Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je souhaite en premier lieu vous faire part du mécontentement du groupe GDR à propos de l'organisation de nos débats sur ce texte.
À la suite de l'introduction in extremis par le Gouvernement de l'article 3 bis pour tenter d'éviter la censure, une troisième lecture s'imposait, mais était-il nécessaire de le faire dans une telle précipitation ? Les commissaires aux affaires sociales ont été informés vendredi un peu avant dix-huit heures de la convocation de la commission pour mardi, avec dépôt d'amendements pour lundi soir et examen du texte aujourd'hui. Même s'il ne reste que deux articles en discussion, vous admettrez que la méthode est pour le moins cavalière. À votre décharge, personne ne pouvait prévoir l'irruption du Conseil constitutionnel dans le processus législatif, avec sa décision du 9 juin 2011 relative à deux questions prioritaires de constitutionnalité portant sur les conditions de l'hospitalisation d'office et le maintien de cette modalité de soins, une irruption qui n'est pas sans poser un problème institutionnel d'inversion du processus législatif, comme l'a opportunément souligné notre rapporteur.
L'article 3 bis vient corriger l'article 3, à propos duquel nous avons formulé de nombreuses critiques lors des précédentes lectures. La décision du Conseil constitutionnel nous donne in fine raison. L'article 3, qui oppose les observations médicales délivrées par le psychiatre aux exigences liées à la sûreté des personnes et à l'ordre public et permet au préfet de passer outre la recommandation du psychiatre de ne pas maintenir une personne en hospitalisation complète, ne satisfait pas aux exigences constitutionnelles rappelées par le Conseil.
Dans Les Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, le commentaire de la décision du 9 juin précise bien que « la possibilité que le préfet ordonne ou maintienne une mesure privative de liberté de nature médicale, alors que le psychiatre de l'établissement s'y oppose, soulève une difficulté constitutionnelle touchant à l'équilibre des principes constitutionnels en cause ».
Au demeurant, le nouvel article 3 bis ne résout qu'imparfaitement cette difficulté, et pose en outre un problème non négligeable d'articulation avec la procédure prévue à l'article 3. Aux termes de ces deux articles, en cas de désaccord sur la levée d'une hospitalisation complète, le directeur de l'établissement serait contraint de demander l'avis d'un second psychiatre et de saisir concomitamment le juge des libertés et de la détention.
À défaut de la suppression du deuxième alinéa de l'article L. 3213-5, nous ouvrons la voie à un contentieux inextricable.
Avant même de voter sur ce texte, nous mesurons les difficultés d'application des dispositions qu'il contient, et les professionnels concernés s'en émeuvent déjà.
Pour notre part, nous ne pouvons que déplorer le manque de rigueur tant pour la rédaction du projet que pour la recherche de ses modalités d'application et son adéquation avec la Constitution. Cela ne fait que renforcer nos critiques sur la philosophie de ce texte, un texte d'affichage qui repose sur une certaine instrumentalisation.
Contrairement à ce que le Gouvernement tente de nous faire croire, ce projet de loi ne garantit ni la protection des personnes ni celle des libertés publiques. Certes, il intervient après la décision du Conseil constitutionnel, qui oblige l'État à prévoir sous peine de sanctions l'intervention du juge des libertés et de la détention. Mais, comme nous l'avons déjà fait valoir, votre interprétation de la décision du Conseil constitutionnel ne permet pas d'exclure une prochaine censure.
À vous entendre, ce texte serait indispensable. Vous savez pertinemment qu'il n'en est rien. Il vous aurait suffi, pour satisfaire aux contraintes découlant de la décision du Conseil constitutionnel, de vous en tenir à la révision de la place du juge des libertés et de la détention dans la procédure. Cette option vous aurait permis de travailler, sur le fond, à une grande réforme de la psychiatrie.
Vous avez au contraire privilégié la dimension sécuritaire de la psychiatrie, au détriment de ses aspects sanitaires et médicaux, en vous limitant aux troubles à l'ordre public que peuvent engendrer les maladies mentales. Cette vision sécuritaire des malades souffrant de troubles mentaux vous a ainsi conduits à limiter les possibilités de sorties à l'essai, pourtant nécessaires à la rémission des patients ; à faire porter aux équipes médicales une responsabilité qu'elles ne devraient jamais avoir, dans un mouvement de criminalisation de la psychiatrie ; à étendre le champ de la contrainte aux soins en ambulatoire, une modalité de soins inédite dont nous craignons déjà la généralisation.
Vos choix budgétaires en matière de santé publique conduisent d'ores et déjà à une réduction du nombre de praticiens en psychiatrie, tandis que les établissements psychiatriques souffrent de la fermeture de lits. La modalité de soins en ambulatoire sous contrainte pourrait opportunément masquer le désastre annoncé. Pis, nous craignons, à l'instar de la Ligue des droits de l'homme, que cette nouveauté annonce l'avènement d'une société contrôlée et contrainte, obligeant les personnes, au moindre écart de conduite pouvant tomber dans le vaste champ des troubles à l'ordre public, à se soigner chez elles, à l'écart du regard des autres et sans autre suivi médical que l'administration de médicaments, comme cela se pratique pour les maladies somatiques.
À rebours des pratiques et de l'évolution de la psychiatrie moderne, vous confortez dans l'opinion l'idée d'un ordre social normé dans lequel la folie n'aurait pas sa place. Or notre responsabilité, ainsi que – bien entendu – celle des médecins est de soigner, ou au moins, lorsque cela est possible, de permettre aux personnes souffrant de troubles mentaux de trouver ou de retrouver une place dans la société. Vous préférez les enfermer pour complaire aux tenants du tout sécuritaire plutôt que d'accorder des moyens à la psychiatrie publique, parent pauvre de la médecine, et d'entreprendre une réflexion de fond sur les politiques publiques de prise en charge de la santé mentale.
Comme lors des précédentes lectures, les députés du groupe GDR voteront résolument contre ce texte d'affichage qui criminalise les malades sans apporter de garanties quant aux libertés individuelles et marginalise la psychiatrie au profit d'une vision sécuritaire de la société.