Or, à l'exception d'un décret pris par le gouvernement de Lionel Jospin en 1999, qui autorisait la mise en place de conventions d'exploitation de terminaux à travers le rapprochement d'acteurs publics et privés, prémices du « commandement unique » que propose aujourd'hui le Gouvernement, peu d'initiatives visant à amplifier le mouvement de réforme engagé en 1992 ont été prises.
L'unicité de commandement constitue l'un des objectifs premiers du projet de loi dont nous débattons aujourd'hui. Force est de constater que, exception faite de l'expérience menée dès 1999 à Dunkerque sur un puis deux terminaux et, plus récemment, mais sous une forme différente, sur les quais de Port 2000 au Havre, aucun des autres ports nationaux, à l'exception de Saint-Nazaire, n'est parvenu à tirer profit de ce que le décret de 1999 leur permettait de faire. Pourtant, bien plus que le concept de commandement unique, dont chacun s'accorde à dire qu'il est nécessaire, ce sont les modalités de sa mise en oeuvre qui font débat.
Si la méthode idéale, uniformément applicable dans tous les ports, n'existe vraisemblablement pas, je peux néanmoins témoigner de la réussite de l'expérience dunkerquoise.
Je ne m'étendrai pas sur les statistiques de trafics de l'un et l'autre des deux terminaux concernés car, si leur exploitation sous commandement unique constitue un élément important de leur développement, bien d'autres facteurs extérieurs peuvent venir impacter leur activité. Je précise cependant que, sur le terminal à pondéreux, les volumes manutentionnés ont progressé de 50 % depuis la mise en place du nouveau mode d'exploitation, apportant ainsi la preuve que l'unicité de commandement est davantage un atout qu'un frein. Je tiens en revanche à m'arrêter sur deux éléments de bilan qui illustrent pleinement le bien-fondé du passage au commandement unique.
Sur le plan de la productivité, tout d'abord : pour les deux terminaux, les gains sont réels. La professionnalisation des personnels et leur polyvalence ont permis de supprimer les temps morts et, par conséquent, d'accroître le temps de travail effectif. Ainsi, alors que près de dix-huit heures travaillées étaient nécessaires à la manutention de mille tonnes de pondéreux en 1997, à peine plus de dix le sont aujourd'hui. Il en va de même pour les conteneurs, où le nombre d'heures travaillées nécessaires à la manutention d'un « équivalent vingt pieds » est passé de 2,7 en 1997 à 1 aujourd'hui ! Il importe de préciser que tout cela s'est mis en place sans heurts, dans un climat social apaisé et que, sur la centaine d'agents du port autonome transférés vers des entreprises de manutention, seuls deux ont souhaité réintégrer l'établissement public.
Sur le plan des investissements, ensuite : il est indéniable que la création des opérateurs unifiés en a accéléré le rythme et, probablement, le volume. Aussitôt le transfert de l'outillage et des personnels réalisé, les entreprises ont déclenché effectivement des investissements. Sur le terminal à pondéreux, par exemple, pas moins de 40 millions d'euros ont été investis au cours des deux premières années. Et le même scénario s'est produit sur le terminal à conteneurs. Ainsi, un peu plus de 120 millions d'euros ont été déboursés par le secteur privé pour l'acquisition de portiques, de grues et autres engins de manutention terrestres, depuis que les opérateurs unifiés ont vu le jour.
Alors oui, à la lueur de l'expérience que j'ai vécue à Dunkerque, je pense pouvoir dire que le commandement unique est un élément important de la relance de l'activité des ports. Pour autant, je le répète, je ne prétends pas que les recettes dunkerquoises soient bonnes pour tous. Laissons à chaque place portuaire la possibilité d'employer les voies et moyens qui lui conviennent. Que le Gouvernement prenne garde d'ailleurs à ne pas rendre les règles du jeu trop restrictives. Les ports sont de taille différente, ils ont des spécificités historiques, territoriales, économiques ou sociales qui leur sont propres. Ce qui est vrai à Dunkerque ou à Marseille ne l'est pas forcément à La Rochelle ou à Bordeaux. On ne bâtit pas une politique portuaire sur de la théorie, mais sur les réalités de l'économie maritime telle qu'elle se vit dans la diversité de nos ports.