…dont environ 700 000 donnent lieu à un arrêt de travail et 50 000 à un arrêt de travail considéré comme grave, dans le sens où il induit une incapacité permanente au moins partielle. Les maladies professionnelles sont en expansion rapide et loin de ne concerner que des problèmes liés à l'amiante ou aux autres expositions professionnelles. En particulier, les troubles musculo-squelettiques et les pathologies liées au stress représentent actuellement les trois quarts des maladies professionnelles déclarées.
Ces chiffres augmentent tous les ans : il y a actuellement dix fois plus de déclarations de pathologies professionnelles qu'il y a quinze ans, en tenant compte des maladies nouvellement reconnues durant cette période. Le coût humain, mais aussi financier, est considérable. L'ensemble de ces pathologies et accidents représente ainsi un coût de 10 milliards d'euros annuels pour la branche travail de la sécurité sociale. De plus, on estime qu'une grande part de ces maladies professionnelles et de ces accidentés du travail souffrent d'une absence de déclaration et sont en réalité à la charge du régime général de la sécurité sociale. Ces chiffres ne sont pas brillants pour la France, qui, selon les statistiques de l'OCDE, apparaît plutôt mal placée s'agissant d'un problème de santé publique.
La pénibilité physique est quant à elle toujours une réalité. Certes, on ne travaille plus aujourd'hui comme il y a un siècle. Les normes de sécurité sont devenues plus strictes, la qualité des équipements utilisés s'est améliorée et la part des métiers les plus pénibles a logiquement baissé dans une économie marquée par l'augmentation du tertiaire. Pour autant, les conditions de travail ont plutôt eu tendance à se dégrader depuis trente ans. Plus de 40 % des ouvriers du bâtiment souffrent ainsi de douleurs lombaires. Et il faut noter que 100 000 travailleurs âgés de plus de cinquante ans travaillent régulièrement la nuit, dont près de la moitié plus de 200 nuits par an, ce qui a évidemment des répercussions sur leur espérance de vie.
Que dire également de l'explosion des risques psychosociaux ? Fatigues, troubles du sommeil, dépressions, suicides dans les cas les plus graves, ont pris, ces dernières années, une dimension alarmante au sein des entreprises françaises. Selon l'observatoire de la vie au travail, 65 % des salariés français se disent « stressés » au travail en 2010, contre 55 % l'année précédente. L'observatoire épidémiologique SAMOTRACE révèle que 24 % des hommes et 37 % des femmes évoquent un « mal être » en parlant de leur travail.
Les drames récents et les évolutions néfastes des conditions de travail nous permettent aujourd'hui d'avoir la conviction forte que la santé au travail et la médecine du travail ont besoin d'être mieux organisées, mieux soutenues, renforcées et valorisées.
Nous ne contestons donc pas la nécessité d'une réforme de fond, mise en évidence par de nombreux rapports, notamment du Conseil économique, social et environnemental et de l'Inspection générale des affaires sociales. Depuis 1946 et l'instauration des services de santé au travail, la situation a bien sûr évolué. Voilà pourquoi c'est avec un grand intérêt et beaucoup d'espoir que nous avons suivi les négociations entamées il y a deux ans entre les partenaires sociaux. La négociation a échoué, mais nous savons tous à quel point les partenaires sociaux étaient proches d'un accord. La proximité d'un tel accord et le nombre de positions communes des partenaires sociaux nous engagent et nous appellent à une attitude responsable et déterminée.
Nous sommes attachés à la spécificité française de la médecine du travail et à son financement. Nous partageons les conclusions du Conseil économique social et environnemental : « Un financement public nous semble devoir être écarté. La spécificité de la médecine du travail, et plus largement de la santé au travail, est directement liée aux conditions de travail en entreprise, sous la responsabilité de l'employeur. La préservation de la santé des salariés fait partie inhérente de la relation contractuelle de travail et la source du financement qui en résulte doit être maintenue, car elle renvoie à la responsabilité directe de l'employeur. »
La médecine du travail doit effectivement restée spécifique dans son champ d'activité médico-professionnel.
Mais ce mode de financement ne doit pas avoir pour conséquence une emprise patronale majeure sur le système ne lui offrant pas l'indépendance nécessaire à sa mission. Cette question est cruciale car il ne peut y avoir de véritable santé au travail sans une indépendance des acteurs de la prévention.
Si les dispositions renforçant l'indépendance des médecins du travail, notamment au regard des mobilités interentreprises, de la rupture du contrat de travail avant l'échéance du terme ou à l'arrivée du terme ou de la rupture conventionnelle, nous semblent aller dans le bon sens, elles sont encore bien insuffisantes par rapport à la réalité que nous connaissons tous, qui est celle de l'existence dans beaucoup d'entreprises d'une véritable porosité entre les services de santé au travail et les services administratifs des entreprises dont ils garantissent la prévention.
En ce sens, nous avons déposé une série d'amendements pour renforcer l'indépendance des services de santé au travail. La place et le rôle du médecin du travail qui doit rester le chef d'orchestre du dispositif, et non l'un parmi les autres et encore moins être soumis à des directives qui viendraient d'un directeur salarié du service de santé au travail.
Nous appelons votre attention sur la nécessaire protection des salariés qui vont administrer paritairement les conseils d'administration des services de santé au travail. Il est très dangereux de ne pas leur prévoir un statut de salarié protégé dans le cadre de ce mandat. Ainsi, vous soumettez ces nouveaux acteurs de la prévention aux possibles pressions des entreprises adhérentes des services de santé au travail sans leur donner les moyens juridiques d'y résister.