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Intervention de Philippe Duron

Réunion du 17 juin 2008 à 15h00
Réforme portuaire — Exception d'irrecevabilité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Duron :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, le rapport présenté par notre collègue Besselat nous fournit une analyse du commerce maritime et de la situation des ports que nous pouvons en partie partager.

La mondialisation de l'économie et le développement de pays émergents – en tout premier lieu celui de la Chine, qui, depuis deux décennies, est devenue une puissance industrielle fortement exportatrice et le nouvel Emporium de nos sociétés de consommation – ont dopé les échanges mondiaux et le commerce maritime, qui se développent à un rythme double de la croissance économique.

Le développement des échanges maritimes s'est accompagné d'une transformation des modalités du transport. La conteneurisation s'est imposée comme le mode de transport dominant de marchandises diverses. Comme le montre bien notre rapporteur, cela a des conséquences en termes d'organisation du trafic et de manutention.

Enfin, ces évolutions nous amènent à reconsidérer la géographie des ports et du transport maritime.

Le développement des ports asiatiques – Singapour, Shangaï, Xiamen – est plus rapide que celui des ports européens.

Une nouvelle hiérarchie des ports s'est instaurée. Nous voyons apparaître sur le marché de nouveaux et puissants opérateurs portuaires, comme Dubai Ports World, ou la Maritime and Port Authority of Singapour.

Cette évolution n'est pas sans effet sur les ports européens, sur leur fonctionnement, leurs résultats et l'évolution de leur trafic, ni sur les performances des ports français.

Dans cet environnement particulièrement concurrentiel, ces derniers ont été distancés par leurs concurrents européens, comme vous l'avez bien montré tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'État. Les ports de la mer du Nord – Rotterdam, Anvers, Zeebrugge –, ou ceux de la Méditerranée occidentale que sont Gênes et Barcelone, ont vu leur trafic progresser de 8 % par an, quand celui de Marseille et des autres ports français ne progressait que de 2 % par an.

Et pourtant, la France bénéficie de façades maritimes généreuses. Mais les trafics interocéaniques passent devant les ports de la Manche, de Cherbourg à Dunkerque, et leur préfèrent souvent Anvers ou Rotterdam.

Cette situation constitue un handicap pour notre économie et pour notre commerce extérieur. Alors que les transports et la logistique qui s'appuient sur des ports modernes et bien organisés représentent près de 11 % du PIB au Bénélux, ils n'en créent qu'un peu plus de 6 % dans notre pays. On mesure là l'enjeu pour la croissance et pour l'emploi.

Une partie importante de nos approvisionnements et de nos exportations échappent aux ports français, dont la part de marché en Europe est passée, de 1989 à 2006, de 17,8 à 13,9 %. Sur les 7,5 millions de conteneurs qui arrivent chaque année en France, 2 millions seulement transitent par des ports nationaux. De plus, 50 % des exportations et 30 % des importations de la région Rhône-Alpes passent par des ports étrangers. Et ne dit-on pas qu'Anvers est le premier port de l'Île-de-France ? Barcelone vient aujourd'hui chercher son fret jusque dans la vallée du Rhône.

Les causes de ce retard, les handicaps des ports français, sont aujourd'hui bien connus. Des rapports nombreux les ont identifiés, analysés, expliqués : les rapports de la Cour des comptes de 1999 et 2006, le rapport Gressier, et les deux rapports de l'Assemblée et du Sénat présentés par nos collègues Besselat et Revet, bons connaisseurs de la situation des ports autonomes.

Je retiendrai trois causes principales à ces difficultés.

La première, me semble-t-il, est le sous-investissement chronique dont sont victimes nos ports depuis plus de quinze ans. Alors que les quatre premiers ports belges ont investi plus de 250 millions d'euros chaque année, l'ensemble des ports autonomes français n'a pu mobiliser que 150 millions par an.

Et nous le constatons, quand un port a les moyens de sa modernisation, quand il est en capacité d'offrir des prestations comparables à celles de ses concurrents, sa situation se redresse, sa croissance s'accélère, les résultats sont au rendez-vous. Le Havre, que notre rapporteur, mais aussi notre collègue Daniel Paul, connaissent bien, a vu la croissance du trafic de conteneurs augmenter de 26 % l'an dernier, après la mise en service de Port 2000.

La deuxième cause concerne bien sûr la relation à l'hinterland, l'efficacité du pré- et du post-acheminement, la possibilité d'utiliser commodément la voie d'eau et le rail.

S'agissant de la voie d'eau, il a fallu attendre le début de cette décennie pour qu'on l'utilise plus systématiquement pour la desserte des grands marchés métropolitains. Sur le Rhône comme sur la Seine, la croissance du trafic a atteint des pourcentages à deux chiffres. Sur le réseau grand gabarit, le trafic fluvial a progressé de 43 % en dix ans.

Quant au fret ferroviaire, on connaît les difficultés de l'opérateur historique, le manque de sillons, l'insuffisance des moyens de traction, la difficulté à contourner les grandes agglomérations. Le retard est considérable, le chantier ne l'est pas moins.

Ce retard, qui nous coûte tant en compétitivité, et qui est source de tant d'émissions de CO2, est également et indiscutablement lié à ce sous-investissement. Il est donc urgent d'intervenir dans le sens d'une amélioration des dessertes ferroviaires de nos ports, d'une optimisation du trafic fluvial. Nous ne pouvons pas ignorer plus longtemps les conséquences environnementales et économiques du transport « tout routier » à l'heure d'une nouvelle flambée des prix du pétrole.

Sur ce point encore, nous nous accordons avec les conclusions du rapport Besselat, lequel souligne à juste titre qu' « il s'agit d'abord d'une mauvaise insertion des ports français dans les réseaux de desserte continentale, et par là même de la faiblesse de la liaison des ports français avec leur hinterland ».

La troisième cause du retard de nos ports tient à leur organisation et à leurs performances. La mauvaise maîtrise du facteur temps – vous l'avez indiqué, monsieur le secrétaire d'État – pour les opérations de chargement et de déchargement des bateaux vous amène à rechercher une unité de commandement pour la gestion de ces opérations. Là, nous pouvons vous suivre. Ces nouvelles formes d'organisation ont fait leurs preuves en Europe, mais aussi en France, là où elles ont été expérimentées.

Nous nous accordons donc à dire, avec vous, qu'il fallait légiférer, qu'il fallait améliorer la gouvernance des ports, qu'il fallait moderniser l'organisation du travail de manutention. C'était d'ailleurs, comme l'a rappelé notre rapporteur, le second volet de la réforme Le Drian.

Mais nous ne pouvons malheureusement pas dire avec vous que ce projet de loi constitue une réponse à la hauteur des enjeux. Nous ne pouvons pas dire avec vous que cette loi est une loi d'orientation, qu'elle trace le chemin d'une véritable politique portuaire et maritime, qui nous fait pourtant si cruellement défaut.

Nous savons d'ores et déjà que cette loi sera très largement insuffisante, nous savons déjà qu'elle n'a pas l'ambition que méritent nos sept ports autonomes maritimes et nos ports décentralisés. Nous savons déjà qu'elle ne sera pas à la hauteur de l'objectif qu'elle se fixe, et que nous partageons, celui d'une véritable, profonde et durable relance de la croissance des ports français.

Pour nous, les députés du groupe SRC, ce projet de loi souffre de trois insuffisances graves.

Si la modernisation institutionnelle des ports est à votre portée, il n'en est pas de même pour la réalisation des nécessaires investissements dont ont besoin les ports français. Vous avez annoncé une augmentation des financements prévus dans les contrats de projets État-région. Vous les portez à 445 millions d'euros d'investissement de l'État entre 2009 et 2013. C'est mieux, il est vrai, que les 347 millions d'euros contractualisés, mais c'est encore loin du compte.

De plus, on sait les difficultés qu'éprouve l'État à exécuter les contrats de projets dans les temps. Cela sera d'autant plus vrai demain, quand on connaît l'impasse financière dans laquelle se trouve l'Agence de financement des infrastructures de transport de France, l'AFITF, laquelle aura épuisé cette année les 4 milliards d'euros qui lui viennent de la privatisation des sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes. À partir de 2009, les recettes de l'Agence ne dépasseront pas les 800 millions d'euros, quand les besoins de financement s'élèveront à 2,8 milliards d'euros chaque année. L'impasse financière s'élève d'ores et déjà à 926 millions d'euros en 2008. Elle atteindra 2 milliards d'euros en 2009, pour exploser à 10 milliards d'euros de besoins consolidés en 2013.

De plus, et comme souvent avec le Gouvernement, la réforme se fait au pas de charge. Votre concertation porte plus sur la forme que sur le fond. Vous savez bien, monsieur le secrétaire d'État, qu'une des clés de la réussite du transfert des salariés des ports autonomes vers des opérateurs privés, c'est une concertation, un dialogue social approfondi et attentif, un dialogue social qui prenne en compte les inquiétudes et les intérêts des salariés. Dunkerque nous offre l'exemple d'une concertation réussie.

Les députés du groupe socialiste, radical et citoyen ont mesuré, tout au long des auditions qu'ils ont menées – avec la Fédération nationale des ports et docks, la CFDT Ports, la CFE-CGC Ports, la CNTPA, l'UPACCIM, l'UNIM, et le président directeur général de la Générale de Manutention –, la nécessaire modernisation des ports. Mais nous entendons aussi l'inquiétude des salariés et leur volonté de garanties, quant à leur emploi et à leur avenir.

Votre démarche, monsieur le secrétaire d'État, n'associe pas encore au bon niveau, comme il convient, les ouvriers des ports dans le conseil de surveillance des ports autonomes ou des grands ports maritimes.

La modification substantielle du contrat de travail n'est pas suffisamment assortie de garanties. Si les grutiers et les portiqueurs ont vu leur droit de retour amélioré au Sénat – et vous l'avez rappelé –, qu'adviendra-t-il des salariés transférés dans les filiales si celles-ci rencontrent des difficultés ?

Je soulignerai également le fait que votre projet de loi introduit un risque fort de distorsion de concurrence entre les ports autonomes et les ports décentralisés. Rappelons que la gestion de ces derniers a été transférée aux collectivités locales par la loi du 13 août 2004, transfert qui a été effectif à compter du 1er janvier 2007.

Ces collectivités ont souvent reçu des ports qui étaient dans un état de délabrement assez avancé. Elles n'ont pas obtenu les moyens de leur mise à niveau, notamment dans les discussions portant sur la fin des contrats de plan État-région ou sur la préparation des futurs contrats de projets.

Pour donner un exemple que je connais bien, je rappellerai que le syndicat mixte Ports normands associés, que nous avons créé avec Bernard Cazeneuve et qui regroupe les départements de la Manche et du Calvados, a dû adopter un programme de 100 millions d'euros sur les dix ans à venir pour les ports de Caen-Ouistreham et de Cherbourg. Pour que de tels investissements portent leurs fruits, encore faut-il que ces ports évoluent dans un environnement concurrentiel équitable avec les ports autonomes. Certes, vous avez ouvert au Sénat la possibilité de coopérations avec les ports autonomes dans le cadre de conseils de coordination interportuaires, mais cela ne peut être utile que si les ports décentralisés ont la capacité de fixer leurs tarifs et d'affecter librement les recettes des droits de port.

Ce projet de loi pourrait être l'occasion d'une modernisation du code des ports maritimes. Cette dernière est nécessaire et nous l'appelons de nos voeux, car la réforme doit bénéficier aussi aux autres ports que les ports autonomes et être étendue aux ports décentralisés. Les députés du groupe SRC regrettent que leurs amendements en ce sens aient tous été rejetés en commission...

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