Après l'échec de la commission mixte paritaire, nous examinons à nouveau ce projet de loi de répartition des contentieux et d'allégement de certaines procédures juridictionnelles. Cet échec de la CMP sanctionne, en quelque sorte, les conditions dans lesquelles nous avons été amenés à travailler. Le Gouvernement ayant engagé la procédure accélérée, nous étions condamnés à une seule lecture par chambre, ce qui était manifestement inadapté pour ce type de projet de loi que l'on me permettra de qualifier de « fourre-tout ».
De plus, des dizaines d'amendements sont venus alourdir le texte lors de son passage en commission, juste avant un examen éclair en séance, puis en commission mixte paritaire. De nombreuses dispositions sans rapport avec le projet de loi initial sont venues s'y greffer. La question de la constitutionnalité de ces cavaliers se pose, comme l'ont d'ailleurs reconnu des collègues de la majorité.
Mais le plus surréaliste est probablement que certains de nos collègues se sont aperçus qu'ils avaient laissé passer des dispositions auxquelles ils n'étaient pas favorables, comme la diminution de l'amende en cas de consommation de tabac dans un lieu public, ou qu'ils avaient intégré, à la demande du Gouvernement, un cavalier législatif en bonne et due forme à l'article 25 bis A relatif à l'exemption de l'obligation d'établir des comptes consolidés dans certaines sociétés commerciales, transposition, discutable et dans l'urgence, d'une directive européenne.
Avec ce texte, nous avons même affaire à un cas d'école : le Gouvernement a fait introduire, lors de l'examen au Sénat, un article 22 quater consistant à mettre fin aux poursuites pénales en cas de transgression de l'interdiction de fumer dans les lieux collectifs. L'objectif poursuivi était, en réalité, un détricotage de la loi Évin. Face à la réaction légitime des associations anti-tabac, le Gouvernement a été contraint de reculer partiellement mais, dans son état actuel, le texte aurait néanmoins de graves conséquences, notamment celle de permettre aux majors du tabac de réintroduire des méthodes de marketing avec la possibilité, en cas de litige, de « négocier avec les pouvoirs publics » pour éviter tout procès. Selon le président de l'Office français de prévention du tabagisme « c'est une décision qui vient directement de l'Élysée sous l'influence du lobby du tabac ». Avec ces infractions négociables, l'industrie du tabac organise en quelque sorte son impunité, au détriment de la santé publique.
C'est, à vrai dire, loin d'être le seul mauvais coup de ce projet de loi, puisque toute une proposition de loi sur la réforme des juridictions financières y a été insérée à la dernière minute, proposition prévoyant notamment le rabotage des pouvoirs d'initiative des chambres régionales des comptes.
Pour conclure, je n'évoquerai que brièvement les questions soulevées par le texte initial tel qu'il était issu des travaux du Sénat et qui avait déjà justifié notre vote contre en première lecture. Il s'agit surtout d'un texte destiné à accompagner l'appauvrissement délibéré du service public de la justice, commencé avec la réforme de la carte judiciaire. Les allégements de certaines procédures juridictionnelles consistent, en réalité, à appliquer la RGPP au système judiciaire avec, en particulier, la segmentation des contentieux.
Mais c'est également contre la généralisation massive des procédures de jugement accélérées que nous nous élevons. En effet, outre le développement des « modes alternatifs de règlement des litiges », le Gouvernement vise à étendre considérablement le champ d'application de l'ordonnance pénale et du plaider-coupable, rebaptisé « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ». Ici encore, l'objectif est d'économiser du temps de jugement, de permettre une justice automatique, voire expéditive, moins consommatrice en personnels et en moyens techniques, au détriment, bien sûr, des justiciables. Les magistrats du parquet font d'ailleurs remarquer que ces procédures raccourcies leur prennent paradoxalement beaucoup de temps. Les juges du siège déplorent, quant à eux, les conditions dans lesquelles se déroulent ces comparutions, le parquet pouvant les placer devant le fait accompli lors de procédures souvent contestées. Quant à la défense, elle critique évidemment ce dispositif qui fait de la justice un distributeur automatique de peines. Faut-il rappeler que la seule façon d'améliorer le fonctionnement de notre justice est de lui donner enfin les moyens humains et techniques nécessaires, comme l'ensemble du monde judiciaire ne cesse de le réclamer ?
Pour l'ensemble de ces raisons, les députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche voteront contre ce texte.