Ces projets de loi, l'un organique et l'autre ordinaire, adoptés par le Sénat le 12 mai dernier, marqueront une évolution très positive pour la Guyane et la Martinique – une évolution, attendue depuis une trentaine d'années et les premiers textes sur la décentralisation, qui permettra de tenir compte de leurs particularités.
Le projet de loi organique vise à assouplir les conditions dans lesquelles les collectivités régies par l'article 73 de la Constitution peuvent être habilitées soit à adapter les lois et règlements nationaux sur leur territoire dans les matières relevant de leur compétence, soit à fixer elles-mêmes certaines règles relevant de la loi ou du règlement.
Le projet de loi ordinaire, lui, instaure une collectivité territoriale unique en Guyane et une en Martinique, en lieu et place des précédents départements et régions d'outre-mer. Il traduit ainsi la volonté des électeurs de Guyane et de Martinique, qui avaient rejeté le 10 janvier 2010 le statut de collectivité régie par l'article 74 de la Constitution et approuvé le 24 janvier celui de l'article 73. La Guyane et la Martinique s'apprêtent donc à devenir, à la suite de Mayotte, des collectivités à statut particulier exerçant simultanément les compétences de département et de région d'outre-mer.
Les deux collectivités uniques vont tout d'abord adopter des architectures institutionnelles distinctes, conformément aux préférences exprimées par les élus locaux durant les longs mois de concertation avec le Gouvernement. Celle de la Guyane est assez traditionnelle, de type régional : il s'agit d'une assemblée délibérante unique élisant en son sein un président, organe exécutif de la collectivité, et d'une commission permanente dotée de pouvoirs propres relativement étendus, notamment en matière de marchés publics. La Martinique a préféré un modèle plus original, proche de celui conçu en 1991 pour la Corse, qui comprend, aux côtés de l'assemblée de Martinique, un conseil exécutif de neuf membres chargé de la gestion de la collectivité territoriale. Ce conseil distinct, élu par l'assemblée au scrutin majoritaire de liste, pourra être renversé par une motion de défiance constructive adoptée à la majorité absolue. Afin d'assurer la responsabilité de l'exécutif devant l'assemblée délibérante tout en évitant les alliances de circonstance qui dénatureraient le vote des électeurs et aboutiraient à ce qu'Edgar Faure appelait le « gouvernement à secousses », je proposerai que cette majorité s'acquière plutôt aux trois cinquièmes.
L'ensemble des dispositions électorales seront inscrites dans la loi. Le mode de scrutin retenu s'apparente à celui qui est en vigueur pour les élections régionales : un scrutin de liste à deux tours, avec une représentation proportionnelle à la plus forte moyenne assortie d'une prime majoritaire et d'une répartition des sièges par section. C'est celui qui permet la représentation la plus pertinente. La Guyane et la Martinique formeront chacune une circonscription électorale unique, composée pour la première de huit sections et pour la seconde de quatre.
La commission des lois du Sénat a souhaité inscrire dans la loi ce découpage en sections, leur composition et la répartition des sièges entre elles. Cette solution n'est pas sans inconvénients. Elle modifie d'abord la répartition traditionnelle des compétences entre le législateur et le pouvoir réglementaire pour ce qui est de la délimitation des circonscriptions électorales des assemblées locales, laquelle a toujours été effectuée par décret en Conseil d'État pour les collectivités relevant des articles 72 et 73 de la Constitution. Surtout, l'inscription de ces dispositions rend possible l'adoption d'un nouveau découpage par simple amendement dans une loi, sans aucune consultation officielle de l'assemblée délibérante concernée.
C'est pourquoi je vous proposerai, pour l'élection des conseillers aux assemblées de ces deux collectivités, de laisser à un décret en Conseil d'État, pris après avis des conseils généraux et régionaux concernés, le soin de fixer les limites des sections électorales et leur nombre de sièges. Cela ne remet aucunement en cause le fond – la répartition en huit et quatre sections, sur laquelle s'accordent une majorité d'élus – mais uniquement le vecteur. Par ailleurs, s'agissant de la Martinique, le Sénat a ramené la prime majoritaire de onze à neuf sièges, ce qui ne me paraît pas suffisant pour constituer des majorités stables. Je vous proposerai donc de la porter à 20 % des sièges à pourvoir, soit onze sièges.
Troisième sujet, qui a suscité de nombreux débats : afin de garantir la continuité de l'action des collectivités territoriales régies par l'article 73 de la Constitution, le projet de loi ordinaire avait prévu, conformément à une décision du conseil interministériel de l'outre-mer du 6 novembre 2009, un nouveau pouvoir de substitution du préfet – pouvoir dont il existe au reste de nombreux exemples dans le code général des collectivités territoriales, y compris pour les collectivités métropolitaines. À la procédure de mise en demeure, la commission des lois du Sénat a préféré une procédure de constat de carence, à l'initiative du préfet, la mise en oeuvre de ses pouvoirs de substitution étant subordonnée à un décret pris en conseil des ministres. Soucieux de tenir compte de cette volonté, mais par mesure de simplification, je vous proposerai de recourir plutôt à un décret simple, qui semble mieux convenir à une procédure d'urgence tout en restant plus proche du droit commun.
Quatrième volet du texte : l'élargissement du congrès des élus locaux aux maires. La commission des lois du Sénat a souhaité rénover en Guyane et en Martinique le congrès des élus locaux, qui conservera dans la collectivité unique un rôle de proposition en matière institutionnelle. Composé des conseillers à l'assemblée, ayant seuls voix délibérative, et des parlementaires, avec voix consultative, ce congrès avait peu de sens. Il a donc été élargi aux maires, mais avec seulement voix consultative. Afin d'assurer une prise en compte équilibrée de toutes les positions sur les questions institutionnelles, il me semble préférable d'accorder une voix délibérative à l'ensemble des membres. C'est le congrès des élus du territoire : il est important que ceux-ci soient sur un pied d'égalité.
Enfin, le projet de loi organique assouplit les procédures d'habilitation législative et réglementaire prévues à l'article 73 de la Constitution. La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 a reconnu aux collectivités qu'il régit la possibilité d'être habilitées à adapter les lois et règlements nationaux sur leur territoire dans les matières de leur compétence, ainsi que de fixer des règles dans un nombre limité de matières relevant du domaine de la loi ou du règlement. Du fait de procédures extrêmement rigides, seules deux habilitations ont été accordées, à ce jour, au conseil régional de la Guadeloupe : habilitation à fixer des règles pour la création d'un établissement public régional pour la formation professionnelle et à fixer des règles en matière d'énergies renouvelables.
Afin de donner enfin une portée effective à cette faculté constitutionnelle, le projet de loi organique assouplit la procédure à deux égards. D'abord, l'habilitation sera accordée par la loi en matière législative mais par un décret en Conseil d'État en matière réglementaire, afin de mettre fin au contrôle d'opportunité que pourrait exercer le Gouvernement sur les demandes d'habilitation. Ensuite, l'habilitation sera prolongée jusqu'à l'expiration du mandat de l'assemblée qui en a fait la demande, au lieu d'être limitée à deux ans comme actuellement.
La question des délais d'installation des nouvelles institutions a fait débat. Le projet de loi initial faisait référence à 2012, le Sénat, comme beaucoup d'autres, préférant 2014… Je suis plutôt favorable à cette dernière solution, à laquelle le Gouvernement s'est rallié. Il déposera un amendement en ce sens. La question est donc heureusement résolue. La date de 2014 est très majoritairement acceptée et laissera le temps nécessaire à la mise en place des nouveaux organes et des nouvelles procédures et à la répartition du personnel.
Cette réforme est historique. Elle prend en compte et garantit les spécificités de ces collectivités tout en rappelant leur appartenance à la République. Je ne doute pas que leur nouvelle organisation leur permette non seulement d'exercer pleinement leurs compétences, mais surtout de rendre plus efficace encore l'action publique locale, pour le plus grand bénéfice des populations guyanaise et martiniquaise.