Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui vise à moderniser l'économie, c'est-à-dire à l'adapter, au moins à moyen, sinon à long terme, à un nouveau contexte.
Dans ce nouveau contexte, la principale contrainte, choisie par la France comme l'une de ses priorités pour sa présidence de l'Union européenne, est le changement climatique.
Le Grenelle de l'environnement l'a rappelé, si nous voulons, comme le préconise l'Union européenne, limiter à deux degrés l'augmentation de la température, il faut impérativement que nous passions le pic de CO2 dans les vingt ans à venir. Cela exige la mobilisation de tous et des changements de comportement dans tous les domaines et, en particulier, bien sûr, dans le commerce. De ce point de vue, on doit constater une sorte de schizophrénie du Gouvernement : nous allons prochainement discuter du Grenelle de l'environnement, et, dans la loi LME, on fait comme si rien n'avait changé et on raisonne dans le contexte et avec les outils du XXe siècle.
En particulier, on ne se sert pas, pour la réflexion et les propositions sur le commerce, du concept pertinent de développement durable, avec ses trois composantes. Si l'on parle bien de l'économique et du social – c'est le débat sur les prix et le pouvoir d'achat –, on oublie l'environnemental : quelles sont les conséquences des choix proposés sur les dépenses énergétiques et les émissions de gaz à effet de serre ?
En oubliant cette approche environnementale, on oublie ses répercussions économiques et sociales. On peut aussi augmenter le pouvoir d'achat des Français en diminuant leur facture énergétique liée à la façon dont notre commerce est organisé, ou en amenant les fournisseurs à concevoir des produits plus économes en contenu carbone, de façon à prévenir des hausses éventuelles de prix liées à l'après-Kyoto. Je vais vous en donner deux exemples.
Dans les propositions concernant les négociations entre fournisseurs et distributeurs, on ne trouve aucune incitation à étiqueter les produits en fonction du respect de l'environnement et, en particulier, du bilan carbone. C'est pourtant une donnée essentielle si l'après-Kyoto, 2012, réussit à donner un coût carbone aux transports, ce qui entraînera des comparaisons et des différences de prix entre produits importés et produits fabriqués sur place. En attendant, cela participera à la sensibilisation nécessaire à la mobilisation des consommateurs, qui peuvent aussi être des citoyens, faisant des achats responsables. D'ailleurs, d'après une étude Ethicity de février 2008, 61 % des Français souhaitent voir figurer sur les étiquettes des produits des informations sur leur impact environnemental.
Nous ne pouvons changer nos comportements que si nous sommes informés. C'est le but de l'étiquetage déjà mis en place pour les appareils ménagers, les voitures et l'immobilier.
Vous allez répondre que c'est prévu dans la loi Grenelle 1, mais pourquoi attendre puisque les principaux intéressés suivent actuellement nos travaux ? Montrons que nous avons compris que le commerce du XXIe siècle devrait s'inscrire dans une nouvelle démarche et favorisons dans l'acte d'achat une analyse en termes de développement durable.
À côté de la dimension économique, la formation du prix, commence à se développer l'approche sociale, le commerce équitable. Il manque encore la dimension environnementale pour que le consommateur puisse faire son choix en citoyen.
Second exemple qui montre qu'on ne prend pas en compte l'urgence liée au changement climatique : on ne s'intéresse à l'urbanisme commercial que sous l'angle des seuils d'autorisation, certains prônant déjà la libre installation des hypermarchés. Or ceux-ci sont la plupart du temps situés en périphérie des villes compte tenu des surfaces nécessaires. On incite donc les consommateurs à prendre leur voiture pour aller faire leurs courses, alors que l'on sait que le peak oil est proche, sinon déjà atteint, et que le pétrole restera désormais à un prix élevé, M. Chatel vient de nous le rappeler lors des questions d'actualité.
Pourtant, une étude de l'ADEME a montré que la dépense énergétique était dix fois plus importante pour des courses effectuées dans un hypermarché que pour celles faites dans un commerce de proximité, l'e-commerce se situant entre les deux, parce qu'il est pénalisé par le mode de livraison individualisé.
Même si la succession des lois actuelles sur le commerce n'est pas satisfaisante, la régulation des ouvertures d'hypermarchés a obligé ces derniers à développer des commerces de proximité et l'e-commerce.
Plutôt que de libérer la création de grandes et moyennes surfaces, qui drainent les automobilistes vers les marchandises, il faut accompagner le mouvement inverse et rapprocher les marchandises des consommateurs. Si nous voulons vraiment moderniser l'économie, et donc le commerce, en tenant compte de la contrainte énergétique, servons-nous des nouveaux outils, comme l'Internet, au lieu d'encourager les comportements « énergivores » du passé liés à l'automobile. Je partage tout à fait l'avis de notre collègue qui nous a incités tout à l'heure à raisonner « proximité » plutôt que « mobilité ». Il faut développer les magasins de proximité et soutenir l'e-commerce, dont on peut optimiser les circuits de distribution en s'appuyant précisément sur les magasins de proximité. Le commerce du xxie siècle sera différent de celui du xxe siècle, mettant en oeuvre de nouveaux principes pour répondre à de nouvelles contraintes.
Quant à l'adaptation et à la mise en oeuvre de ces principes, elle ne peut se faire qu'au plus près du terrain. Les déplacements, en particulier ceux liés au commerce, sont au coeur du « plan climat territorial » que toutes les collectivités locales devront établir à compter de la loi sur le Grenelle de l'environnement. Ils sont fonction de l'habitat, des moyens de transports, des contraintes géographiques, de l'histoire. C'est la raison pour laquelle c'est bien au niveau des schémas de cohérence territoriale, les SCOT, que ces questions doivent être traitées. Désormais, pour le commerce comme pour le reste, le développement durable nous oblige à lier le global et le local, c'est-à-dire le changement climatique et les SCOT. C'est ainsi que nous pourrons véritablement moderniser l'économie pour l'adapter aux contraintes du xxie siècle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)