Avant d'en venir précisément aux questions que vous avez posées, il convient de replacer les choses dans leur contexte général, qui résulte des démarches entreprises entre 2007 et 2009 en matière de lutte contre les paradis fiscaux. Le processus résulte d'une initiative franco-allemande lancée par Éric Woerth et Peer Steinbrück, et largement reprise ensuite par l'OCDE. La publication par l'organisation internationale de listes « noires » ou « grises » de paradis fiscaux avait provoqué un certain émoi dans plusieurs pays. Il en est résulté un mouvement important de signature de conventions internationales.
Celles-ci sont de deux types. Tout d'abord, les conventions bilatérales réglant la double imposition entre la France et d'autres pays ont été revues, afin d'y ajouter une clause d'échanges de renseignement aux normes de l'OCDE – c'est-à-dire reprenant les dispositions de l'article 26 du modèle de convention fiscale sur le revenu et la fortune. La principale de ces dispositions est celle qui interdit d'opposer le secret bancaire aux demandes de renseignements, à condition toutefois que l'information soit nominative. Il n'est donc pas possible de pratiquer le « fishing », c'est-à-dire de lancer des requêtes anonymes à partir de certains paramètres. Il faut disposer déjà de certaines informations sur la personne concernée, à commencer par son identité.
Ensuite, une série d'accords a été signée sur l'échange de renseignements avec des pays vis-à-vis desquels nous n'avons pas passé de convention de double imposition.
Par ailleurs, à la fin de l'année 2009, le Parlement français a adopté un dispositif très important relatif à ce que le code général des impôts appelle désormais les « territoires non coopératifs ». Les conditions fiscales des échanges avec ces territoires sont fortement durcies : les retenues à la source sont plus importantes, le régime mère-filiale ne s'applique pas, etc. La France dresse donc sa propre liste « noire » ou « grise », mise à jour chaque année, des États non coopératifs.
Au plan opérationnel et administratif, notre pays a également renforcé son dispositif de lutte contre la fraude fiscale internationale et les comptes offshore non déclarés. Ainsi, avec l'autorisation de la CNIL, un fichier administratif géré par la Direction générale des finances publiques, appelé Evafisc, sert de base à la programmation de contrôles fiscaux sur le territoire français ou à des échanges de renseignements avec nos principaux partenaires. Un certain nombre de contrôles sont d'ailleurs en cours à partir de renseignements dont nous disposons sur des comptes situés dans un État alpin voisin.
Ce fichier est enrichi par un dispositif mis en place à la fin de l'année 2009 et prévoyant un droit de communication auprès des établissements bancaires situés en France. Il est ainsi possible d'interroger ces derniers sur des transactions dépassant un certain montant et ciblées vers un certain nombre de pays. Les demandes ont été adressées assez récemment, et nous exploitons actuellement les renseignements fournis.
Nous avons également renforcé notre dispositif répressif, puisque depuis la fin de l'année 2009 dans le droit positif – et depuis la fin 2010 dans les faits –, nous disposons de ce que l'on pourrait appeler une « police fiscale », à l'instar de ce qui existe déjà chez certains de nos voisins. Il s'agit d'une brigade spécifique, composée à parité d'officiers de police judiciaire et d'agents de la direction générale des finances publiques, et chargée d'enquêter sur les fraudes fiscales sophistiquées.
Dans ce domaine, nous avons davantage progressé au cours des trois ou quatre dernières années que pendant les quinze ou vingt précédentes. Nous nous sommes dotés de nouveaux outils permettant d'agir vis-à-vis de la fraude fiscale internationale et des paradis fiscaux.
Cependant, le diable est dans les détails, et nous testons actuellement l'efficacité des accords internationaux – plus d'une vingtaine – ratifiés l'année dernière par le Parlement. Généralement, ces accords ne s'appliquent qu'à partir de leur signature, aux impôts exigibles à ce moment ou lors d'exercices fiscaux ultérieurs. Leur mise en oeuvre sera donc progressive par définition. Il est cependant possible de poser dès à présent des questions auprès d'un certain nombre de pays – notamment s'agissant de successions, de l'impôt de solidarité sur la fortune ou plus généralement d'impôts dont le fait générateur est postérieur à la date d'entrée en vigueur des conventions. Nous avons ainsi envoyé une centaine de demandes, adressées à une dizaine de pays différents. La façon dont elles seront prises en compte constituera une épreuve de vérité.
Il ne faut pas faire preuve d'angélisme : le risque existe que certains pays n'aient signé une convention avec la France que pour sortir d'une liste jugée infamante. Il reste à vérifier qu'ils sont prêts à jouer le jeu et ne vont pas invoquer des difficultés internes ou de procédure pour refuser de donner suite à nos questions.
Cela étant, deux mesures de sécurité ont été prévues. La première est la revue par les pairs de l'OCDE. C'est la première fois, au plan international, que la conclusion d'une convention s'accompagne d'un dispositif de suivi et, le cas échéant, de correction. Si à l'issue de ce long processus d'évaluation, il apparaît que certains signataires n'honorent pas leur engagement et refusent de fournir les renseignements demandés, ils pourraient à nouveau intégrer la liste noire.
La deuxième mesure ne concerne que le droit français : il s'agit des dispositions du paquet fiscal adoptées fin 2009. Elles peuvent non seulement s'appliquer aux pays qui n'ont pas signé de convention avec la France, mais aussi, le cas échéant, à des pays qui l'ont fait mais se refusent à honorer leur signature. Même si le cas ne s'est pas présenté jusqu'à présent, cette mesure constitue une corde de rappel.
Pour l'instant, nous n'avons pas reçu de réponse à la centaine de demandes que nous avons adressées. Rien ne nous permet de préjuger de la suite qui leur sera donnée, même si les questions de procédure qui nous sont posées montrent à quel point les pays que nous sollicitons sont bouleversés dans leurs habitudes. Lorsque les pratiques propres aux paradis fiscaux sont ancrées depuis de nombreuses décennies, poser des questions sur le membre d'une fiducie ou d'un trust ou sur le détenteur d'un compte déterminé peut provoquer quelques hoquets. Cela dit, nos sollicitations datent d'il y a quelques semaines seulement, et l'épreuve de vérité devrait plutôt survenir à l'automne. Si vous me réinvitez l'année prochaine, monsieur le président, je pourrai en dire un peu plus sur le caractère effectif de ces accords.