Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui procède d'une intention louable : faire davantage participer les citoyens à la justice rendue au nom du peuple français.
Par ailleurs, il a également pour vocation d'adapter notre justice à la délinquance des mineurs qui s'est largement développée ce qui, sur certains points, fait de l'ordonnance de 1945 un texte inadapté.
Ce texte se heurte néanmoins à un certain nombre d'obstacles. J'en vois principalement deux.
Le premier obstacle est celui de la visibilité. Ce projet de loi apporte certaines réponses opportunes sur le fond, mais il rend notre justice beaucoup plus complexe.
Comment expliquer qu'après avoir correctionnalisé certains crimes, on fasse du tribunal correctionnel une petite cour d'assises en y incluant des jurés ? Comment expliquer que certains mineurs seront jugés par une instance et que d'autres, les récidivistes, le seront par une instance différente ? Comment justifier que cette nouvelle organisation fasse l'objet d'une expérimentation par endroits et qu'elle ne s'applique pas partout ? Comment expliquer qu'il y aura désormais de petits tribunaux correctionnels en plus des tribunaux correctionnels et de petites cours d'assises aux côtés des cours d'assises classiques, qui seront elles-mêmes réformées ?
Bref, ce texte crée, en fait, un véritable mille-feuille judiciaire peu lisible pour nos concitoyens. Alors qu'il a pour objectif de rapprocher les Français de la justice, il donnera, au contraire, une légitime impression de complexité, s'il n'évoque pas l'opacité la plus totale. Ce n'est pas un climat de confiance mais de défiance qui risque de se créer.
Le deuxième de ces obstacles est celui des délais et des moyens.
Ce projet de loi propose tout à la fois de permettre à nos concitoyens de participer au fonctionnement de la justice de leur pays et de réduire les délais de jugement.
Sur le papier, cela semble réalisable. Sont ainsi prévues, entre autres dispositifs, des instances restreintes mais aussi plus nombreuses, des comparutions immédiates, des peines prononcées immédiatement, des placements en centres éducatifs fermés ou encore des travaux d'intérêt général. Toutefois, nous sommes plusieurs députés qui nous interrogeons sur la mise en oeuvre de ce projet de loi.
Il y a quelques semaines, j'ai visité le tribunal de grande Instance de mon département de Vendée. Je tiens à témoigner de l'exemplarité avec laquelle les magistrats, les greffiers et les agents que j'ai rencontrés, s'investissent pleinement dans leur mission. Pour autant, les qualités humaines dont ils font preuve, aussi nobles et efficaces soient-elles, compensent difficilement la déperdition d'énergie que provoque la détérioration, année après année, des conditions matérielles d'exercice, au détriment de leurs missions premières.
À l'image de nombreuses instances judiciaires, le tribunal que j'ai visité est en cessation de paiement. Il peine à faire appel à des experts judiciaires car ceux-ci ne sont pas payés. Il ne peut plus régler les heures supplémentaires de son personnel. Le tribunal travaille perpétuellement dans l'urgence et croule pourtant sous les dossiers.
Dans un tel contexte, comment, appliquer une réforme, sans doute nécessaire dans son volet destiné aux mineurs, mais qui demande des moyens humains, financiers et matériels supplémentaires ?
Monsieur le ministre, je veux appeler votre attention ainsi que celle du Gouvernement : la justice est un droit régalien, et la sécurité le premier droit des citoyens et s'il y a bien un domaine dans lequel l'État doit tenir toute sa place, il s'agit bien de celui-là.
Plus largement, la lutte contre l'insécurité ne peut être efficace que si tous les maillons de la chaîne de la sécurité fonctionnent efficacement. Et notre majorité doit envoyer un message fort. Nous devons nous prononcer aujourd'hui sur une réforme structurelle de la justice.
Comme beaucoup de mes collègues de la majorité, je ne suis pas opposée à ce qu'il y ait davantage de jurés dans nos tribunaux. Mais en réalité, l'urgence, à mes yeux, consiste avant tout à mettre en place une réforme opérationnelle de notre justice.
Il faut le faire, tout d'abord, en amont de la chaîne judiciaire, c'est-à-dire au niveau des forces de l'ordre qui assurent la sécurité au quotidien et au plus près de nos concitoyens. Il est indispensable, je ne m'y attarde pas car je l'ai déjà dit à cette tribune, que les moyens de nos policiers et de nos gendarmes soient maintenus et renforcés sur tout le territoire.
Ensuite, nous devons intervenir à l'échelon de la justice, je viens de l'évoquer.
Enfin, il faut agir à l'échelon de l'application des peines, qui souffre de deux problèmes : d'une part, la non-immédiateté de la sanction et, d'autre part, l'inexécution, ou l'exécution partielle, de la peine. Actuellement, la justice n'est plus dissuasive, car les peines ne sont pas appliquées, appliquées trop tardivement ou tout simplement allégées par un système aussi complexe qu'incompréhensible pour bon nombre de nos concitoyens : les remises de peines. Les chiffres sont éloquents. Je n'en citerai que deux : en 2010, on dénombrait, en France, environ 100 000 peines de prison non exécutées et plus de 80 000 en attente d'exécution, sans compter les milliers de criminels qui ne purgent pas l'intégralité de leur peine. Voilà qui explique certainement pourquoi, selon une enquête récente, 70 % des Français estiment que la justice est trop indulgente envers les récidivistes.
Comme l'a souligné mon collègue Éric Ciotti dans son rapport remis au Président de la République, « le caractère certain de l'application d'une sanction rapide et proportionnée favorise la prévention du passage à l'acte, de la réitération et celle de la récidive ». Il s'appuie sur un constat simple, que plus personne ne conteste aujourd'hui : plus la probabilité d'être arrêté et condamné augmente, plus la délinquance diminue. Toutes les études démontrent, en effet, que ce n'est pas tant la lourdeur de la peine qui est dissuasive que la certitude de son application par une sanction effective. Aussi la peine de prison avec sursis devrait-elle toujours être assortie d'une autre peine, amende ou travail d'intérêt général. En effet, la condamnation à une peine assortie d'un sursis n'est généralement pas considérée comme une punition, car ceux qui la subissent ont le plus souvent le sentiment d'avoir été acquittés. Pour ne pas laisser penser que certaines infractions sont « gratuites », il faut donc assortir tout sursis d'une autre peine.
Bien entendu, pour remédier à cette carence, il faut construire de nouveaux établissements pénitentiaires. Les gouvernements de droite comme de gauche ont longtemps négligé ce problème. Résultat : le ratio de places de détention en France est l'un des plus faibles de l'Union européenne, puisqu'il est de 83 places pour 100 000 habitants, alors que la moyenne européenne est de 143 places pour 100 000 habitants. Certes, la prison n'est l'idéal pour personne. Mais, sans elle, la justice perd toute crédibilité. Les victimes en sont choquées, les policiers indignés, les citoyens exaspérés.
L'argument simpliste et lâche selon lequel la construction de nouveaux établissements pénitentiaires coûterait trop cher mériterait d'être confronté à l'estimation du coût de l'insécurité elle-même. Dans une étude récente, l'économiste Jacques Bichot a ainsi estimé le coût du crime et de la délinquance en France. Son évaluation prudente le conduit à évaluer ce coût à 115 milliards d'euros par an, soit entre 5 et 6 % du PIB.
Si l'on renforce la chaîne policière, judiciaire et carcérale, dont chaque maillon est indispensable, on portera un coup fatal au sentiment d'impunité et l'on réduira d'autant le coût de l'insécurité. Voilà ce qui redonnera force et crédibilité aux décisions de justice, qui, comme le rappelle justement ce projet de loi, sont toujours rendues « au nom du peuple français ».