Monsieur le secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, la proposition de résolution que nous présentons a fait l'objet d'un travail commun avec le groupe parlementaire de nos collègues allemands du SPD. Elle sera présentée au parlement allemand aujourd'hui même ou dans les jours qui viennent.
Cette proposition de résolution recommande aux gouvernements de présenter au plus tard lors du premier conseil européen de l'automne 2011 une proposition législative visant à introduire une taxe sur l'ensemble des transactions financières, y compris les produits dérivés.
Ce n'est pas un hasard si l'idée d'une taxe sur les transactions financières, développée initialement par James Tobin pour le marché des changes, a resurgi après la crise. Au cours des années de folie financière, une gamme toujours plus étendue de produits financiers a été créée. Les échanges financiers ont proliféré, portant principalement sur des produits dérivés et se déroulant la plupart du temps sur des marchés informels et opaques, dits de gré à gré. S'est ainsi édifiée une vertigineuse pyramide de produits dérivés qui sert aujourd'hui de force de frappe à la spéculation financière.
Bien sûr, la première condition est d'améliorer la régulation des marchés financiers. Alors que l'empilement et la multiplication des produits financiers ont mis l'économie mondiale en péril, il est temps de mettre fin à cette aberration qui veut que les produits financiers soient moins taxés que les transactions réelles – ainsi, les transactions sur les produits financiers ne sont pas soumises à la TVA dans notre pays.
La taxe que nous proposons aurait un triple effet. Premièrement, une taxe, même d'un faible montant, permet de décourager la multiplication des opérations spéculatives pour privilégier l'investissement de long terme, dans la mesure où la taxe devient d'autant plus coûteuse pour un opérateur que celui-ci multiplie les transactions sur un même produit financier – on sait que dans la même journée, on peut avoir un millier de transactions successives sur un produit financier.
Deuxièmement, cette taxe contribuerait à la transparence en imposant un suivi précis de toutes les opérations financières. Nous avons également réfléchi à la façon dont on pourrait compléter cette résolution pour faire en sorte qu'elle favorise le développement des plates-formes d'échanges de transactions plutôt que les marchés de gré à gré.
Troisièmement, cette taxe de 0,05 % sur les transactions financières pourrait fournir des ressources importantes : 200 milliards d'euros à l'échelle de l'Europe, plus de 20 milliards d'euros en Allemagne et plus de 12 milliards d'euros en France.
Il y a incontestablement une opportunité historique à saisir pour faire avancer les choses au sujet de cette taxe. La question, évoquée au G20 par la France et l'Allemagne, fait l'objet à la fois d'un consensus franco-allemand et d'un consensus gauche-droite. Dans l'Union, le Parlement européen, après avoir demandé un travail préparatoire à la Commission en mars 2010, a adopté une résolution le 8 mars 2011 à une très grande majorité, demandant « instamment à l'Union, en l'absence d'un accord international dans les prochains mois, de présenter des propositions législatives sur l'introduction d'une taxation des transactions financières à l'échelle européenne » au taux de 0,05 %.
Nous avons choisi la proposition la plus générale et la plus souple, afin que celle-ci ait le plus de chances possible d'être acceptée par l'ensemble de nos partenaires. Nous proposons l'assiette la plus générale qui soit, consistant à taxer l'ensemble des transactions financières, y compris les produits dérivés. On sait que la taxation est relativement facile sur les transactions effectuées sur les plates-formes, plus délicate sur les transactions de gré à gré, mais nous ne devons pas renoncer à la taxation des secondes, sous peine de pénaliser les transactions effectuées sur les plates-formes. Même si nous n'avons pas évoqué cette possibilité dans la proposition de résolution afin de lui conserver un caractère général, il serait pertinent de s'interroger sur la possibilité de taxer plus fortement les transactions de gré à gré, passant la plupart du temps par des institutions financières, afin de favoriser la régulation et l'usage des plates-formes et de réduire ainsi les transactions opaques.
Si l'idéal serait de voir la taxe appliquée au niveau mondial, le champ géographique retenu est l'Europe ; à défaut, cela pourrait être la zone euro, voire un ensemble de pays, à l'image des coopérations renforcées existant déjà en Europe. La France et l'Allemagne sont, en tout état de cause, prêtes à avancer dans ce domaine.
La mise en oeuvre d'une telle taxe à l'échelle d'un groupe de pays plutôt qu'au niveau mondial peut susciter une crainte, celle de voir une partie des transactions financières quitter les pays concernés par un effet d'éviction. Il faut toutefois avoir conscience du fait que les transactions risquant de se faire ailleurs que dans les pays où s'applique la taxe, afin d'y échapper, sont la plupart du temps des transactions largement spéculatives et opaques, dont l'efficacité économique est nulle, voire négative. Le fait qu'un groupe de pays pionniers progresse sur ce point peut permettre d'avancer à l'échelle du monde mais n'est, par ailleurs, pas forcément négatif pour ces pays pionniers.
Nous avons retenu le taux de 0,05 %, qui fait l'objet de l'acceptation la plus générale. Comme je l'ai dit, nous n'avons pas retenu dans cette proposition de résolution l'idée de différencier les taux en taxant davantage les transactions de gré à gré, bien que cette idée nous paraisse, en soi, pertinente.
Une autre question se pose, celle des moyens qui pourraient être employés pour inciter les banques à privilégier leur métier de banquier, c'est-à-dire à gérer des dépôts et accorder des crédits plutôt que de spéculer sur les marchés financiers. Vous connaissez le débat sur la séparation des activités de dépôt et de spéculation des banques. L'idée d'une telle séparation n'est pas nouvelle, puisqu'elle remonte à Roosevelt, qui l'avait mise en oeuvre, et a été reprise par le président Obama sous la forme d'un dispositif contraignant les banques qui détiennent des dépôts à ne pas spéculer sur comptes propres. On pourrait, de la même manière, imaginer de taxer plus fortement la spéculation sur comptes propres que les transactions réelles – mais comme je l'ai dit, nous avons préféré ne retenir que l'idée d'une taxation générale, les pistes que j'ai évoquées ayant vocation à faire l'objet d'une réflexion à l'échelle de l'Europe.
Nous estimons que les recettes de la taxe doivent être affectées en priorité aux budgets nationaux : si la taxe est mise en oeuvre par un groupe de pays, elle sera naturellement affectée aux budgets nationaux de chacun des pays concernés, comme il est de règle, quitte à ce que les pays en question décident ensuite d'affecter une partie des recettes à l'échelle européenne. Si chacun s'accorde à considérer que la taxation des transactions financières pourrait servir à de nombreux usages à l'échelle du monde, que ce soit la lutte contre la pauvreté ou le réchauffement climatique, dans un premier temps, les pays pionniers percevront la taxe au profit de leurs budgets nationaux respectifs, au nom du principe budgétaire d'universalité.
Mes chers collègues, nous avons tous salué la décision du Parlement européen d'avancer sur la question de la taxation des transactions financières. Je pense que dans la situation actuelle, c'est-à-dire après la crise majeure que nous venons de connaître, nous disposons d'une opportunité historique de mettre en place une taxation qui pourra contribuer à la mise en oeuvre d'un certain nombre de politiques de développement et à la réduction des déficits, mais aussi réduire la part excessive des transactions financières dans l'économie mondiale. On sait que la prolifération des instruments financiers peut avoir des effets dramatiques, comme la crise l'a montré. Dans ce domaine, on ne peut se contenter de déclarations, il est temps de passer aux actes. C'est ce que propose cette résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)