Madame la présidente, madame la secrétaire d'État chargée de la santé, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui saisis en troisième lecture, fait rare, du projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques. Dans sa rédaction issue du Sénat en deuxième lecture, le texte ne comprend plus que deux articles en discussion, les autres ayant été adoptés conformes.
Je ne m'attarderai pas sur l'article 6, qui n'a fait l'objet que d'une précision au Sénat, pour concentrer mon propos sur l'article 3 bis, introduit par le Gouvernement en séance afin de mettre le texte en conformité avec la décision du Conseil constitutionnel du 9 juin dernier sur la question prioritaire de constitutionnalité.
Comme l'indique l'exposé sommaire de l'amendement que vous avez défendu, madame la secrétaire d'État, l'objectif est de tirer « les conséquences de cette jurisprudence en prévoyant une disposition à caractère général imposant que, dans tous les cas où intervient un désaccord entre le psychiatre et le représentant de l'État et quel qu'en soit le moment, la mesure d'hospitalisation complète ne puisse être maintenue qu'au bénéfice d'un réexamen psychiatrique devant lui-même conclure au bien-fondé de la mesure. À défaut, le représentant de l'État devra en tirer les conséquences, soit en prononçant la mainlevée de la mesure, soit en ordonnant une mesure de soins ambulatoires ».
La simple lecture de cet argumentaire permet de comprendre que la décision du Conseil constitutionnel soulève des questions sur les fondements mêmes de l'hospitalisation d'office et, ce faisant, pointe plusieurs difficultés à propos du projet de loi que nous examinons. On aurait donc pu imaginer que le législateur soit saisi de cette question dans le cadre d'une réflexion globale sur la philosophie de l'hospitalisation d'office, sur l'importance respective des considérations d'ordre sanitaire et des considérations d'ordre public ainsi que sur le rôle du préfet, avant de transposer dans la loi les principes dégagés dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité.
Il n'en sera rien cependant puisque le Conseil constitutionnel n'a pas jugé bon de prolonger le délai qu'il avait lui-même laissé au Parlement dans sa décision question de novembre 2010 sur la prioritaire de constitutionnalité pour mettre les dispositions du code de la santé publique en conformité avec sa jurisprudence, délai qui expire le 1er août prochain.
Nous nous retrouvons donc aujourd'hui contraints de légiférer sous la pression du juge constitutionnel, sans disposer d'aucun délai de réflexion. Je regrette que nous soyons placés dans une telle situation, qui met en cause le fonctionnement de nos institutions. Je considère en effet que c'est un risque pour la démocratie de voir quelques personnes nommées imposer l'écriture de la loi à des législateurs élus. Entre la décision du Conseil constitutionnel et les commentaires qui lui sont attachés, il ne reste plus aucune marge de manoeuvre aux élus du peuple. Cela risque de poser problème.
Sur le fond, la décision du Conseil constitutionnel du 9 juin soulève plusieurs interrogations vis-à-vis des principes de l'hospitalisation d'office en général, et vis-à-vis des dispositions introduites par l'article 3 du projet de loi concernant l'admission en soins sur décision du représentant de l'État.
L'article 3, en effet, ne prévoit pas de second avis pour confirmer la proposition d'un psychiatre. Il prévoit en revanche que, si un psychiatre recommande la levée d'une mesure de soins sous forme d'hospitalisation complète et que le préfet refuse, le juge est automatiquement saisi. C'est une disposition que nous avions introduite ensemble ici en première lecture.
L'article 3 prévoit également des dispositions spécifiques pour les personnes séjournant ou ayant séjourné en unité pour malades difficiles ainsi que pour les personnes déclarées pénalement irresponsables : le préfet ne peut, dans leur cas, modifier la forme de prise en charge sans prendre l'avis du collège et il ne peut ordonner la levée de la mesure de soins qu'après avis de ce même collège et deux avis concordants d'experts.
La question de la compatibilité entre l'article 3 bis et ces dispositions est ainsi posée.
Ainsi, en l'absence de coordination entre l'article L. 3213-5 et l'article L. 3213-9-1, lorsqu'un psychiatre proposera à l'avenir la levée d'une mesure de soins sous la forme d'une hospitalisation complète qu'un préfet refusera, le directeur de l'établissement de santé sera tenu de mettre en branle deux procédures parallèles : saisir un second psychiatre pour avoir un nouvel avis et, dans le même temps, saisir le juge des libertés et de la détention.
Lors du débat en séance au Sénat, vous avez estimé qu'en conséquence, la saisine du juge n'interviendrait désormais qu'en cas d'avis divergents des deux psychiatres et de refus du préfet de lever la mesure de soins.
Cette précision ne ressort toutefois pas des dispositions telles qu'elles sont rédigées aujourd'hui. Pouvez-vous confirmer que vous les préciserez par décret ? Plus généralement, ne croyez-vous pas que le nouveau contexte créé par la décision du Conseil constitutionnel rend moins légitime l'intervention du juge ? En effet, le contentieux risque désormais de se déplacer d'un désaccord entre le psychiatre et le préfet, c'est-à-dire entre la logique sanitaire et la logique sécuritaire, entre lesquelles le juge est fondé à trancher en tant que gardien des libertés individuelles, à un désaccord entre deux psychiatres. Est-ce bien le rôle du juge que d'intervenir dans ce cas ?
Enfin, s'agissant des dispositions applicables aux personnes déclarées pénalement irresponsables ainsi qu'à celles séjournant ou ayant séjourné en UMD, on constate que, dans leur cas, la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne s'applique que dans une mesure limitée, puisque le préfet n'est tenu de lever la mesure de soins ou la transformer en soins ambulatoires que « si chacun des avis et expertises prévus à l'article L. 3213-8 constate que la mesure n'est plus nécessaire », c'est-à-dire après l'avis du collège et les avis concordants de deux psychiatres. Ce sont donc non pas un mais trois avis de confirmation qui seront nécessaires.
Certes, ces personnes sont considérées par le projet de loi comme étant « dans une situation différente justifiant des dispositions spécifiques ». Je m'interroge cependant sur la compatibilité entre ces différents avis et l'impératif de réexaminer la situation des intéressés « à bref délai ». L'article 3 bis ne traduit pas non plus cette exigence dans leur cas. Pourquoi ? Par ailleurs, il est clair qu'étant donné le nombre de psychiatres publics et de psychiatres experts, la mise en oeuvre de ces dispositions risque de susciter des difficultés considérables en pratique.
En dépit de ces réserves, je reste bien conscient de l'urgence qu'il y a à adopter définitivement le projet de loi qui nous est soumis.
En outre, avant de conclure, je souhaiterais rappeler à tous les évolutions marquantes de ce texte, qui reconnaît de nouveaux droits aux personnes admises en soins psychiatriques sans leur consentement et permet d'adapter les conditions de leur prise en charge au cas par cas.
Je souhaite le rappeler car je n'arrive pas à faire le lien entre ce que je lis dans la presse au sujet du projet de loi et les dispositions concrètes du texte que nous avons examiné pendant plusieurs mois, sur lequel nous avons beaucoup travaillé tous ensemble, dans un esprit très constructif, et qui comporte des améliorations substantielles par rapport au projet de loi déposé par le Gouvernement en mai 2010.
Je suis atterré que certaines personnes ayant des responsabilités évoquent le retour des chaînes ou des lettres de cachet et aillent jusqu'à oser la comparaison avec Guantanamo. Qu'est-ce qui peut justifier une telle violence contre un texte qui prévoit, pour la première fois, de soumettre le bien-fondé de toutes les mesures d'hospitalisation complète au juge des libertés et de la détention dans un délai de quinze jours à compter de l'admission en soins, contre un texte qui s'attache à mettre en oeuvre une réelle continuité des soins et à organiser l'ensemble de la chaîne de prise en charge des patients, des urgences psychiatriques au suivi ambulatoire, en prévoyant même une passerelle entre soins sans consentement et soins libres ?
Chers collègues, nous n'avons pas à rougir du texte que nous allons voter aujourd'hui. C'est pourquoi, en dépit des réserves que je viens de formuler sur l'article 3 bis et eu égard à tout ce que le projet de loi apporte par ailleurs s'agissant des droits des malades et de leur prise en charge, je vous demande de bien vouloir adopter sans modifications le texte qui nous est transmis par le Sénat.