétendument vertueux de cette ouverture ne se font guère sentir une décennie plus tard, il faudrait parachever l'entreprise de libéralisation dictée par l'Europe, à l'instar de ce qui se passe dans le domaine industriel, dans celui des services de tous ordres ou dans celui des produits de consommation courante, en réformant maintenant les marchés de l'art et de l'artisanat.
Il nous faut aller au-delà de l'apparence purement technique de mise en conformité de notre droit avec la législation européenne et de la volonté affichée d'accroître la compétitivité des acteurs sur un marché jugé atone, pour revenir sur certains aspects particulièrement préoccupants de ce texte.
En premier lieu, nous sommes opposés au principe de la libéralisation du secteur des ventes aux enchères. Le régime des agréments délivrés par le Conseil des ventes volontaires étant remplacé par un système de déclaration, le contrôle des ventes sera désormais plus déontologique que contraignant, ce qui nous expose au risque d'une aggravation des dérives de ce marché.
Nous nous interrogeons par ailleurs sur les dispositions relatives à l'instance de régulation. Le texte accroît l'emprise de l'exécutif sur le Conseil des ventes volontaires et l'on peut douter que la configuration de ce dernier permette de prévenir efficacement tout conflit d'intérêts, nonobstant l'obligation pour les membres dudit conseil d'établir une déclaration en ce sens.
Ces considérations formulées sur nos bancs de manière constante se doublent de critiques et de craintes quant aux conséquences économiques, sociales et culturelles de la proposition d'ouverture à tous les établissements commerciaux d'un marché jusqu'alors protégé et régulé.
Dans sa dimension économique, ce texte prétend redynamiser le marché de l'art hexagonal, jugé atone, en libéralisant l'ensemble du secteur des ventes volontaires aux enchères publiques. Cette stratégie nous semble davantage exposer ce secteur à des risques que lui offrir des solutions.
Les premiers bénéficiaires – et c'est bien ce qui importe – seront, sans surprise, les deux géantes mondiales de la spéculation sur le marché de l'art, la londonienne Christie's et la new-yorkaise Sotheby's, qui viendront bouleverser l'économie du secteur. Ces deux acteurs réalisent déjà 27 % des ventes volontaires aux enchères publiques en France, alors qu'ils ne représentent que 2 % du total des opérateurs implantés dans notre pays. Sous couvert de rendre à la place de Paris, qui ne représente actuellement que 6 % d'un chiffre d'affaires évalué à 43 milliards d'euros en 2010, sa superbe sur le très rentable marché de l'art, nous ouvrons le marché français à des logiques strictement financières et spéculatives.
Dès lors, nous voyons mal comment les dispositions qui nous sont présentées créeraient la dynamique attendue. En effet, la libéralisation que vous nous proposez entraînera inévitablement une concentration des opérateurs nationaux actuellement en activité, sous le prétexte de faire face aux stratégies monopolistiques de ces deux opérateurs mastodontes.
Du point de vue microéconomique, le présent texte n'est ni plus ni moins que la négation du rôle essentiel de la multitude de petits acteurs qui fait vivre le secteur français de la vente aux enchères. Ces professionnels que nous avons rencontrés, qui font la vitalité, la richesse et la diversité du marché français, jouent un rôle culturel bien plus important, un rôle qui va bien au-delà de la réalité économique et financière à laquelle ce texte semble les réduire. La restructuration du marché risque d'être fatale à nombre d'entre eux et aura pour inévitable conséquence un affaiblissement qualitatif des services proposés et de la production artistique vendue. À notre sens, les choix dont procède ce texte ignorent délibérément les spécificités du marché français de l'art et de notre production culturelle de manière générale. Ceux-ci sont effectivement moins centrés et moins structurés autour de grands acteurs privés assurant leur financement que dans les pays anglo-saxons.
C'est peu dire que nous craignons les conséquences économiques délétères de cette proposition de loi. En ouvrant un boulevard à la concentration et à la spéculation sur ce marché, on s'expose au risque d'étouffer la diversité du secteur.
En outre, ce texte ne prend absolument pas la mesure de l'impact social du nouveau cadre économique qu'il tend à organiser. Ses effets collatéraux toucheront pourtant près de 100 000 personnes – artisans, experts, autres opérateurs, etc.
En définitive, cette démarche ne profitera qu'à un très petit nombre d'acteurs au détriment de la majorité d'entre eux et n'apportera aucune plus-value à notre système culturel et social. Nous ne sommes pas dupes d'un texte qui avance sous le masque de l'ajustement technique, mais qui porte en lui une logique économique et une politique culturelle à laquelle nous nous opposons.
Nous étions en droit d'attendre que les dispositions d'un tel texte, soutenu par le Gouvernement, visent à défendre ou à soutenir la création, l'intérêt général en matière artistique et les acteurs qui font la dynamique du secteur contre les prédateurs monopolistiques. Las, le volontarisme culturel de cette majorité se mesure aujourd'hui aux aménagements législatifs qu'elle fait voter en faveur d'intérêts financiers, sacrifiant par petites touches surréalistes notre exception culturelle sur l'autel du libéralisme.
En conséquence, nous voterons bien entendu contre ce texte.