Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, au terme d'une discussion parlementaire trop rapidement expédiée par le recours injustifié à la procédure accélérée, nous voici finalement réunis pour qu'une majorité puisse satisfaire l'exigence présidentielle d'adopter avant l'été un projet d'affichage politique.
Imprégné à la fois de défiance à l'égard des magistrats, qui sont suspectés de laxisme, et d'une volonté punitive visant à aggraver les sanctions par le biais de citoyens prétendument plus sévères, ce texte est dangereux.
Non seulement ce projet de loi, inacceptable dans sa globalité, ne permettra en rien de résoudre la crise profonde que traverse notre système judiciaire, puisqu'il ignore la question centrale des moyens réels dont dispose la justice, mais, de plus, il maltraite la conception républicaine et démocratique du pouvoir judiciaire.
Ses deux volets ne feront que compliquer davantage le fonctionnement de la justice.
Le premier volet prévoit l'entrée de jurés populaires en correctionnelle et instaure de fait deux catégories de juridictions, celles qui compteront des citoyens assesseurs et les autres, composées seulement de magistrats. Les premières jugeront les délits graves d'atteinte aux personnes et les secondes auront à statuer sur les contentieux économiques et financiers ou de délinquance organisée. Si le garde des sceaux a réfuté la distinction entre un contentieux des pauvres et un contentieux des riches – ce dernier étant jugé uniquement par des magistrats professionnels –, il n'en demeure pas moins que cette répartition du contentieux en fonction de la nature des faits pose la question de l'égalité des citoyens devant la loi.
De plus, les tribunaux correctionnels, déjà fort encombrés, le seront davantage encore puisque la procédure prendra forcément plus de temps.
Ni le mode de sélection, ni le semblant de formation dispensée, ni le rythme de traitement des affaires par les juridictions correctionnelles ne permettront aux citoyens assesseurs d'être en mesure de juger sérieusement.
Ce sera particulièrement le cas pour l'application des peines. Dans ce domaine, il sera difficile, voire impossible, aux citoyens assesseurs de décider en toute connaissance de cause d'une libération conditionnelle ou du relèvement de la période de sûreté, tant la pratique de l'application des peines est une matière complexe, supposant des compétences techniques et un suivi de la personne détenue.
S'agissant des dispositions relatives au jugement des crimes, si nous apprécions que la mise en place d'une cour d'assises simplifiée ait été abandonnée, nous ne pouvons manquer de souligner le paradoxe entre, d'une part, la volonté affichée de faire davantage participer les citoyens à notre justice et, d'autre part, et contradictoirement, la réduction du nombre de jurés des cours d'assises. Ce nouveau dispositif ne permettra certainement pas de résoudre le problème de la correctionnalisation, qui résulte de l'encombrement de la justice et de son manque de moyens.
Le second volet du texte, relatif à la justice des mineurs, consacre pour sa part une considérable atténuation – pour ne pas dire une progressive disparition – de la spécialisation de la justice des mineurs. Cette réforme participe de l'alignement de la justice des mineurs sur celle des majeurs, au mépris non seulement des principes fixés par l'ordonnance de 1945, reconnus de valeur constitutionnelle, mais aussi des exigences du droit international.
La création d'un tribunal correctionnel pour mineurs, la marginalisation du juge des enfants, la procédure de jugement accélérée, le renforcement des mesures de sûreté, la comparution forcée des parents et la fragilisation de l'autorité familiale sont, à l'évidence, des réponses inappropriées et inefficaces aux problèmes de la délinquance des mineurs. Tous les professionnels de l'enfance sont unanimes sur ce point. Vous refusez de les entendre.
Enfin, dans votre projet, vous avez minimisé ou, plutôt, ignoré les difficultés de fonctionnement et le problème de financement de vos mesures qui, pour les juridictions correctionnelles, résulteront de la création des citoyens assesseurs. Faire participer des milliers, voire des dizaines de milliers de citoyens aux décisions de justice impliquera un budget élevé. La chancellerie n'en dispose pas, à moins que vous n'adoptiez d'autres dispositions, mais vous n'en prenez pas le chemin.
Ce dont notre justice a besoin, c'est d'abord de moyens humains et financiers à la hauteur des exigences de l'État de droit, mais ce projet de loi ira manifestement à l'encontre des besoins réels du monde judiciaire.
Sur les points fondamentaux, le texte n'a pas évolué. Les problèmes de constitutionnalité demeurent donc et risquent certainement de faire annuler la réforme, ce que, bien évidement, nous appelons de nos voeux. En attendant, nous voterons clairement contre ce projet. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)