… soit en poussant le raisonnement jusqu'à l'absurde et en supprimant le rôle des magistrats dans la décision qui serait rendue uniquement par des jurés populaires ? Ainsi aurions-nous suivi la logique jusqu'à son terme. Ce n'est pas sérieux, j'en conviens, mais je voulais simplement faire la preuve par l'absurde ; c'est, vous le savez, un mode de raisonnement.
C'est un leurre puisque, dans le même temps, si les citoyens assesseurs sont finalement exclus des cours d'assises, le nombre de jurés dans ces cours d'assises diminue. Il passe de neuf à six en première instance – le projet initial prévoyait de le réduire à deux citoyens – et de douze à neuf en appel. Où est la cohérence? Tantôt on fait appel aux jurés, tantôt on les supprime !
C'est un leurre aussi de laisser croire que, face à la multiplicité des procédures et délits, on est capable de « former » autant d'assesseurs citoyens pour une justice efficace. C'est d'autant plus curieux lorsque l'on refuse dans le même temps à la justice professionnelle les moyens d'exercer sa mission.
Si l'on regarde du côté des aménagements de peine – libérations conditionnelles et périodes de sûreté –, de quel suivi dans le temps les assesseurs disposeront-ils pour prendre leur décision sur ces dossiers ? Ce ne sont effectivement pas des professionnels, et ils ne vont pas y passer toute leur vie.
Enfin, remarque incidente, sont exclues du champ de la compétence du tribunal correctionnel – je le comprends, c'est tout à fait logique – les affaires complexes, la délinquance astucieuse – j'aime cette formule –, financière, organisée, fiscale ou portant atteinte à l'environnement, mais l'on peut craindre que l'auteur de ces délits sophistiqués n'appartienne pas aux mêmes catégories sociales que l'ensemble des prévenus et coupables. S'agit-il donc d'une justice différente selon les cas? Je pose la question.
Je le répète, le Président Nicolas Sarkozy agite un leurre pour tenter de faire oublier son échec face à la délinquance et la criminalité et régler ses comptes avec la justice de notre pays. Cette réforme, véritable usine à gaz, est inopportune Le champ de compétence de ces nouveaux tribunaux correctionnels citoyens comprend les affaires les plus graves, passibles de peines d'emprisonnement supérieures à cinq ans, qui sont de plus en plus complexes. Or les citoyens assesseurs disposeront d'une formation sommaire – un fascicule et un jour de formation – et du soutien des magistrats de métier, mais ils n'en seront pas moins des magistrats, puisqu'ils ne pourront être récusés que selon les règles strictes applicables aux magistrats. Tout cela n'est pas très sérieux, et l'on attend d'eux qu'ils siègent dans une instance collégiale et participent, dans la mesure de leurs moyens, aux jugements les plus graves et à l'aménagement de peines, alors que, en la matière, la décision est l'aboutissement d'un long suivi dont ils n'ont pas pu être les témoins.
Quant à la motivation des décisions, elle appartient au président de la formation qui est toujours un magistrat de métier. Cela confirme, une fois de plus, qu'en la matière, la professionnalisation doit s'imposer. Enfin, est-il opportun de créer cette nature hybride d'assesseurs citoyens ? Ce ne sont ni des juges de plein exercice – contrairement à ce que pourrait faire croire le terme « assesseur » – ni des jurés constitués en jury, et ils ne répondent pas aux critères de l'échevinage tel qu'il fonctionne dans certaines de nos juridictions, auxquelles on les compare quelquefois, à tort.
Cette réforme est inopportune et ne correspond à aucune demande ; elle ne répond qu'à une commande. Ce texte n'est pas applicable. Pour faire court, je dirai que cette pseudo réforme ne sera pas mise en oeuvre pour des raisons pratiques. Tout d'abord, son coût est incalculable ; du moins est-il extrêmement difficile à calculer. Après une étude d'impact minimale, le Sénat a considérablement élargi le champ d'intervention du tribunal correctionnel citoyen ; les trente-cinq à quarante millions d'euros d'origine vont se révéler très insuffisants, et ce au moment où la justice manque cruellement de moyens. Cela confine presque à la provocation !
La désignation, la formation et l'apparition nouvelle d'assesseurs citoyens novices va considérablement allonger les procédures – cela a été maintes fois dit à cette tribune – et, par là même, aggraver la situation d'une justice jugée déjà trop lente. De plus, la mobilisation d'au moins 10 000 assesseurs par an, l'incertitude de leur venue effective et les délais de convocation vont créer des difficultés énormes dont le Gouvernement sera comptable. D'ailleurs, la mise en oeuvre de cette loi n'est prévue qu'à titre expérimental – un peu de sagesse ! – avant d'être éventuellement généralisée, mais ce ne sera pas le cas.
Revenons au bon sens dont le texte prétend s'inspirer. J'invite le Gouvernement et le garde des sceaux à faire leur la réflexion de M. Robert Badinter, « Juger est un métier qui nécessite un savoir-faire ou une expérience », et à en tirer les conséquences.
Rapprocher les citoyens de leur justice et les réconcilier avec elle reste un vrai sujet. Cela ne se fera cependant pas simplement en modifiant les cours d'assises comme proposé, c'est un tout autre projet de société qui est à écrire et à développer. Il s'agit aussi de faire vivre une autre société.