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Intervention de Odile Saugues

Réunion du 6 juillet 2011 à 16h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOdile Saugues, rapporteure :

Le transport aérien a retrouvé un semblant de santé financière après avoir subi en 2009 l'une des crises les plus sévères de son histoire. Mais ce retour à une meilleure fortune est fragile et nous ne devons pas nous nourrir d'illusion. Le modèle économique des compagnies aériennes dites majeures est remis en cause par les compagnies low cost sur les moyens courriers et par les compagnies du Golfe et des pays asiatiques sur le long courier. Un chiffre est particulièrement saisissant : entre 2011 et 2016, les compagnies du Golfe attendent la livraison de 200 avions contre 100 pour les trois compagnies européennes majeures (Air France, Lufthansa et British Airways). Ces compagnies sont, dans leurs pays, exonérées d'une partie des coûts d'infrastructure supportés par les compagnies européennes. Une guerre des prix sur les vols longs courriers est donc prévisible.

La question de l'égalité de concurrence entre les compagnies européennes est aujourd'hui une question de survie. C'est un enjeu majeur en termes d'emplois et d'apport en devises. Ainsi, par exemple, Air France emploie 70 000 personnes.

La question des aides apportées aux compagnies aériennes et le mode de calcul des redevances sont perçus comme conditionnant l'avenir du transport aérien français, qui attend beaucoup à cet égard de l'Union européenne. Celle-ci essaie de concilier, dans ce domaine, les impératifs de l'intérêt général et ceux de la libéralisation du « ciel européen », ce qui est parfois malaisé.

J'avais, dans mon précédent travail de décembre 2010, relevé que la Cour des comptes, dans un rapport de 2008, soulignait que les subventions d'exploitation par passager sont parfois très élevées et leur conformité au droit communautaire mal assurée. Cette analyse conforte le point de vue d'Air France qui, en se basant sur les travaux de la Cour des comptes, estime qu'en moyenne les chambres de commerce et d'industrie, gestionnaires des aéroports, soutiennent l'activité de Ryanair en France à hauteur de 9 à 32 euros par passager embarqué.

Pour Air France, ces aides prennent plusieurs formes. Elles peuvent être directes, sous forme d'aides au démarrage, se prolongeant en contradiction avec la législation européenne. Il s'agit aussi d'aides « indirectes », sous forme de ristournes consenties sur l'assistance aux escales et les redevances aéroportuaires.

Je ne suis pas en mesure d'émettre un avis personnel sur la véracité de ces chiffres, contestés par Ryanair. Mais cet exemple illustre l'importance et l'acuité du débat pour les compagnies aériennes.

Il convient également de noter que la plainte déposée par Air France contre Ryan Air devant la Commission européenne depuis quatre ans n'a toujours pas été instruite

Afin d'encourager la réduction des émissions de gaz à effet de serre conformément aux engagements du Protocole de Kyoto, à savoir - 8 % d'ici 2012 par rapport à 1990, l'Union européenne a mis en place, en janvier 2005, un marché d'échange de quotas de CO2 qui concerne 12 000 entreprises contraintes à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre à travers des quotas qui leur sont alloués par leur Etat membre.

Le système d'échange intégrera le secteur aérien sur la base d'une directive publiée en janvier 2011. Si la part des transports aériens dans les émissions globales de gaz à effet de serre de l'Union européenne n'avoisine actuellement que 2 % à 4 %, celles qui sont dues aux vols internationaux ont augmenté de 73 % entre 1990 à 2003 et devraient, d'après les projections de la Commission européenne, atteindre 150 % d'ici à 2012 si aucune mesure n'est prise. Une telle croissance annulerait alors plus d'un quart de la réduction des émissions que l'Union européenne est censée réaliser entre 1990 et 2012 en vertu de protocole de Kyoto

Avec l'inclusion de l'aviation dans le système, tous les vols au départ ou à destination de l'Europe, y compris les vols intercontinentaux, seront concernés et les compagnies aériennes devront réduire leurs émissions. Durant la première année, les compagnies se verront attribuer un quota d'émissions équivalent à 97 % de ce qu'elles ont émis en moyenne entre 2004 et 2006. Cette quantité diminuera chaque année et sera de 95 % en 2013.

Aussi, tous les transporteurs volant dans l'Union européennedoivent-ils acheter 15 % des droits à polluer alloués au secteur. Ce qui déplaît aux compagnies. L'inclusion de vols de pays tiers décollant et atterrissant en Europe pose un problème juridique et politique aigu.

L'Association des transporteurs aériens des Etats-Unis (ATA) a attaqué, en décembre 2009, les dispositions européennes en introduisant, cette année-là, un recours pour faire annuler leur mise en oeuvre au Royaume-Uni. Et la première audience avait lieu le 5 juillet. L'ATA considère que « L'Union européenne a adopté sa législation de manière unilatérale et n'a pas respecté ses obligations internationales qui imposent de régler ces questions par consensus, dans le cadre de l'Organisation internationale de l'aviation civile, organisme reconnu par les Nations-unies ».

La Cour de justice européenne doit trancher dans les mois à venir. Mais sa décision est très attendue car elle pourrait créer un précédent. Les compagnies américaines ne sont pas les seules à protester contre cette réglementation. Airbus et l'association des compagnies aériennes européennes se plaignent aussi.

Tous craignent des représailles du fait de ces mesures, notamment en provenance de Chine, qui pourrait bloquer la signature de commandes avec Airbus. Selon les rumeurs, ce serait d'ailleurs déjà le cas avec une commande de dix gros porteurs A380 d'une valeur de quatre milliards d'euros, qui devait être annoncée par la compagnie Hong Kong Airlines.

En réponse, l'Union européenne répète que cette directive a pour objectif de réduire les émissions et non pas de taxer les compagnies.

Cette question est extrêmement importante car elle pose la question de la réciprocité dans les relations économiques internationales. Si les recours des compagnies aériennes extra-européennes aboutissaient, nous nous trouverions dans une situation extrêmement dommageable où seules les compagnies aériennes européennes supporteraient le coût de la lutte contre les émissions de CO2.

Le commissaire européen a annoncé, pour l'automne 2011, une révision des règles d'attribution des créneaux horaires sur la base d'une étude lancée en 2010.

Un créneau horaire est une plage de temps dont l'usage est alloué et réservée à une compagnie aérienne déterminée pour décoller et atterrir dans les aéroports congestionnés. La règle du « créneau utilisé ou perdu » prévoit qu'une compagnie aérienne a le droit de conserver les créneaux horaires d'une saison à l'autre à condition qu'ils aient été utilisés à hauteur de 80 %. La réforme envisagée contraindrait les compagnies aériennes à utiliser 90 % de leurs créneaux horaires, contre 80 % actuellement, et introduirait un élément de souplesse en permettant aux compagnies aériennes qui ne les utilisent pas de louer ou de vendre leurs « slots ». Cette question ne concerne que les grands aéroports. La réforme envisagée est de nature à favoriser la venue de nouveaux concurrents mais pose des questions importantes.

Nous pouvons nous demander s'il est légitime qu'une compagnie aérienne cède, moyennant finance, un droit d'usage qui lui est octroyé gratuitement par l'Etat. Aussi nous semble-t-il légitime que l'Etat récupère une partie significative du prix de cession du slot. Il serait utile de demander à la Commission européenne, qui est en train d'élaborer ce texte, de prévoir explicitement cette possibilité. Il nous parait également légitime d'ouvrir plus largement les comités qui décident de l'attribution des créneaux horaires en particulier aux aéroports.

L'apport essentiel de la proposition de directive serait sans doute l'introduction de plus de transparence dans un système relativement opaque. Cette transparence permettrait une meilleure fluidité du trafic car elle interdirait la pratique de certaines compagnies qui remettent à disposition des créneaux horaires au dernier moment afin qu'ils ne soient pas utilisés par la concurrence.

Je tiens à souligner l'attention portée par les services de la Commission européenne à ses remarques et l'intérêt qu'il y a à nouer un dialogue avec la Commission dès le stade de l'élaboration des textes.

Cela lui a permis de lancer des pistes de réflexions nouvelles telles que l'attribution de « slots » non à des compagnies aériennes mais à des régions, qui pourraient les utiliser à des fins d'aménagement du territoire.

Dans une communication de 2005, la Commission européenne a exposé les lignes directrices qui président à ses décisions. Globalement, la Commission européenne se montre assez compréhensive au sujet des impératifs d'aménagement du territoire, mais en respectant un ensemble de règles, parmi lesquelles :

– les aides ne peuvent être versées pour des routes qu'au départ d'aéroports régionaux. Exceptionnellement, des aéroports nationaux peuvent en bénéficier s'ils doivent faire face à une forte récession de leur activité habituelle ;

– les aides versées aux compagnies aériennes ne peuvent s'appliquer qu'à l'ouverture de nouvelles routes ou de nouvelles fréquences, provoquant un accroissement du volume net de passagers au départ de l'aéroport en question ;

– les aides ne doivent pas être versées à une compagnie aérienne pour une nouvelle ligne, qu'elle viendrait à exploiter en substitution et suite à l'abandon d'une ancienne ligne, qui aurait déjà bénéficié des aides au démarrage pendant une période complète ;

– les aides ne peuvent pas non plus être accordées pour une ligne que la compagnie aérienne viendrait à assurer en remplacement d'une autre ligne, qu'elle desservait auparavant à partir d'un autre aéroport situé dans la même zone d'attraction économique ou de population, et pour laquelle elle a également reçu des aides ;

– enfin, les aides ne doivent pas non plus être destinées à aider un nouvel entrant à ouvrir des liaisons déjà ouvertes et à se lancer dans une concurrence frontale avec un opérateur existant, qui exploite déjà cette route au départ de l'aéroport ou d'un autre aéroport situé dans la même zone d'attraction économique ou de population.

Les décisions de la Commission ne s'opposent pas aux accords entre aéroports régionaux et compagnies à bas prix. Bien au contraire, la Commission souhaite encourager toutes les initiatives qui permettent une meilleure utilisation des infrastructures aéroportuaires sous-utilisées et se félicite de toute formule permettant de mettre fin aux problèmes de congestion du transport aérien. A cet égard, les aéroports secondaires sont extrêmement bien placés pour jouer un rôle déterminant. Ils sont en outre un facteur de développement économique régional très important.

Toutefois, la Commission européenne a une vision très partielle des aides aux compagnies aériennes, car elle n'intègre pas le fait qu'en domiciliant les contrats de travail des personnels navigants dans des pays où le coût des charges sociales est moindre, certaines compagnies pratiquent ce qu'il est possible d'appeler un « dumping social ». La lutte pour le respect d'une concurrence parfaite peut-elle s'affranchir d'une réflexion sur l'égalité des charges fiscales et sociales dans des activités par nature internationales ?

Le départ, l'an dernier, de Ryanair de la base de Marseille illustre la nécessité soulignée par mon rapport de décembre 2010 de clarifier et sécuriser juridiquement les aides des aéroports régionaux aux compagnies low cost. Il semble important que la Commission européenne intervienne rapidement pour faire respecter des règles d'équité entre les compagnies aériennes en interdisant clairement la domiciliation de contrats de travail situés hors du lieu d'exercice de l'activité du salarié car nous pouvons considérer qu'il y a la une véritable fraude aux cotisations sociales. Il est également indispensable que les plaintes formulées auprès de la Commission européenne soient réellement instruites. Il y va de la crédibilité de l'Union européenne.

En conclusion, je pense nécessaire de poursuivre le travail qui a été engagé par la présentation d'un rapport plus approfondi, à la fin de l'automne, sur les trois points évoqués par cette communication, lui permettant également de poursuivre le dialogue engagé avec les services de la Commission européenne.

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