La réforme provoquerait un doublement du nombre des audiences correctionnelles tant en première instance – 12 000 audiences prévues par an – qu'en appel – 2 450 contre 1 225 actuellement. Parmi ces audiences, celles dites de comparution immédiate concernent plus particulièrement les services de police qui les considèrent comme sensibles.
Leur augmentation pèsera donc lourdement sur leurs charges de travail d'autant que le calendrier des audiences en formation comprenant des citoyens assesseurs ne coïncidera pas forcément avec la présentation des mis en cause. Le Syndicat national des officiers de police – l'un des plus représentatifs – a ainsi évalué à 500, le nombre des audiences supplémentaires en comparution immédiate pour environ 4 000 affaires.
En sus de ces éléments, d'autres conséquences sont prévisibles et notamment liées à l'inévitable ralentissement de la justice correctionnelle. Personne ne nie, en effet, le risque d'engorgement des tribunaux en raison d'une augmentation des audiences correctionnelles et du temps qu'il sera nécessaire pour que les tribunaux traitent ces affaires. Il en résultera une durée accrue entre la résolution policière d'un dossier et son jugement. Étonnant paradoxe après tant d'années et d'efforts consacrés à rapprocher ces deux phases du processus pénal.
Ensuite, on peut anticiper une évolution des audiences vers une forme différente, plus orale, avec une explication plus détaillée du déroulement de l'enquête. Celle-ci était jusqu'ici appréciée par des professionnels, magistrats ou avocats, principalement sur la base d'une procédure écrite.
Dans les formations avec citoyens assesseurs, même si ceux-ci seront déchargés des questions de procédure, les policiers pourront être plus fréquemment appelés aux audiences correctionnelles. Un peu comme en cour d'assises, ils seront sans doute invités à exposer leurs investigations. Cette évolution semble d'autant plus probable qu'elle trouve un écho dans la réforme de la garde à vue qui a renforcé l'idée qu'une part de contradictoire pouvait exister dans l'enquête de police.
Si ces points ne sont pas en eux-mêmes critiquables, il convient cependant de prendre conscience que cela réduira le temps que les fonctionnaires de police et de gendarmerie consacreront à la lutte contre la délinquance.
En troisième lieu, je veux attirer votre attention sur le risque de sous-qualification pénale des infractions, à l'intérieur du champ correctionnel.
La lourdeur de la procédure criminelle ayant conduit à la pratique de la correctionnalisation fréquente de certaines qualifications, nombre de viols sont souvent poursuivis comme des agressions sexuelles, et des vols à main armée sont qualifiés de vols avec violence.
Dans le même esprit, il est à craindre que se développe une pratique de sous-correctionnalisation qui viserait à faire échapper certains faits à la formation comprenant des citoyens assesseurs.
Ainsi les contraintes de calendrier additionnées aux souhaits d'éviter la surcharge des audiences de la formation intégrant des citoyens assesseurs aboutiraient à éliminer certaines circonstances aggravantes de l'infraction pour la faire sortir du champ de la compétence du tribunal, alors même que l'enquête de police aurait pu établir la réalité des circonstances aggravantes. Poussée à l'extrême, cette pratique pourrait conduire à faire retomber l'affaire dans les voies classiques du jugement, voire d'alternatives aux poursuites.
Enfin, on ne peut pas exclure des complications liées à cette participation des citoyens à l'exercice de la justice, à l'exposition desdits citoyens aux risques de cette mission.
L'hypothèse du projet de loi table sur la participation annuelle de 10 000 citoyens à une décision de justice pénale. Or ces décisions sont rendues par définition dans le ressort territorial où résident à la fois les personnes poursuivies et les citoyens assesseurs.
Ces derniers, dans le projet de loi, ne semblent pas bénéficier de l'anonymat. Évidemment, ils bénéficieront d'une protection de la loi en tant qu'ils participent à l'oeuvre de justice. Mais cela n'exclura pas qu'ils puissent se trouver confrontés à des justiciables mécontents, après l'accomplissement de leur mission d'assesseur, voire au cours de cette mission.
Le risque est sans doute marginal mais les professionnels savent combien les victimes sont de plus en plus réticentes à l'idée d'une confrontation avec leurs supposés agresseurs. Même marginale, cette dimension ne doit pas être négligée mais au contraire intégrée. Une fois encore, ce sont les services de police et de gendarmerie qui seront amenés à gérer ces situations, ce qui leur occasionnera un surcroît de travail alors qu'ils n'en manquent pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)