Il est probable que, parmi ses proches, sa mise à l'écart soit d'ores et déjà envisagée, sinon décidée dans son principe. Notre diplomatie s'emploie, avec succès, à élargir le cercle de ceux qui reconnaissent le Conseil national de transition comme le représentant légitime du peuple libyen. La Turquie a franchi le pas tout récemment. L'Union africaine, dont la première réaction avait été de condamner les frappes, est aujourd'hui beaucoup plus proche de nos positions. Le mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale accroît encore cette pression sans fermer toute issue, comme l'ont prouvé de nombreux précédents.
Afin de parachever l'isolement diplomatique du régime libyen, nous devons apaiser les inquiétudes de ses voisins immédiats, qui redoutent les conséquences d'une implosion de ce pays. L'Algérie a fait part de ses craintes ; les autorités égyptiennes ont souligné également le risque de flux migratoires incontrôlables en cas de partition. La Libye, dont la majeure partie du vaste territoire est désertique, est un terrain idéal pour d'éventuels trafics. Les rumeurs persistantes d'achat de matériels militaires par les réseaux d'Al-Qaïda au Maghreb islamique doivent naturellement être prises au sérieux.
Préserver l'unité de la Libye n'est pas un objectif hors de portée. À l'origine de cette crise, il n'y avait pas une Libye insurgée qui s'opposait à une autre Libye kadhafiste, mais bien un peuple qui, dans son immense majorité, souhaitait renverser un dictateur. Depuis, le pays a été divisé au gré des offensives et contre-offensives, et Kadhafi a joué la carte des rivalités tribales. Mais on peut penser que l'élan d'origine a résisté à l'épreuve. Par ailleurs, le tribalisme demeure vivace, mais les tribus les plus nombreuses sont dispersées au-delà de leurs territoires d'origine. Les observateurs sur le terrain soulignent que les Libyens sont attachés à l'unité de leur nation, sous réserve bien entendu de définir un nouvel équilibre politique entre ses différentes composantes.
Le risque est que la province de Benghazi conçoive cette victoire comme l'occasion d'une revanche après les discriminations et les humiliations dont elle a été l'objet sous le règne de Kadhafi. Je vous rappelle que Kadhafi a accusé les infirmières bulgares d'être responsables de la mort des enfants contaminés dans l'hôpital de Benghazi afin que le manque d'équipement manifeste de cet hôpital ne soit mis en cause et n'alimente le ressentiment très vif de cette province contre Tripoli.