« L'évolution historique voulue par l'État tend à réduire la présence du jury dans les enceintes de justice à mesure qu'il devient plus démocratique dans sa désignation. La justice, de plus en plus rendue par une caste, n'en continue pas moins de proclamer ses jugements “au nom du Peuple Français”. » J'emprunte cette citation à l'excellent ouvrage publié, il y a plus de quinze ans, par notre collègue Patrick Devedjian, également ancien ministre, Le temps des juges. La correctionnalisation, la réforme annoncée de la cour d'assises lui ont donné raison. Le texte que nous étudions aujourd'hui est une première réaction salutaire, quoique insuffisante, face à cette tendance détestable.
Détestable, elle l'est pour trois raisons, et d'abord parce qu'elle participe à ce vaste mouvement qui tend à déposséder le peuple et ses représentants de leur légitimité en les emmaillotant dans les avis et jurisprudences d'en haut, avec la CEDH et le Conseil constitutionnel, d'à côté, avec la Cour de cassation, le Conseil d'État ou les autorités administratives indépendantes, d'en bas, avec les décisions judiciaires absurdes ou contraires à l'esprit des lois.
Cette tendance est détestable encore parce qu'elle consacre la prétention des techniciens à empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde. Le mépris des justiciables, l'orgueil du technicien de la justice éclatent dans les déclarations du juge Burgaud, expliquant sa « méthodologie » ou affirmant : « J'avais une mission technique. » Que ce soit à l'égard des victimes ou à l'égard des présumés coupables, en l'occurrence dans l'affaire d'Outreau à l'égard de ces présumés coupables victimes d'une épouvantable erreur judiciaire, la question se pose : où est l'humanité ? Notre collègue André Vallini a récemment invité certains d'entre nous au visionnage en avant-première d'un film consacré à l'affaire d'Outreau, Présumé coupable. Je vous conseille, mes chers collègues, d'aller voir ce film, si vous ne l'avez pas encore fait : c'est un véritable coup de poing. Il montre qu'un justiciable peut être traité avec une totale inhumanité, et comment la justice peut devenir incompréhensible pour lui.
La tendance est détestable, enfin, parce qu'elle souligne le pouvoir d'une caste enfermée dans un corporatisme, cet esprit de corps de magistrats inamovibles dont Tocqueville pointait le danger : « L'inamovibilité créée pour la garantie du justiciable ne profite qu'au juge contre les justiciables. L'inamovibilité qui permet au juge de monter sans pouvoir descendre est dangereuse. »
Un autre de nos grands auteurs libéraux, Benjamin Constant, écrivait : « L'esprit de corps n'est à redouter que lorsque l'institution des jurés n'existe pas. » Le texte d'aujourd'hui répond exactement à cette préoccupation.
Redonner à la justice sa légitimité démocratique, protéger les magistrats contre une dérive technocratique, rendre aux décisions judiciaires leur lien avec l'attente de la population, leur donner aussi plus d'humanité : tels sont les objectifs de ce projet de loi qui va dans la bonne direction puisqu'il associe désormais des citoyens au jugement des délits les plus graves et aux décisions en matière d'application des peines. Voilà des années que des crimes sont commis par des récidivistes alors que la simple application de la peine aurait dû maintenir le criminel en détention au moment de la récidive. Les statistiques à ce sujet sont inaudibles, dans la mesure où un innocent qui paye de sa vie la satisfaction statistique des juges, c'est encore une victime de trop. Natacha Mougel, Anne-Lorraine Schmitt, les victimes de Fourniret, de Paulin, de Guy Georges, de Pierre Bodein, en témoignent abondamment.
Cette réforme nécessaire n'est pas suffisante. En même temps que l'on introduit une minorité d'assesseurs citoyens en correctionnelle, on diminue le nombre de jurés aux assises. Quand on connaît la morgue de certains magistrats, on ne doute pas de leur capacité de subvertir l'opinion des jurés.