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Intervention de Noël Mamère

Réunion du 9 juin 2011 à 9h30
Introduction d'une taxe sur les transactions financières en europe — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNoël Mamère :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le texte présenté par les députés du groupe SRC est un texte que je qualifierais d'utilité publique. Cela fait des années que l'on parle de cette idée défendue depuis 1972. Ainsi, en 2001, notre assemblée avait voté un amendement introduisant son principe. Cette question a déjà fait l'objet du rapport Landau, commandé par Jacques Chirac en 2004, qui a servi de base à un accord quadripartite entre le Brésil, le Chili, l'Espagne et la France, adopté en septembre 2004, aux Nations unies, entre 117 pays. Ce qui a donné naissance à une taxe sur les billets d'avion, qui contribue aujourd'hui à financer la lutte contre les pandémies. Ce simple fait montre que, contrairement aux coups médiatiques récurrents du Président de la République annonçant la fin des paradis fiscaux ou la lutte contre la spéculation financière, il est possible pour un pays de développer une politique volontariste. Depuis, malgré la crise de 2008, nous n'avons pas avancé d'un pouce. C'est pour cela que le texte proposé ici est important.

Le concept, inventé par James Tobin et popularisé par ATTAC, est simple : la dégradation de la planète et la crise actuelle sont le résultat d'un système économique global dont le critère ultime de décision est la rentabilité financière. Depuis les années 1980, les régulations publiques – en particulier, les accords de Bretton Woods de 1944 ainsi que la plupart des systèmes de protection sociale – ont été démantelées pour laisser opérer les seuls marchés au profit des pays riches et des détenteurs du capital.

La taxe sur les transactions financières représente avant tout un moyen d'affronter des intérêts économiques et financiers qui sont hostiles à toute politique de contrôle des mouvements de capitaux. Ces intérêts, favorisés depuis trente ans par des politiques néolibérales, ont été privilégiés au détriment des revenus du travail. Contrairement aux remèdes appliqués d'ordinaire lorsqu'éclatent les crises financières, la taxe Tobin aurait un double rôle préventif et curatif. Préventif quand la spéculation inquiète, curatif en cas de crise spéculative. De plus, aussi faible que soit le taux proposé, cette taxe rapporterait, à l'échelle mondiale, plusieurs centaines de milliards, qui pourraient être affectés au développement durable des pays du Sud. Par ailleurs, la mise en place de la taxe Tobin impliquerait une nouvelle forme de relation entre États. La taxe Tobin n'est pas la panacée mais un moyen de réduire l'instabilité financière mondiale, présentée par beaucoup d'experts comme la rançon inévitable des bienfaits apportés par la libre circulation des capitaux. Il s'agit de redistribuer équitablement les ressources entre les 6,5 milliards d'êtres humains de la planète. Cette taxe globale ne se substitue en aucun cas à l'aide publique au développement que les pays riches se sont engagés à verser aux pays en développement. Aujourd'hui, cette aide ne représente que le tiers de l'objectif de 0,7 % du PIB qui avait été fixé. En aucun cas, la taxe sur les transactions financières ne doit être le moyen pour les pays riches de se dédouaner.

Nous préconisons donc une rupture radicale par rapport à la mondialisation financière devenue insoutenable. Une voie de ce changement est la préservation et la production de biens publics mondiaux comme la santé, l'éducation, la sécurité alimentaire, le climat.

La production de ces biens publics, ou biens communs, exigera des ressources publiques, à peu près 1500 milliards, soit 2,5 % du produit mondial. La réorientation écologique de l'économie mondiale répondant aussi à une exigence de justice sociale est à ce prix. Réorienter une fraction faible mais stratégique de la richesse mondiale produite par an est l'objectif de cette taxe. Nous ne devons plus nous contenter de beaux discours mais les mettre en oeuvre.

De nombreux dirigeants de pays de la zone euro – France, Allemagne, Luxembourg, Espagne, Autriche, Belgique, Portugal – se sont positionnés en faveur de la taxe. Seuls les Pays-Bas ont manifesté leur hostilité mais dans un contexte marqué par l'exaspération des opinions publiques contre les spéculateurs et par les attaques récurrentes des marchés financiers contre l'euro, comment croire que ce pays pourrait seul s'opposer à une forte volonté politique de ses partenaires ? La décision est mûre politiquement, elle l'est également sur le plan technique, comme l'ont montré de récents rapports d'experts.

Cette année, en avril, plus de mille économistes originaires de cinquante-trois pays, dont une centaine sont Français, ont relancé l'appel à la taxation des transactions financières dans le monde, pressant le G20 d'accepter la taxe Tobin. Le Gouvernement s'est déclaré intéressé, malheureusement dans ce cénacle du G20, les opposants sont nombreux et puissants. Autrement dit, les chances d'une décision positive du G20 en 2011 sont égales à zéro. La seule manière de changer la donne est pour l'Union européenne de montrer elle-même l'exemple. La mise en place d'une taxe sur les transactions financières dans la zone euro matérialiserait une réelle volonté de créer des solidarités positives face à la pression des marchés financiers, au lieu de durcir indéfiniment les politiques d'austérité dans l'espoir de « rassurer » ces marchés. Elle permettrait aussi de dégager des ressources très substantielles, dans une période où les déficits budgétaires sont chroniques et les besoins de financement urgents, en particulier pour la lutte contre la pauvreté et le réchauffement climatique global.

À rester dans une posture « proclamatoire », Nicolas Sarkozy s'expose à voir ses partenaires du G20 enterrer une fois de plus sans difficulté une demande si peu consistante. Il doit immédiatement demander à la Commission de préparer un projet de directive dans les six mois. Faute de quoi la crédibilité des dirigeants européens continuera à se désagréger aux yeux des marchés financiers – pire, des citoyens. Le texte proposé par le groupe SRC va dans ce sens. Il faut un effet un levier politique qui peut être soit l'Union, soit les pays de la zone euro, soit le couple franco-allemand. Nous devons faire bouger les lignes en livrant un message fort avant la tenue du G20. Voilà pourquoi un vote consensuel honorerait cette Assemblée. Voilà pourquoi les députés Europe Écologie-Les Verts appellent à soutenir ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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