On en a d'ailleurs discuté il y a peu de temps dans le cadre du projet de loi de bioéthique : ce n'est pas parce que l'on met dans la loi qu'elle doit être révisée de temps en temps qu'elle peut l'être.
Ce projet de loi, certes limité, était nécessaire et urgent en raison de la décision du Conseil constitutionnel du 26 novembre 2010 et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. L'article 66 de la Constitution exige en effet que toute privation de liberté soit placée sous le contrôle de l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, afin d'éviter les décisions arbitraires liées à des intérêts personnels ou politiques.
Le Conseil constitutionnel a estimé que cette hospitalisation sous contrainte ne pouvait être prolongée au-delà de quinze jours sans l'intervention d'un juge. Il s'agit là d'une bonne nouvelle au regard des libertés individuelles ainsi que des normes européennes, mais l'application en sera difficile.
En effet, définir la dangerosité d'une personne, le plus souvent dans un contexte d'urgence, porter un diagnostic sur la pathologie, décider si les soins peuvent être effectués en milieu ouvert ou en milieu fermé est particulièrement délicat et nécessite une grande expérience dont seuls les experts disposent. Mais ceux-ci ne sont pas eux-mêmes à l'abri d'erreurs, d'autant que la démographie des professionnels de santé ne permet pas de disposer d'un temps médical important.
Dans ce domaine, où intervient l'autorité administrative, le chemin est étroit entre la lettre de cachet et la liberté de la personne, même si celle-ci peut être dangereuse pour elle-même, pour ses proches et pour la société. Des drames non prévus, souvent médiatisés, peuvent survenir et il est difficile de prévoir un raptus avant qu'il ne se produise.
À notre sens, le texte du projet de loi est équilibré. Il prévoit notamment un protocole de soins avant la soixante-douzième heure, établi par un psychiatre de l'établissement et définissant le type de soins, le lieu de leur réalisation et leur périodicité ; la possibilité de soins en établissement, bien sûr, mais aussi en ambulatoire, ce qui constitue une nouveauté qu'il convient de saluer ; l'intervention du juge des libertés au quinzième jour, puis tous les six mois lorsque l'hospitalisation se prolonge ; l'intervention d'un collège pour les patients dits difficiles ; le renforcement du rôle des commissions départementales des soins psychiatriques.
Certains y voient un texte sécuritaire. Il semble au contraire proposer des mesures renforçant la protection de la personne hospitalisée sans son consentement. Nous souhaitons rendre le patient acteur de sa santé en toute circonstance, mais ce principe est d'application délicate lorsque le patient n'a pas conscience de sa propre dangerosité. Il convient cependant de la protéger contre des tiers mal intentionnés ou intéressés, ou contre des abus de l'État, qui pourrait souhaiter mettre à l'abri des opposants en les qualifiant de déviants ou de malades – ce qui, bien sûr, n'est pas le cas dans notre pays très attaché à la démocratie, même si l'on n'est jamais à l'abri d'évolutions dans ce domaine.
Ce texte est équilibré, même si son application sera difficile et complexe. Il prévoit en effet une multiplication des certificats médicaux, alors que la démographie des psychiatres risque d'entraîner des difficultés et peut même susciter des inquiétudes. J'ai des doutes quant à la possibilité d'obtenir tous ces certificats, y compris celui prévu à l'article 3 bis. Le juge des libertés aura-t-il la disponibilité nécessaire ? Sur quels arguments jugera-t-il, si ce n'est en s'appuyant sur les certificats médicaux, étant bien entendu qu'il n'est pas psychiatre ?
Au cours de l'année, 80 000 ou 90 000 décisions devront être rendues. Le garde des sceaux a prévu de renforcer les moyens humains des tribunaux, mais j'ai aussi compris qu'il entendait en faire de même à propos du texte sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale, que nous sommes par ailleurs en train de discuter. Les moyens seront-ils donc suffisants pour tenir compte de ce problème ?
Le déplacement d'un malade au tribunal paraît également délicat à réaliser et à organiser. En effet, il ne pourra bien sûr pas être seul : il faudra un ambulancier et un infirmier pour l'accompagner, ce qui semble difficile. Transporter le juge avec son greffier à l'hôpital paraît également, compte tenu de l'emploi du temps des uns comme des autres, particulièrement délicat. Certes, on a parlé de vidéoconférence, mais tous les tribunaux et hôpitaux ne sont pas équipés. J'ai donc quelques doutes sur l'application de ce principe pourtant très important.
La proposition d'établir un collège n'est pas très satisfaisante car je ne suis pas sûr qu'en cas de désaccord entre deux psychiatres un tiers puisse intervenir. J'ai déjà posé, en première lecture, la question suivante : quand deux orthopédistes ne sont pas d'accord, est-ce la surveillante du service qui doit décider lequel a raison ? Cela ne me paraît donc pas très raisonnable, mais enfin, on s'habitue à tout ! (Sourires.)
L'obligation pour le psychiatre de dénoncer un patient si celui-ci ne suit pas son projet de soins à domicile pose un vrai problème déontologique, comme l'ont souligné plusieurs psychiatres : le serment d'Hippocrate interdit de dénoncer un patient, même lorsque, en période de guerre, on est amené à soigner un ennemi. Le psychiatre doit établir une relation de confiance avec son patient. Comment est-ce possible si ce dernier sait qu'il peut être dénoncé ? Voilà qui me semble poser un vrai problème déontologique et éthique.