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Intervention de Pierre-Henri Gourgeon

Réunion du 5 juillet 2011 à 17h00
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Pierre-Henri Gourgeon, directeur général d'Air France et d'Air France – KLM :

Je suis toujours heureux de venir représenter Air France devant la représentation nationale. Votre invitation témoigne à mes yeux de l'intérêt de l'Assemblée nationale pour la compagnie, et je vous en remercie.

Le groupe Air France – KLM comprend aujourd'hui 102 000 salariés. Il transporte 71 millions de passagers par an, dans quelque 600 aéronefs. Nous desservons approximativement 250 destinations dans 124 pays. Le chiffre d'affaires annuel devrait s'établir aux alentours de 25 milliards d'euros. Ceci nous classe parmi les plus grands opérateurs avec Lufthansa, United et Delta. Ces quatre compagnies brassent chacune une trentaine de milliards de dollars américains ; l'alliance de British Airways et d'Iberia est moins importante d'un tiers.

Au nombre de passagers transportés par kilomètre sur des trajets internationaux ouverts à la concurrence – ce qui exclut donc les liaisons intérieures américaines sur lesquelles les opérateurs européens ne sont pas présents – Air France se classe en première position mondiale juste devant le groupe Lufthansa. British Airways et Iberia sont à la troisième place. Emirates se tient au pied du podium : dixième il y a quelques années, il a évincé les sociétés américaines et tout laisse penser que sa progression vers le sommet se poursuivra.

Air France – KLM puise sa force dans son organisation autour de ses deux hubs de Paris et d'Amsterdam, les aéroports de Roissy et de Schiphol. Ces centres névralgiques fonctionnent à parité de façon à offrir davantage d'horaires. Le passager qui part de Barcelone pour se rendre à Shanghai peut indifféremment faire escale en France ou aux Pays-Bas. Une plus grande fréquence, un plus riche choix d'horaires, c'est une plus grande compétitivité.

Au départ de l'Europe, nous sommes les premiers vers toutes les destinations à l'exception du Moyen-Orient. Nous transportons 13,2 % des sièges long-courriers auxquels les Européens peuvent avoir accès contre 10,6 % à Lufthansa et 10,1 % à l'alliance de British Airways et d'Iberia. Or plus un réseau est important, plus il est attractif pour le client qui trouve facilement satisfaction.

La partie Air France de l'entreprise emploie 70 000 salariés dont 65 000 travaillent en France. Contrairement aux sociétés industrielles, nous ne délocalisons pas. Toutes les cotisations afférentes sont acquittées sur le territoire français.

Les règles du transport aérien – notamment la convention de Chicago de 1944 – font que toute notre activité est réputée se dérouler en un lieu unique : un billet vendu à l'étranger est considéré comme délivré à Paris. Les seules activités qui font apparaître une exportation relèvent de notre métier d'entretien et de maintenance, qui génère à peu près 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires. Toutefois, Air France reçoit annuellement 7,8 milliards d'euros en devises : ceci fait de nous le cinquième exportateur français dans le domaine des services.

L'exercice 200910 s'est avéré difficile en raison de la crise internationale. Une forte mobilisation a permis de repenser l'action de l'entreprise dans le domaine des cargos et des vols moyen-courrier, tout en prenant quelques initiatives au regard des long-courriers. Les résultats fortement négatifs – de l'ordre de 1,3 milliards d'euros – ont été ramenés à l'équilibre. Le retour d'une conjoncture favorable nous a évidemment aidés, mais j'y vois aussi le résultat de notre politique.

Depuis quelques années, le secteur aérien voit s'accélérer le progrès technologique. Les billets autrefois indispensables ont cédé leur place à des titres de transport dématérialisés, délivrés par courrier électronique et maintenant directement sur le téléphone du passager. Le caractère révolutionnaire de cette évolution est évident : comme la réservation s'opère sur internet, comme l'enregistrement est également automatique, comme les personnels de sécurité relèvent de l'autorité aéroportuaire et non du transporteur, le premier contact du passager et d'un agent d'Air France n'a lieu qu'à la porte de l'appareil. Il a fallu intégrer ces innovations. C'est simple en période de croissance, c'est plus complexe en temps de crise. Le reclassement des personnels au sol s'est organisé dans un pacte social satisfaisant, sans heurt majeur. Les effectifs ont diminué de 9,4 % entre septembre 2008 et mars 2001 grâce au départ volontaire – j'insiste : strictement volontaire – de 1 800 personnes.

J'ai mentionné préalablement la progression constante des compagnies du Golfe persique, qui nous livrent une concurrence rude et, il faut le dire, inéquitable. Les commandes passées auprès des avionneurs suscitent l'effroi. Songez qu'Emirates achète 90 A 380 alors que les trois compagnies européennes majeures, ensemble, n'ont réservé que 42 appareils. A partir de ces chiffres, la progression sera automatique : la possession de la moitié du parc donnera mécaniquement la maîtrise de la moitié du marché. Nous n'avons pas une surface financière suffisante pour signer de tels chèques. Évidemment, pour une compagnie dont les engagements sont garantis par les richesses du sous-sol d'Abou Dhabi, les contraintes sont plus légères. Emirates est désormais aussi puissant que les plus grands hors des noeuds de trafic européens, avec 12 % de l'activité contre 4 % seulement à British Airways. Cette compagnie occupe déjà la première position à Milan, à Munich ou encore sur le territoire britannique. Et ses chiffres ne cessent de croître.

La seconde menace qui pèse sur Air France-KLM est constituée par les compagnies low cost. En termes de passagers-kilomètres transportés, Ryan Air nous a d'ores et déjà dépassés et Easy Jet devrait faire de même en 2012.

Air France est un très gros employeur, dont la masse salariale représente de 30 à 32 % des coûts d'exploitation. Si l'on compare avec KLM ou Lufthansa, on constate un différentiel de charges sociales considérable – alors même que les Pays-Bas ne constituent certainement pas un pays qui doit rougir de l'état de sa protection sociale : peut-être celle-ci est-elle même plus avantageuse, sur certains points, que la protection sociale française ! Mais elle est financée de manière totalement différente : si nous étions soumis au droit néerlandais, la partie « Air France » n'économiserait pas moins de 700 millions €. Si nous suivions le régime social allemand, nous économiserions 450 millions € – et 550 millions € selon le régime britannique, 650 millions € en Irlande, 450 millions € en Italie, 550 millions € en Espagne... Il s'agit là d'un simple constat que chacun peut effectuer mais qui s'avère particulièrement sensible au sein d'une entreprise à fort taux de main d'oeuvre. Le poids des charges sociales, extrêmement élevé dans notre pays, pénalise l'emploi.

Il faut y ajouter certaines taxes particulièrement lourdes en France et pratiquement nulles à l'étranger. En France, Air France paie 170 millions € de taxes sur la production et les salaires alors que KLM en paie environ 10 millions €. La comparaison établie par la Cour des comptes sur les taxes à la production montre que la France est assujettie à 24 milliards € de taxes, là où l'Allemagne n'en a pas.

Le financement de la protection sociale par des charges sociales et des taxes sur les salaires soulève de nombreux problèmes dans notre cas, puisque nous subissons un handicap concurrentiel très important. Le défi est d'autant plus difficile à supporter que le transport aérien a fait l'objet d'une libéralisation avant les autres services et que ce qui a été généralement refusé, c'est-à-dire la possibilité pour une entreprise de services opérant dans un autre pays de travailler aux conditions du pays d'origine, a été autorisé pour le secteur aérien. Ce principe s'applique depuis 1993-1995 et a été intensivement mis en oeuvre par les compagnies low cost. Ce sont des compagnies basées essentiellement au Royaume Uni ou en Irlande, qui opèrent des trajets comme Paris-Toulouse, Marseille-Nantes ou Marseille-Lille aux conditions du pays d'origine – avec quelques aménagements, certes, mais avec un avantage de coût considérable. Cette situation constitue une question majeure pour le maintien de notre activité, non seulement pour les courts et moyens courriers, mais également pour les longs courriers : nous sommes en open sky et un long courrier entre l'Europe et les États-Unis bénéficierait de cet avantage comparatif.

Nous avons renoué avec une certaine croissance, qui s'est traduite par des ouvertures de ligne : ainsi un vol direct Paris-Lima et un vol Paris-Phnom Penh via Bangkok. Dans tous les cas, les pays d'accueil sont enchantés de ces créations de ligne, le nom « France » est chaleureusement reçu et nous bénéficions de soutiens au plus haut niveau.

Notre activité internationale se développe également à un rythme soutenu. Le périmètre de l'alliance Sky Team ne cesse d'évoluer, puisque quatre compagnies aériennes chinoises l'ont rejointe et que leur participation renforce notre présence dans ce pays.

Pour résister aux compagnies low cost, nous venons de lancer le projet « Bases de province » qui fait aujourd'hui l'objet d'une consultation parmi les pilotes. Il s'agit, sur la base du volontariat, de proposer aux navigants de travailler différemment ; il est également envisagé de proposer au personnel au sol une activité beaucoup plus soutenue, évitant les périodes de « creux » que nous connaissons aujourd'hui faute de routes efficaces au plan économique. La nouvelle organisation serait très productive et décentralisée ; elle permettrait à certaines villes du Sud de la France de disposer d'une autonomie dans leur développement aérien : les avions, positionnés sur place, pourront tracer des routes qui n'auraient pas été concevables s'il avait été nécessaire auparavant de faire une liaison depuis Paris. Cela permettrait également à certains personnels navigants de prendre directement leur service sans avoir auparavant à se rendre dans la capitale. Ce projet concernera d'abord Marseille, en octobre 2011, Toulouse et Nice au printemps 2012, puis Bordeaux dans un format développé par notre filiale régionale.

Si nous finalisons ce projet, la baisse espérée de nos coûts unitaires de 15 % nous permettra d'ouvrir 54 nouvelles routes – soit 4 millions de passagers supplémentaires.

Plus généralement et pour conclure, nous sommes extrêmement sensibles à la conjoncture économique. Celle-ci présente des signes parfois inquiétants, notamment dans le domaine du cargo – un domaine qui a fait figure d'indicateur avancé des retournements économiques dans le passé et qui a aujourd'hui arrêté sa croissance. Il y a actuellement des excédents de capacité, notamment chez les transporteurs chinois, et nous espérons que ce déséquilibre ne s'étendra pas demain au transport de passagers.

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