La présentation de cette motion de renvoi me permet d'aborder plus spécialement la situation de l'économie polynésienne.
La Polynésie française connaît depuis 2001 des difficultés économiques, sociales et financières qui ne cessent de s'aggraver. L'économie polynésienne rencontre actuellement des difficultés d'ordre conjoncturel et structurel. Les fondamentaux mêmes de l'économie se sont durablement fragilisés depuis dix ans. Le secteur du tourisme a été le premier touché et la fréquentation touristique ne cesse de diminuer depuis plusieurs années.
La croissance globale a été nulle sur la décennie 2000. En 2009, la création de richesses mesurée par le PIB a régressé de 4 % et cette panne de croissance n'est pas sans effet sur l'emploi : 6 000 emplois ont été détruits en 2008-2009 et le nombre de chômeurs ne cesse d'augmenter.
Cette argumentation pourrait être davantage étayée par des chiffres si l'Institut de la statistique de Polynésie française ne produisait pas des données qui ont plusieurs années de retard. Il est un peu dommage de ne pas disposer de statistiques suffisantes.
L'une des conséquences de cette conjoncture défavorable de l'économie est un appauvrissement de la population : le niveau de vie a diminué de 15 % depuis 2003 et les conditions de vie des Polynésiens se sont fortement dégradées ; nos collègues polynésiens pourront en témoigner puisqu'ils le constatent au quotidien.
Cette crise économique et sociale s'accompagne d'une crise financière sans précédent puisque les finances publiques sont dans une situation critique. Depuis l'automne 2009, une crise de trésorerie affecte lourdement la situation financière de la Polynésie qui ne parvient plus à dégager des ressources financières pour investir et faire face aux échéances du remboursement de la dette. Le niveau d'endettement s'est fortement accru et atteint la somme record de 780 millions d'euros.
Tous ces éléments ne sont pas sans conséquences sur la notation financière de la Polynésie qui s'est dégradée au point que l'accès à des financements extérieurs est actuellement sévèrement limité. Le dernier rapport de l'Institut d'émission d'outre-mer, déjà cité, précise bien que ces difficultés économiques sont liées à l'instabilité politique.
La gravité des problèmes budgétaires et financiers auxquels est confrontée la collectivité de Polynésie, et plus largement la gravité de la situation économique et de l'emploi requièrent des mesures d'ajustement, sous peine de voir le budget déféré à la Chambre territoriale des comptes.
Face à cette délicate situation et à la demande des autorités polynésiennes, une mission d'assistance des différentes inspections – vous l'avez citée, madame la ministre – a été conduite par Mme Bolliet. Elle a effectué un diagnostic très complet de la situation économique, financière et budgétaire de la Polynésie française et elle a émis un ensemble de recommandations pour redresser la situation critique dans laquelle se trouve le pays.
Comme le souligne le rapport, il existe des marges de manoeuvres pour redresser cette situation délicate dans les meilleurs délais. Pour cela, il faudrait travailler sur les recettes, plus particulièrement sur la fiscalité, et réduire les dépenses de la collectivité.
S'agissant des recettes, l'étude du système fiscal polynésien met en exergue des inefficacités et des injustices qui offrent des possibilités sensibles d'amélioration. Le système fiscal est constitué par une forte proportion d'impôts indirects sur la consommation : la fiscalité directe ne concerne que les entreprises – et encore pas toutes ! – ; les ménages ne sont imposés ni sur leur patrimoine ni sur leurs revenus. Eh oui, il n'y a d'impôt ni sur le revenu ni sur le patrimoine en Polynésie. Au fond, la fiscalité y est dure pour ceux qui ont peu et douce pour ceux qui ont beaucoup. C'est une situation complètement anormale à laquelle il faudra remédier.
Il est important d'accroître le prélèvement des impôts et de procéder à une réforme profonde de ce système fiscal qui n'est pas équitable – les professions non salariées ne paient pratiquement pas d'impôt, par exemple. Tout ce que je dis là figure dans les divers volumes du rapport de l'inspection de la mission d'assistance
La pression fiscale est quasiment exclusivement supportée par le secteur commercial. Certains secteurs sont quant à eux presque totalement exonérés d'impôt, notamment l'agriculture et de la perliculture qui bénéficient d'un abattement de 80 % et donc d'une pression fiscale quasiment nulle. Le rendement fiscal du secteur perlier s'établit ainsi à 500 000 euros pour un chiffre d'affaires de plus de 100 millions d'euros, soit à peine 0,5 %.
Plusieurs pistes de solutions peuvent être suivies pour accroître le rendement des impôts existants. Ainsi le recouvrement de la plupart des impôts est assuré par trois comptables différents, sans compter la trésorerie générale qui recouvre les amendes douanières. La dispersion de la fonction de recouvrement entre ces trois entités ne permet pas de regrouper les moyens et d'optimiser les procédures. Au moins pourrait-on créer un pôle de recouvrement unique, afin d'être plus réactif.
En dehors des impôts, notons que le taux de recouvrement des créances hospitalières ou des produits communaux est très faible : sur 90 000 factures émises par l'hôpital chaque année, seulement 50 % reviennent payées. À cette incivilité fiscale s'ajoutent des dysfonctionnements et des insuffisances. En Polynésie, par exemple, il n'existe pas de moyens de paiement moderne tels que la carte bancaire ou encore le prélèvement automatique, par exemple.
L'amélioration du recouvrement de l'impôt nécessite aussi une remise à jour de l'adressage et du service du courrier. En effet, la distribution du courrier se fait de manière aléatoire ; les délais de distribution et de retour des courriers non distribués sont très variables ; la remise des avis d'imposition est compromise par l'absence d'adresses et par le faible nombre de boîtes aux lettres. Plusieurs millions d'euros de manque à gagner résultant de ces carences, il conviendrait de faire au moins un plan d'adressage.
S'agissant du contrôle fiscal, c'est simple : jusqu'en 2009, il n'existait pas de contrôle fiscal, ce qui contribue à expliquer la baisse continue du rendement des impôts sur les entreprises puisque ces dernières risquent un contrôle fiscal tous les 130 ans – ce n'est tout de même pas excessif.
Ces absences de contrôle font perdre des millions d'euros à la collectivité chaque année. Afin de remédier à cette situation, il convient d'étoffer le service en charge du contrôle, de supprimer certains recours qui ralentissent voire bloquent les procédures et de créer enfin une agence de la fiscalité de la Polynésie française.
La cellule de vérification comporte seulement quatre agents, soit un agent pour 5 400 entreprises. Les agents de vérification ont un objectif de douze contrôles, un objectif jamais atteint compte tenu des mouvements de personnel. Afin d'accroître la fréquence des contrôles et de lutter efficacement contre la fraude, il est nécessaire d'augmenter le nombre de vérificateurs.
Par ailleurs, certains recours ralentissent voire bloquent les procédures de recouvrement. Actuellement, le contribuable qui a fait l'objet d'un contrôle fiscal et conteste le redressement peut saisir la commission des impôts. Dans le cas d'une appréciation contraire à celle de la commission, le service des contributions à l'obligation, avant toute mise en recouvrement, de transmettre le dossier au président de la Polynésie française. Celui-ci répond quand il le souhaite, il n'est contraint par aucun délai pour rendre sa décision. Le processus n'est pas égalitaire car, selon que vous êtes ou non un ami, la décision sera différente. Et nous sommes dans la République française !
Créer une agence de la fiscalité de la Polynésie française comme il en existe en Espagne ou au Canada serait une bonne chose. Une telle agence serait beaucoup plus autonome et efficace. Toutes les missions fiscales – assiette, recouvrement et contrôle – pourraient lui être transférées, à l'exclusion de l'élaboration de la législation fiscale. Cette formule d'agence plus proche des citoyens constituerait un gage de plus grande neutralité à l'égard du pouvoir politique.
D'autres mesures pourraient améliorer la situation financière de la Polynésie, concernant particulièrement les dispositifs d'exonération fiscale qui diminuent substantiellement les recettes de la collectivité. Sur plus de 900 millions d'euros de recettes fiscales et douanières qui ont été prélevés en 2009 en Polynésie, 70% proviennent des droits indirects. J'ai déjà souligné la nécessité d'une fiscalité directe.
L'ensemble de ces produits fiscaux et douaniers est réduit chaque année d'environ 100 millions du fait des dispositifs de réduction d'impôt, d'exonération et de détaxation, en particulier sur les produits pétroliers. Si l'on avait des contrôles plus fréquents, on pourrait davantage réduire la fraude qui existe.
Néanmoins, il faut agir avec prudence et le rapport Bolliet propose d'agir au cas par cas, selon les catégories.
Mais, hors carburants, les exonérations douanières se montent à plus de 33 millions d'euros, en augmentation de 23 % depuis 2006. On peut s'interroger sur certains types d'exonérations. Est-il nécessaire, par exemple, d'exonérer les boissons alcoolisées consommées dans les hôtels et les restaurants, ce qui engendre une perte de recettes de 3 millions d'euros par an ?
Le recouvrement et le contrôle de l'impôt ainsi que la réduction des niches douanières constituent des marges de manoeuvre qui permettraient de soulager rapidement le budget de la collectivité.
Encore une fois, il faut revenir à une réforme de la fiscalité.
Mais, deuxième aspect que je veux aborder – et je terminerai par là –, il faut naturellement réduire les dépenses.
Le rapport de la mission d'assistance comporte un ensemble de propositions concrètes et chiffrées conduisant à réduire les dépenses publiques en Polynésie.
Peu de collectivités disposent d'un rapport aussi précis, qu'il suffit de mettre en application. Il n'y a même pas besoin de réfléchir beaucoup. Il suffit de le lire et de traduire les observations en décisions du Gouvernement ou de l'Assemblée pour parvenir à gérer naturellement la situation sur un plan politique.
Je comprends bien qu'annoncer la création d'un impôt sur le revenu en Polynésie n'est pas de nature à susciter l'enthousiasme. Je ne parle pas de la population. Vous pensez bien que les milliers de Polynésiens qui ne seraient pas concernés par l'impôt sur le revenu mais qui, aujourd'hui, paient des taxes indirectes dans le coût de la vie chère, ne diraient rien. Je parle des quelques milliers de privilégiés, fonctionnaires ou autres, qui ont des salaires faramineux et qui, eux, seraient directement atteints par une fiscalité directe : on peut s'attendre à les retrouver dans la rue.
Donc, c'est une décision qui est difficile à la fois à prendre et à appliquer et qui doit être prise avec beaucoup de doigté et de pédagogie, bref avec beaucoup de politique. Je ne doute pas, d'ailleurs, que les élus polynésiens soient en mesure de dialoguer avec leur population à ce sujet.
Pour ce qui est des autres réductions, un certain nombre sont exposés dans le rapport d'Anne Bolliet. Je ne m'y étends pas. Nous aurons l'occasion, comme l'a indiqué le rapporteur, d'en examiner un certain nombre.
Je ferai simplement remarquer que la mise en oeuvre d'un programme d'économies, tel que celui que le gouvernement actuel prépare et va prochainement annoncer, exige que les responsables politiques montrent l'exemple. C'est pourquoi notre groupe a proposé deux amendements concernant la rémunération des ministres et des représentants de l'Assemblée de la Polynésie.
Il s'agit de corriger une anomalie. La Polynésie est, en effet, le seul territoire de la République où la rémunération des ministres et représentants de l'assemblée est fixée par eux-mêmes. Depuis 2007, même le Président de la République a accepté de ne plus fixer lui-même sa rémunération mais de la faire fixer par la loi. Par conséquent, nous vous proposons, par ces amendements de fixer un plafond, comme c'est le cas pour la totalité des collectivités et des exécutifs nationaux.
A quel niveau faut-il fixer ce plafond ? C'est là où les élus doivent montrer l'exemple. C'est pourquoi les amendements que nous avons déposés proposent de fixer un plafond inférieur de 10 % au plafond actuel. Mais, ne vous inquiétez pas, quand vous verrez les chiffres, vous vous apercevrez que, malgré cette diminution de 10 %, nous restons encore au-dessus de la rémunération des parlementaires nationaux que vous êtes.
On ne peut pas, en Polynésie, comme en métropole, exiger des sacrifices aux citoyens sans les appliquer d'abord aux responsables politiques. C'est pourquoi j'espère que l'Assemblée votera ces amendements.
Le redressement de la situation financière de la collectivité est un objectif qui est tout à fait réalisable. Mais il est difficile. C'est pourquoi je vous invite, madame la ministre, à aider le gouvernement en place dans cette entreprise difficile et enthousiasmante. Et je dis donc à ce Gouvernement : faa ito ito, c'est-à-dire bon courage !