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Intervention de Julien Dray

Réunion du 22 juin 2011 à 15h00
Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJulien Dray :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je ne prolongerai pas ce débat, car la discussion des amendements nous permettra de revenir sur nombre de questions.

Permettez-moi, monsieur le garde des sceaux, de commencer mon intervention par une remarque qui vous est personnellement adressée – je vous l'avais promis. Je suis un peu triste, car j'ai fait partie de ceux qui, il y a presque quatre ans, considéraient que, dans le cadre d'une majorité qu'il fallait constituer pour réformer profondément la France, nous devions être capables de tendre la main à ceux qui pouvaient se reconnaître dans un nouveau pacte républicain. Malheureusement, les choses ne se sont pas faites et la vie politique a suivi son cours. Et je vous retrouve aujourd'hui, monsieur le garde des sceaux, vous, que j'estime, dont je sais le caractère profondément humaniste et républicain, et dont je sais aussi l'engagement personnel, en train de porter un mauvais coup à quelque chose qui, pourtant, fait partie de l'histoire de notre République et qui la valorise, la glorifie, en fait même une République exemplaire à l'échelle de la planète.

Je vois bien qu'avec votre talent et votre bonhomie, vous essayez de banaliser les choses, de les relativiser, d'expliquer que tout cela n'est que pédagogie et ne détruit pas les principes fondateurs qui ont conduit à la mise en place de la spécificité de la justice pour les mineurs. Je vois bien les efforts de langage que vous faites. Mais il n'en demeure pas moins que vous êtes sur ce banc et que, même si le président Mazeaud a dit, à juste titre, que les lois étaient celles de la République et non celles des ministres, vous allez quand même donner votre nom à ce qui restera un mauvais coup porté à la justice des mineurs, qui risque même, acte supplémentaire, de la faire disparaître. Vous avez beau essayer de nous expliquer que tout cela répond à l'évolution du contexte, je vais tenter, dans les quelques minutes qui me restent, de démontrer l'inverse.

Oui, une justice pour les mineurs est nécessaire. Et il n'y a pas de hasard dans les dates. Ainsi, les rédacteurs de la fameuse ordonnance de 1945 l'ont élaborée dans un temps où il fallait justement restaurer les principes de civilisation et d'humanité. Considérant, avec raison, qu'un enfant n'étant pas un adulte, il devait bénéficier d'une attention particulière, ils ont, en conséquence, fait primer l'éducatif sur le répressif. Oui, le fondement même de l'ordonnance de 1945 est de considérer que, par l'éducation, et donc par la civilisation, on peut aller au plus profond des problèmes posés et donner une nouvelle chance à ceux qui sont engagés dans la voie de la délinquance. C'est ce pari de l'humanité qui a fondé la justice des mineurs. À partir du moment où, qu'on le veuille ou non, on tend progressivement à assimiler la justice des mineurs à celle des majeurs, même si c'est simplement pour redonner un caractère solennel à la démarche et faire preuve de davantage de pédagogie envers les multirécidivistes, on nie, d'une manière ou d'une autre, cette spécificité. En mettant en place les tribunaux correctionnels, vous ajoutez une nouvelle pierre à l'action de vos prédécesseurs et de M. Sarkozy, en tant que ministre de l'intérieur, puis comme Président de la République.

Je vous dirai très simplement que vous vous êtes trompé depuis le départ. Cela est dû à votre inexpérience et à votre méconnaissance de la réalité. Vous présentez en permanence ces multirécidivistes, à qui vous avez dessiné le profil de l'ennemi intérieur, comme des pré-adultes. Vous considérez qu'il faut faire évoluer la justice des mineurs parce que leur comportement de délinquant et la violence de leur comportement les apparentent à des adultes. Or c'est exactement l'inverse. Les multirécidivistes que vous désignez sont profondément immatures. Ce sont encore des enfants qui n'ont rien compris au fonctionnement de notre société, faute d'avoir bénéficié de l'encadrement éducatif des parents et de l'éducation nationale qui leur aurait permis d'apprendre un certain nombre de règles.

J'évoquerai certaines situations que j'ai vécues en tant que parlementaire. Un mineur de quinze ou seize ans est placé en garde à vue. Il se lève et essaie de casser la figure à l'officier de police judiciaire qui l'interroge. Il sait qu'il aggrave son cas et que cela va dégénérer. Policiers et magistrats savent qu'ils sont face à des jeunes, certes âgés de quinze, seize ou dix-sept ans, mais qui se comportent comme des gamins de dix ans et qui vivent cette situation comme une confrontation dans une cour de récréation ou comme un affrontement au bas d'un immeuble. Au lieu de les considérer comme des pré-adultes et donc de caler la justice des mineurs, y compris dans sa sévérité, sur celle des adultes, il faut tenir compte de leur profonde immaturité.

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