Trop ponctuelle, l'initiative présidentielle a peu de chances de déboucher sur une réforme significative et réellement fondatrice. Cependant elle a tout de même un intérêt : elle relance, par ricochet, un débat trop longtemps négligé, celui de la réforme du pouvoir dans l'entreprise, et ce à travers au moins trois questions.
La première est celle d'une information équilibrée entre partenaires sociaux au sein de l'entreprise.
Pour qu'il y ait un véritable débat sur la valeur ajoutée, à quels éléments précis portant sur les conditions de détermination et sur le montant des rémunérations des différents acteurs – actionnaires, dirigeants, salariés – les salariés auront-ils accès via leurs représentants, particulièrement à travers les comités d'entreprise ? C'est cette exigence de transparence, et parfois de moralisation, qui, avec d'autres thèmes, est au coeur de l'actuelle négociation entre partenaires sociaux. Doit-on laisser les parties en présence continuer à discuter, en espérant que toutes les préventions seront levées ? Ou l'arrivée de ce texte ne fait-elle pas de cette information un préalable désormais nécessaire ? La question mérite d'être posée à la représentation nationale, et c'est l'objet de l'un de mes amendements.
La deuxième question est celle du pouvoir au sein d'entreprises dont les actionnaires ne partagent plus nécessairement l'affectio societatis classique.
Un nombre croissant d'entreprises sont aujourd'hui dominées par des opérateurs financiers – banques, établissements spécialisés, fonds d'investissement, fonds de pension, fonds alternatifs – et par des dirigeants choisis par ces opérateurs, dont la préoccupation prioritaire est trop souvent le taux de rémunération des capitaux investis ou placés. Certains mécanismes tels que le LBO ne font que renforcer cette tendance.
Le problème est ici de rééquilibrer le pouvoir, autour d'une logique de développement de l'entreprise, entre représentants du travail et représentants du capital. La solution ne peut venir, à mon sens, que de la présence des salariés dans les instances de contrôle, voire de direction de l'entreprise. On peut regretter, à cet égard, que la formule de la société à directoire et conseil de surveillance, introduite par René Capitant, ait été retirée, il y a quelques années, de notre législation. La formule de la société européenne offre peut-être, si on la perfectionne, un cadre approprié.
La troisième question est celle des droits des différents acteurs de l'entreprise – actionnaires, dirigeants, salariés – sur l'accroissement d'actifs. Là aussi, M. Sarkozy a posé indirectement le problème en déclarant que la valeur ajoutée devait faire l'objet de trois parts : celle des actionnaires, celle des salariés, celle de l'entreprise. Toutefois il a oublié de dire à qui devait revenir la part de l'entreprise.
L'amendement Vallon de 1965 avait posé, en son temps, la question de l'appropriation de l'accroissement d'actifs dû à l'autofinancement. Par delà l'ordonnance de 1967, trop timide, cette question reste entière. La logique voudrait pourtant que les actionnaires, les dirigeants – lesquels profitent déjà, aujourd'hui, des stock-options et des parachutes dorés –, mais aussi les salariés se voient reconnaître des droits légitimes sur un accroissement d'actifs peut-être aujourd'hui plus complexe à définir, entre éléments matériels et immatériels, mais auquel tous contribuent.
Quelle doit être la part relative de ces droits ? Quelle forme doivent-ils revêtir ? Comment les identifier ? Là encore, le dialogue entre les partenaires sociaux paraît le cadre le plus légitime pour progresser. Encore faut-il que la question soit clairement posée et que le cadre législatif le permette.
On le voit, le débat sur le partage de la valeur ajoutée aurait mérité davantage que l'annonce de quelques primes. Il est regrettable qu'une démarche visant seulement l'impact médiatique n'ait permis de développer ni le débat préalable ni le dialogue social qu'un tel thème exigeait. Peut-être les débats nous permettront-ils enfin d'y parvenir.