Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en 2002, dans un rapport que j'avais rédigé à l'occasion de la tentative de déréglementation des ports européens par la Commission européenne, je débutais mon introduction en posant une question : « L'avenir des ports européens passe-t-il par la déréglementation ? » Bien évidemment, ma réponse était négative. Cette directive n'a finalement pas été adoptée, les institutions européennes ayant dû reculer face à la mobilisation de l'ensemble des salariés du secteur portuaire de l'ensemble des ports européens. Il faut noter que le secteur portuaire est d'ailleurs l'un des rares, sinon le seul, où un projet de directive ait été retiré compte tenu de la force de la protestation.
Face à cette mobilisation, vous cherchez à contourner l'obstacle ! La directive a été retirée, mais les différents États membres concernés par la politique portuaire vont adapter le projet européen et l'adopter dans leur législation interne. Vous avez même décidé d'utiliser la procédure d'urgence, moyen – pensez-vous – d'en finir avec cette réforme quelque peu « encombrante ».
Ainsi va la construction européenne ! En contournant les peuples ! Comment s'étonner que, lorsqu'ils ont la parole, comme ce fut le cas en 2005 lors du référendum sur la Constitution européenne et il y a quelques jours avec le référendum irlandais sur le traité de Lisbonne, l'effet boomerang soit garanti ? Dans le domaine portuaire comme dans les autres, les peuples refusent de plus en plus les réponses ultralibérales qui leur sont proposées comme des « solutions ». Ils refusent aussi la concurrence exacerbée comme avenir pour les salariés et les territoires. Ils savent, si tel n'était pas le cas auparavant, à qui cela profite et qui sont les perdants.
Mais si votre texte est dans la droite ligne des orientations européennes, il est aussi tout à fait conforme à vos exigences en matière de politique publique nationale. Il répond, en ce sens, au credo libéral de la réduction de l'intervention publique, des emplois et des investissements qui l'accompagnent.
Dans ce même rapport, j'indiquais qu'il convenait de remettre l'ouvrage sur le métier, en procédant à la concertation la plus large possible et en s'attachant à promouvoir d'autres orientations, davantage axées sur la défense de l'intérêt général, plutôt que sur les intérêts des seuls groupes internationaux, qui cherchent à dominer et à se partager le secteur portuaire.
Ces remarques sont malheureusement encore d'actualité. J'ajouterai : hélas !
Hélas, car je considère que le texte que nous examinons aujourd'hui est le fruit d'un incroyable gâchis.
Des négociations étaient entamées, mais le Gouvernement, en accélérant le calendrier et en précipitant la présentation de ce projet, a cassé un processus qui aurait certainement permis de surmonter les difficultés principales, notamment sur la question du commandement unique, à laquelle les syndicats n'étaient pas hostiles – ce qu'ils vous ont confirmé depuis, monsieur le secrétaire d'État. Le système de la mise à disposition, qui faisait ses preuves au Havre, ou même la solution du détachement, proposée par les syndicats eux-mêmes, ont été très vite écartés au profit d'une réforme que je qualifie d'idéologique, fondée sur le dogme du zéro outillage public.
Il s'agit, je le disais tout à l'heure, d'une deuxième étape, la première étant la réforme du statut des dockers de 1992, pour aboutir, à terme, à la privatisation totale des ports. Réforme appelée de leurs voeux par les entreprises du secteur portuaire, mais je ne suis pas certain qu'elles cautionnent toutes – j'en ai rencontrées qui ne le font pas – et totalement la méthode employée.
Je citerai quelques propos entendus ici ou là : « Le cadre français n'est pas assez intéressant pour les investisseurs privés, qui ne s'y sentent pas en sécurité, alors qu'ils veulent avoir la maîtrise totale de l'outil, donc la maîtrise totale de leur personnel. »
Le Président de la République n'a pas hésité, pour justifier cette réforme, à tomber, sans doute involontairement, dans la caricature, en voulant démontrer le manque de productivité des grutiers ou des portiqueurs français, qui ne travailleraient que 2 000 heures par an contre 4 000 heures en Espagne. Je me suis livré à un rapide calcul : 4 000 heures par an, cela correspond à un temps de travail hebdomadaire de soixante-seize heures. Même Mme Parisot n'oserait pas utiliser un tel argument et rêver de tels horaires hebdomadaires !
M. Jacques Saadé, patron emblématique de CMA-CGM, s'est livré à une comparaison sur le nombre de mouvements par heure : 50 à Fos, 90 au Havre, 110 à Hambourg, 148 à Shanghai. Il a appelé de ses voeux – et tout porte à croire qu'il ait été exaucé – une grande réforme qui donnerait plus d'autonomie aux ports et à leurs présidents, qui séparerait les tâches – : le régalien au public, le commercial au privé. Il a, bien évidemment, des idées très arrêtées quant à la gestion du personnel employé sur les terminaux dont CMA-CGM est actionnaire.