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Intervention de François Pupponi

Réunion du 22 juin 2011 à 15h00
Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Pupponi :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je me contenterai d'évoquer les dispositions concernant la justice des mineurs, car le sujet me passionne et me préoccupe. Nous pouvons sans doute nous accorder sur un constat : depuis de nombreuses années, la délinquance des mineurs gagne du terrain, le nombre de mineurs concernés par une procédure ne cesse de croître et les mineurs délinquants sont de plus en plus violents. Mais, contrairement à ce qui a pu être dit sur les bancs de la droite, ce phénomène n'est pas nouveau. Tous les acteurs locaux savent qu'il ne cesse de s'amplifier et que, localement, les situations sont de plus en plus difficiles à gérer. Devant ce constat dramatique, nous devons être objectifs : la gauche a une part de responsabilité dans cette situation et elle a d'ailleurs été sanctionnée pour cela, en 2002, par les Français qui considéraient – même si l'on peut en discuter – que, en la matière, elle n'avait pas été à la hauteur de la tâche. Mais, depuis 2002, monsieur le garde des sceaux, c'est votre majorité qui est au pouvoir, et l'on peut donc considérer que vous avez aussi une part de responsabilité dans cet échec patent : voir tant de mineurs basculer dans la délinquance et dans la violence extrême. Les événements des derniers jours ont montré comment certains jeunes, qui n'ont pas a priori basculé dans la délinquance, peuvent dans certaines circonstances laisser libre cours à une violence terrible et devenir des meurtriers.

Ce constat, sur lequel nous pouvons nous accorder, devrait nous inciter à rechercher des solutions communes. Mais, avec ce projet de loi, monsieur le garde des sceaux, il semble que vous reconnaissiez les raisons de cette dérive dans les institutions judiciaires. Vous expliquez en effet que la justice des mineurs ne paraît pas capable de régler le problème pour les cas les plus difficiles, et vous proposez donc de changer le dispositif en place en créant un tribunal correctionnel pour mineurs. Je vous le dis tel que je le pense, monsieur le garde des sceaux : avec cette mesure, vous allez échouer comme vous l'avez fait avec les précédentes. Il y a deux raisons à cela. D'une part, vous pouvez créer toutes les juridictions particulières, tous les tribunaux que vous voulez, vous serez, quoi qu'il arrive, submergés par une vague qui va aller en s'amplifiant. Nous ne mettons pas suffisamment de moyens dans la justice des mineurs pour aborder d'une manière efficace le problème de leur délinquance spécifique. Les nouveaux tribunaux échoueront comme les précédents, car ils n'auront pas les moyens de prendre en compte cette problématique.

Votre texte s'attaque à l'un des piliers les plus importants du droit français, la fameuse ordonnance de 1945, ce qui est particulièrement dommageable. Ce texte, reconnu par l'ensemble des grandes démocraties, a pourtant un intérêt particulier, car il affirme qu'un enfant ou un adolescent n'est pas un adulte, que l'on ne peut donc pas le traiter comme on traite un adulte, qu'une société doit faire en sorte qu'il ne devienne pas délinquant mais que si, par malheur, il a basculé dans la délinquance, on doit tout mettre en oeuvre pour qu'il ne récidive pas et pour qu'il réintègre la société, pour le protéger. Je sais que cette idée peut en choquer certains, mais notre société doit parfois, en effet, protéger ceux qui ont basculé dans la délinquance. Il n'est pas question de trouver des excuses à ce qu'ils font : nous devons simplement trouver des explications et tout mettre en oeuvre, avec des mesures éducatives, pour éviter la récidive.

Pour cela, il suffit que les professionnels de la justice et des mesures éducatives soient en nombre suffisant pour prendre en compte la personnalité du mineur concerné et pour que l'on puisse, en partenariat avec les familles, accomplir un travail efficace, afin d'aider ce jeune à sortir de la délinquance. Lorsque l'on dégage suffisamment de moyens humains, cela fonctionne. Lorsqu'on donne des moyens à toutes les institutions judiciaires qui s'occupent des mineurs, on est efficace, on obtient des résultats satisfaisants. Ce n'est donc pas la forme des tribunaux qui est en cause, monsieur le garde des sceaux : ce sont les moyens accordés aux services actuels de la justice des mineurs.

Certes, nous en sommes tous conscients, il faut aussi que la justice évolue, qu'elle s'ouvre un peu plus sur la société qui l'entoure, en particulier sur la société dans laquelle vit le jeune. Delphine Batho le disait excellemment tout à l'heure, nous sommes tous confrontés à des situations où la justice des mineurs n'est plus en phase avec la réalité sociale du terrain sur lequel vivent les jeunes concernés. C'est particulièrement vrai dans les phénomènes de règlement de comptes entre bandes, qui sont souvent des causes ou des vecteurs de délinquance des mineurs. La justice des mineurs n'est pas forcément au fait de l'évolution de la délinquance et des bandes, évolution rapide, qui nécessite que l'on ait une connaissance très précise des territoires. Dans le cadre des contrats locaux de sécurité, il m'est arrivé de discuter avec des juges des mineurs qui ne connaissent pas la réalité des terrains. On pourrait donc proposer que ces juges soient davantage impliqués dans l'élaboration des contrats locaux de prévention et de sécurité, qu'ils soient présents auprès des acteurs locaux, non pas pour demander à ceux-ci ce qu'il faut faire – ce sont les juges ou les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse qui doivent en décider –, mais tout simplement pour être au fait de l'évolution de la délinquance des mineurs dans un territoire, pour pouvoir juger en toute connaissance de cause.

Certains dysfonctionnements actuels de la justice des mineurs relèvent davantage d'un manque de moyens que d'un défaut d'organisation : ils devraient nous inciter à tisser des liens entre l'ensemble des acteurs locaux et la justice. Dans le cadre du contrat local de prévention et de sécurité de la ville dont je suis maire, le procureur et moi-même avions décidé que c'était au maire de convoquer les adolescents qui faisaient l'objet de signalement par l'éducation nationale, car ils étaient trop souvent absents ou perturbaient trop la vie d'un collège. Un jeune que j'avais convoqué vint donc accompagné d'un adulte que je pris pour son père et à qui j'expliquais que son fils commençait à poser des problèmes au collège. L'adulte demanda à me parler en tête en tête et m'apprit qu'il n'était pas le père, mais l'éducateur de la PJJ préposé au suivi du mineur. Ainsi, le collège de l'élève concerné n'était pas informé que celui-ci était suivi par la PJJ, ce qui trahit un dysfonctionnement de l'ensemble des institutions.

Si toutes les institutions – éducation nationale, collectivités locales, justice des mineurs – ne travaillent pas main dans la main pour faire en sorte que l'adolescent, le jeune, soit pris en compte d'une manière globale et cohérente, il peut effectivement y avoir des dérives, et un certain nombre de jeunes peuvent passer à travers les mailles du filet et basculer durablement dans la délinquance.

Je crois donc vraiment, monsieur le ministre, que les tribunaux correctionnels pour mineurs proposés ne sont pas la solution. Ils seront submergés comme le sont les tribunaux pour mineurs actuels et ils ne seront pas plus efficaces s'agissant des cas les plus durs. Je crois en revanche que, si nous donnons les moyens suffisants aux institutions actuelles et si nous renforçons les liens très forts qui existent entre toutes les institutions publiques qui travaillent sur le territoire dans lequel évolue le mineur, nous aurons, pour le coup, une efficacité réelle.

C'est, bien entendu, la raison pour laquelle nous ne soutiendrons pas votre texte.

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