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Intervention de Julien Dray

Réunion du 23 juin 2011 à 15h10
Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs — Article 10, amendements 36 111

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJulien Dray :

C'est le discours que vous nous tenez depuis des années : « Il multiplie des comportements qui sont de plus en plus violents. C'est donc un adulte, et il faut mettre en place des dispositifs juridiques qui prennent cela en compte. »

Nous, nous disons l'inverse. La question qui est posée est celle de savoir pourquoi ces mineurs sont devenus des multirécidivistes. C'est donc que, au point de départ, notre système n'a pas fonctionné. C'est pour cela que nous faisons toutes ces propositions de détection précoce. Et je pourrais vous citer des dizaines et des dizaines d'exemples de jeunes qui sont peut-être super-baraqués, comme vous dites, mais qui ont des cervelles d'oiseau, ce dont témoigne leur comportement, y compris celui qu'ils ont dans leur parcours judiciaire. Il se trouve que je suis, comme je le dis souvent, le député de la prison de Fleury-Mérogis. De fait, en tant que député, j'ai sous ma responsabilité le centre des jeunes détenus, que je fréquente régulièrement. Et quand je discute avec les éducateurs ou avec le personnel de l'administration pénitentiaire, que me disent-ils des jeunes qui y sont détenus ? Qu'ils sont de plus en plus immatures. Par le passé, on pouvait estimer assez facile de leur tenir un discours consistant à les mettre en garde : « On te met face à tes responsabilités. Voilà ce que tu risques de devenir ». Aujourd'hui, ce discours n'a plus aucun effet.

Cela montre que c'est en amont qu'il faut travailler. Et ce n'est pas faire de l'angélisme que de dire cela. C'est pour cela que nous disons qu'à la première faute, il doit y avoir une sanction, un suivi, un soutien, et que l'on ne peut pas se passer ce jeune délinquant de mains en mains en attendant la suite. Si vous ne faites pas cela, vous créez évidemment les conditions qui vont conduire à la récidive. Et après, vous êtes évidemment impuissant face à ces multirécidivistes. Et vous n'avez plus d'autre solution que de durcir les dispositifs.

Il y a quand même un paradoxe. Quand vous donnez des explications sur ce tribunal correctionnel pour mineurs, vous êtes sans cesse sur la défensive. C'est ce que vous m'avez dit tout à l'heure, monsieur le ministre : « Vous allez voir, cela ne va concerner que quelques dizaines de cas. » Vous essayez en permanence de nous donner des gages : « Pourquoi vous vous inquiétez ? Ce sont juste quelques cas. » Nous sommes en droit de vous répondre : « Mais alors, pourquoi vous le faites ? Si ce ne sont que quelques cas, pourquoi êtes-vous obligés de faire cela ? »

Et si vous le faites aujourd'hui dans l'intention de répondre à quelques cas, qui nous dit que demain, vous ne vous laisserez pas emporter par la vague, sous l'influence des grands titres de la presse à grand spectacle, qui ne prend rien d'autre en considération que la nécessité de faire du spectacle ? Nous savons d'ailleurs tous que lorsque des actes de délinquance sont au journal de vingt heures ou à la une d'un quotidien, la violence est encore plus forte le lendemain, parce que les jeunes sont alors devenus des acteurs. Comme on dit, « vu à la télé », ça donne une prime ! Qui nous dit, donc, qu'à partir de ce dispositif que vous estimez extrêmement prudent, il n'y aura pas une généralisation ?

Non, ça ne colle pas, votre système. Il n'est pas vrai qu'un tribunal correctionnel aura des vertus pédagogiques en raison de sa solennité. D'abord, je suis à peu près certain que, dans le cadre de ces audiences, les juges eux-mêmes seront surpris des personnages qu'ils auront en face d'eux – qu'ils retrouveront, d'ailleurs, parce qu'ils les connaissaient auparavant. Il n'y aura donc pas du tout de caractère solennel, ce qui obligera à durcir les peines. Ce sera une fuite en avant.

Nous savons tous que pour cette catégorie de jeunes, la prison est criminogène. Elle fait maintenant partie d'un parcours. Nous l'avons vérifié, avec un certain nombre de policiers, dans mes quartiers. Nous savons désormais que les affrontements quotidiens avec les forces de police sont les moments d'un parcours initiatique voulu par les grands caïds, qui vont ainsi sélectionner les plus déterminés, ou les plus durs. Les passages réguliers devant l'institution judiciaire constituent une forme de sélection, qui conditionne l'accès à un stade supérieur de la délinquance.

Il y a donc dès le départ une erreur méthodologique. Depuis dix ans, vous êtes enfermés dans ce stéréotype du mineur cagoulé, ou avec la capuche sur la tête, qui est multirécidiviste, qui parle mal, qui se comporte mal, qui a la casquette de travers, et qui est, pour vous, irrécupérable. Parce que c'est cela, le fond de l'affaire. Quand on discute avec vous en privé, vous nous dites : « On ne sait plus quoi faire ». Et vous n'êtes pas les seuls, d'autres nous le disent aussi. Si vous ne savez plus quoi faire, c'est parce que vous ne vous posez pas la vraie question, celle qui impose de faire une révolution. Depuis des années, nous sommes un certain nombre à vous dire que la vraie question, c'est celle de l'amont. La détection précoce, c'est la seule solution.

C'est pourquoi je redis que l'exemple à suivre, c'est celui du Québec. Vous le savez comme moi. Tous ceux qui y sont allés ont vu la manière dont les choses se passent et dans quelles conditions le système actuel a été mis en place. Et pourtant, les Québécois auraient pu, et c'est cela qui est intéressant dans leur expérience, se laisser contaminer par l'exemple du grand frère américain, celui de la tolérance zéro, de la sanction systématique et de l'enfermement, toutes choses qui ont conduit les États-Unis à une situation où près de 1 % de la population est en prison, avec toutes les conséquences que l'on sait. Ils n'ont pas suivi cette voie, et ce sont eux qui ont réussi. Certes, tout n'est pas parfait au Québec, mais c'est quand même là-bas que se trouvent les solutions.

Ce débat se poursuivra dans les mois à venir. Il n'y a pas, d'un côté, ceux qui nient les problèmes, et de l'autre, ceux qui les affrontent. Nous disons que les instruments que vous mettez en place aboutiront inévitablement, que vous le vouliez ou non, à la remise en cause des principes sur lesquels repose la justice des mineurs. Ces principes-là, nous pensons qu'il faut au contraire les renforcer. Parce que les jeunes dont nous parlons ne font pas preuve d'une plus grande maturité. Ils font preuve d'une plus grande immaturité.

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