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Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 30 juin 2011 à 15h00
Organisation de la médecine du travail — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoland Muzeau :

Beaucoup reste à faire comme en témoigne la plupart des indices de santé au travail mesurant la dégradation de l'état de santé des salariés, les différences d'espérance de vie persistantes entre catégories socioprofessionnelles et entre hommes et femmes.

Indépendamment des polémiques sur la sous-déclaration et la sous-reconnaissance des maladies professionnelles, sur les tentatives de manipulation permanente des tableaux, les accidents du travail stagnent à un trop haut niveau. Quant aux maladies professionnelles qui ont plus que quintuplé en dix ans, elles ont augmenté de plus 5,1 % en 2009, frôlant la barre de 45 500 cas indemnisés.

Les troubles musculo-squelettiques, marqueurs de la pénibilité au travail, en cause dans plus de 80 % des maladies professionnelles, ont quant à eux progressé de plus de 7,2 %. Le nombre de victimes de cancers professionnels est lui aussi en forte hausse.

La mission d'information sur les risques psychosociaux n'a pu que constater l'émergence de ces nouveaux risques avec des pathologies liées aux mutations du travail, responsables de la moitié des arrêts de travail de courte durée. L'organisation du travail très agressive, les réorganisations ultra-rapides, les restructurations permanentes, la charge de travail croissante des salariés, les modes violents de management, conséquences de la mondialisation financiarisée de notre économie post- industrielle, mettent à mal la santé voire la vie des salariés et confrontent les médecins à de nouvelles problématiques, sans compter les enjeux du maintien dans l'emploi des quinquagénaires et de la pénibilité au travail.

En avril dernier, le Conseil d'orientation des conditions de travail a de nouveau dressé un triste état des lieux de la santé et de la sécurité au travail tout en soulignant l'insuffisance de l'activité sur les conditions de travail, dites de tiers-temps, que les services de santé au travail sont, d'après les textes, censés mener en priorité par rapport aux visites médicales.

D'autres faits militent en faveur de l'évolution de notre système de santé au travail, lequel, malgré les enseignements du drame de l'amiante, continue dangereusement de subordonner la logique de santé aux impératifs économiques et de s'écarter de l'exigence de séparation entre activités d'évaluation et de gestion des risques.

Le dossier « La santé des salariés en mal d'électrochoc » paru dans le magazine Liaisons sociales d'avril 2011, montre si besoin était que « ni l'investissement des partenaires sociaux dans la prévention, ni la reprise en main par l'État de la politique de santé au travail » ne produisent de résultats. Plus de sept ans après que la Conseil d'État a condamné la puissance à indemniser les victimes de l'amiante pour avoir failli à sa responsabilité en matière de prévention et alors que nous en sommes au deuxième plan santé au travail – 2010-2014 –, « la politique publique de santé au travail s'esquisse à peine », déplore Arnaud de Broca, secrétaire général de la Fédération nationale des accidentés du travail et handicapés.

Il existe plusieurs raisons à cela : la succession de ministres mais surtout l'absence de suivi et de pilotage politique des impulsions données et le peu de moyens consacrés à cette priorité supposée – 120 millions d'euros pour le deuxième plan santé au travail. Si les effectifs de l'inspection du travail ont été renforcés par la création de 500 postes entre 2007 et 2009, la RGPP réduit désormais les possibilités de contrôle, donc l'effectivité des ambitions affichées.

En matière de démographie de la médecine du travail, l'inertie des pouvoirs publics et le défaut d'anticipation sont tout autant en cause. La pénurie est incontestable. Alors qu'il manque déjà près de 600 médecins sur un total de 6 000 professionnels en charge de la surveillance de 15 millions de salariés, alors que seulement 370 nouveaux médecins auront été formés, un rapport de l'IGAS de 2007 évaluait à 1 700 le nombre de départs à la retraite de médecins du travail dans les cinq ans : 5 600 médecins devraient avoir atteint ou dépassé l'âge légal de départ à la retraite d'ici à dix ans, soit près de 80 % de la population totale des médecins du travail.

Les auteurs de ce rapport ont confirmé que « jusqu'à présent le traitement de cette crise démographique n'a pas fait l'objet d'une action cohérente et continue ». Ils accusent les mesures palliatives qui ont été développées – expérimentations de glissements de tâches des médecins vers les infirmières du travail, reconversions de généralistes après obtention de la capacité en médecine du travail – d'avoir paradoxalement nui à l'attractivité de cette profession.

Le passage des visites d'un rythme annuel à bisannuel, présenté comme devant permettre aux médecins de dégager un tiers-temps en faveur de l'action en milieu professionnel, alors qu'en réalité il était question de gérer le manque de personnels, a effectivement fait reculer le nombre de visites mais « ses effets en termes de temps médical ont été en deçà des attentes. »

Il y a quatre ans, de tels constats conduisaient déjà Bernard Salengro, président du syndicat des médecins du travail de la CFE-CGC, à dénoncer « ce détricotage d'une certaine conception de la santé au travail. » Dominique Huez, vice-président de l'association « Santé et médecine du travail » soulignait quant à lui qu'« avec le financement de la pluridisciplinarité par les seules ressources des services de santé au travail, sans donner de garanties d'indépendance aux IPRP et en l'absence de mesures conservatoires permettant de renouveler le corps médical, les pouvoirs publics ont construit un système qui n'attaquait pas de front la médecine du travail mais qui a contribué à la fragiliser. »

Ces remarques demeurent tristement d'actualité. La médecine du travail continue de mourir du manque de praticiens et l'on parachève le mouvement de remise en cause de l'organisation d'ensemble des services de santé au travail, sans pour autant prendre les mesures conservatoires indispensables pour éviter l'extinction des médecins du travail. Dans ces conditions, la réforme ne pouvait être que contestée.

Comme l'a fort justement déploré Christian Dellacherie dans son rapport de 2008 pour le Conseil économique et social, depuis l'année 2000, les «moyens et les outils à disposition des professionnels des services de santé au travail ont qualitativement été modifiés mais dans un cadre global inchangé. » Les textes législatifs, réglementaires se sont succédé, dans un contexte de tension démographique, « pouvant alimenter l'idée que les réformes étaient conduites par nécessité plus que par l'objectif de renforcer l'efficacité du système ».

Une fois posées certaines exigences – détermination par voie réglementaire d'un numerus clausus définissant l'ampleur de l'augmentation du nombre de médecins, renouvellement des ressources enseignantes et de la formation, y compris des infirmières – les syndicats de médecins du travail sont unanimes à vouloir une réforme authentique, au service exclusif de la préservation de la santé des salariés, sans ambiguïté ni conflit d'intérêt, à même de permettre aux professionnels, en nombre, d'aller davantage sur le terrain tout en conservant une pratique quotidienne de la médecine du travail. Ils appellent de leurs voeux une évolution leur donnant concrètement et effectivement le pouvoir d'agir sur les conditions physiques et psychiques de travail au lieu d'être utilisés pour la simple évaluation et gestion des risques. C'est le sens de la pétition signée par 22 000 personnes, dont près de 1 200 professionnels de la santé au travail, en faveur d'une médecine du travail effective, revalorisée et indépendante, une médecine philanthrope gardant ses valeurs et sa déontologie.

Le Conseil national de l'ordre des médecins s'est prononcé tout aussi clairement et fermement après l'adoption l'été dernier, dans le cadre de la réforme des retraites, de ce qui est devenu cette proposition de loi. Selon son courrier de protestation, « le texte voté ne correspond pas aux attentes des salariés, qui doivent bénéficier d'une prise en charge globale de leur santé. Il ne répond pas non plus aux nécessités de l'exercice des médecins du travail dans le respect de leur indépendance technique. Le médecin du travail doit être le coordonnateur de l'équipe de santé pluridisciplinaire. L'intervention de médecins non spécialisés en médecine du travail envisagée par le texte ne doit pas conduire à une perte de qualité et doit se faire au sein du service de santé au travail, sans être déconnecté de la connaissance du milieu de travail et des postes de travail. L'indépendance du médecin doit être préservée dans les actions qu'il estime nécessaire de mener dans les entreprises et auprès des salariés. »

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