Je rejoins d'autant plus facilement Dominique Raimbourg sur plusieurs points qu'il a rendu compte de manière très fidèle de la teneur des longs et riches mois de travail de la commission dite Varinard.
Toutefois, si, formellement, les propos de notre collègue ne sont guère contestables, les conclusions qu'il en tire dans le cadre de la présente discussion m'apparaissent beaucoup plus aléatoires.
Je ne crains pas d'être contredit en réaffirmant que l'objectif partagé par tous les membres de la commission Varinard – pourtant très divers quant à leurs opinions politiques ou à leurs professions – était d'actualiser l'ordonnance de 1945.
Par conséquent, prétendre que des éléments que l'on retrouve aujourd'hui dans le projet de loi détruisent l'esprit, l'histoire, la culture construite par l'ordonnance de 1945, c'est erroné si l'on n'est pas très au courant du travail qui a été accompli, et c'est plutôt fallacieux si l'on est un peu plus au courant. Je ne dis pas que c'est ce qu'a dit Dominique Raimbourg, mais je ne voudrais pas que l'on verse dans ce travers.
Le travail de la commission relève d'une démarche globale. J'ai d'ailleurs dit en commission des lois, et je l'ai dit devant vous, monsieur le garde des sceaux, que le seul regret que je pouvais avoir par rapport à ce projet de loi, c'est que les éléments qu'il contient, pour valides qu'ils soient, n'en sont pas moins déconnectés de la cohérence d'ensemble que nous avions construite. J'avais proposé, et la commission l'avait accepté après même pas une minute de débat, un intitulé, le « code de la justice pénale des mineurs » – c'était d'ailleurs l'intitulé sur lequel nous nous étions arrêtés –, dont le mérite était de bien montrer qu'il s'agissait de procéder, à travers ce nouveau code, à la réécriture, actualisée, mise en cohérence, de l'ordonnance de 1945.
C'est à la lumière de ce travail, auquel le Parlement – grâce à nous deux, monsieur Raimbourg, il faut le dire, mais aussi grâce à d'autres collègues qui étaient présents – a beaucoup contribué, qu'il faut analyser ce qui est proposé ici. La création d'un tribunal spécialement dédié, en matière correctionnelle, aux mineurs, ce n'est qu'une des propositions qui ont été faites. C'est celle qui a fait le plus de buzz, parce qu'elle a été en effet la plus chaudement discutée au sein de la commission, mais c'est une proposition parmi d'autres.
Notre collègue Karamanli a utilisé tout à l'heure l'argument qu'il ne fallait pas utiliser. Il s'agit bien d'un tribunal correctionnel spécial pour mineurs. Le dire, chers collègues, prouve qu'il s'agit bel et bien, comme l'a rappelé le ministre, d'un tribunal correctionnel spécialement dédié au traitement de la problématique des mineurs, et surtout de ceux qui sont le plus proches de la majorité. Il faut avoir le courage de reconnaître – et c'est un courage qui relève aussi de la responsabilité que nous avons vis-à-vis de nos jeunes – qu'à l'approche de leur majorité, certains jeunes ont un comportement pénal qui s'identifie beaucoup plus à un comportement d'adulte délinquant qu'à un comportement d'enfant. Il faut bien sûr continuer à les protéger, mais c'est un fait qu'ils basculent de plus en plus vers un comportement d'adulte.
C'est de cette gradation dans le parcours de l'enfant qu'il nous faut tenir compte, un enfant que nous voulons éviter de voir plonger dans la délinquance dure. C'est la règle d'or que nous avons suivie dans notre travail, lequel prend en compte toutes les évolutions antérieures, et notamment les deux lois de 2007 relatives à l'enfance en danger et à la protection de l'enfance.
Je tiens vraiment à dire que cette disposition, si elle a bien sûr été controversée et a fait l'objet de débats un peu âpres entre nous, a bel et bien été adoptée par la commission, et beaucoup plus largement que ne le disait Dominique Raimbourg. Elle l'a été dans le cadre d'une volonté d'ensemble, partagée par tous ceux qui ont participé à ces importants travaux.
Je me permets, monsieur le président, d'anticiper un peu sur ce qui est le corollaire de tout cela, à savoir le dossier de personnalité, dont un collègue disait l'autre jour, en commission, qu'il était la pire des abominations. Au contraire, s'il y a bien une demande unanime, très fortement exprimée sur tous les bancs de la commission Varinard, c'est bien la création de ce document qui permet de savoir, à chaque étape de son parcours, qui est le jeune, l'enfant auquel on a affaire. Car, comme le disait très justement François Pupponi, dès qu'on laisse un gosse s'apercevoir que les mailles du filet sont très lâches, il se faufile et plus personne ne peut ensuite l'aider à sortir du parcours délictueux dans lequel il s'apprête à entrer, ou dans lequel il est entré.
J'y insiste, ce mauvais procès fait au tribunal correctionnel pour mineurs est plutôt dangereux. D'une part, il y a une vraie traçabilité de la réflexion qui a conduit à la proposition qui nous est faite par le Gouvernement aujourd'hui. Et d'autre part, il faut être lucide : dans le domaine du pénal, s'agissant d'un enfant en difficulté qui en est arrivé à devenir lui-même délinquant, nous devons, adapter la prévention et la prise en charge à ce qu'est la délinquance aujourd'hui, sans oublier que l'essentiel, c'est bien la spécialisation. C'est dans cette logique que s'inscrit ce tribunal, mais c'est aussi dans la même logique que s'inscrit la cour d'assises pour mineurs, ou encore le « juge des enfants », lequel deviendra probablement, un jour, le « juge des mineurs », car il est beaucoup plus raisonnable de l'appeler ainsi. Nous avons ainsi plusieurs outils complémentaires, qui sont au service du mineur, et qui visent à traiter sa délinquance pour empêcher qu'il ne s'y enfonce davantage.